Conte de Pâques pour les enfants sages
Il était une fois, dans une tour grise qui domine un des plus vieux quartiers de Paris, cinq cloches suspendues en trois rangées : deux, puis deux, puis une. Mgr l’Archevêque les avait bénites et elles portaient des noms, car les cloches reçoivent des noms comme les petits chrétiens.
Que les cloches étaient jolies, le jour de leur baptême, dans leur robe blanche ornée de broderies et de rubans ! La plus petite, qui avait pour parrain et marraine des enfants royaux, avait été nommée Henriette-Louise, comme une princesse de France.
Les cloches mêlaient leurs voix quand on baptisait un petit, quand le prêtre unissait deux époux ou quand l’âme d’un chrétien était retournée à Dieu. Le dimanche aussi, leurs notes plus chantantes ou plus graves s’accordaient pour louer le Seigneur, et aux jours de fête, leurs accents se faisaient si joyeux que leur allégresse semblait remplir la ville entière.
Pour les sonner, on ne faisait pas usage de cordes. C’est bon quand il s’agit des cloches de village qu’un seul homme peut mettre en branle.
Ici la plus petite cloche, la filleule royale Henriette-Louise pesait près de deux mille livres.
Aux jours solennels, quand toutes les cloches devaient prendre part à la fête, le maître-sonneur allait recruter des hommes solides dans les coins du quartier où il savait les trouver.
Des deux mains, ils empoignaient les crochets de fer vissés dans les poutres, et s’y tenaient ferme, le maître-sonneur donnait le signal et, de toutes leurs forces, les sonneurs appuyaient en mesure régulière sur des pédales qui mettaient la cloche en branle. Pendant qu’elle se balançait, ils restaient un instant suspendus dans le vide, mais ils évitaient de regarder sous eux le noir profond de la tour, où un filet était d’ailleurs prêt à les recevoir si le vertige arrachait leurs mains aux crampons de fer.
Au pied du clocher, les fidèles se rendaient à l’église en beaux atours du dimanche. La joie était plus grande encore quand les petites filles en mousseline blanche arrivaient pour la première Communion ou la Fête-Dieu. D’année en année, celles-ci demeuraient semblables, si bien que, du haut du clocher, on eût pu croire que c’étaient toujours les mêmes qui revenaient, mais la mode transformait la coupe des vêtements que portaient les messieurs et la forme des robes pour les dames.
Comme les hommes aiment le changement ! que de choses étranges ils inventent ! Les chevaux, qui faisaient sonner sous leurs sabots le pavé des rues voisines, avaient peu à peu disparu. Des voitures qui roulaient toutes seules avaient remplacé les calèches ou les camions lourds qu’ils traînaient. Voici même qu’on avait trouvé le moyen de transformer presque absolument la nuit en jour.
Or il advint ceci.
Dans l’escalier, un beau jour, des pas retentirent, qui n’étaient point les pas pesants des sonneurs. Trois messieurs en chapeau rond, habillés chez le bon tailleur, accompagnaient Monsieur le Curé. Ils regardèrent les cloches de haut en bas, de long en large et en travers, prononcèrent des mots extravagants que les cloches n’avaient jamais entendus et auxquels elles ne comprenaient goutte : « Électricité… moteur… courant… transformateur… mise en mouvement automatique… », puis ils sortirent de la poche de leur veston de grandes feuilles avec des tracés noirs aussi extravagants que leurs paroles, et des carnets sur lesquels ils se mirent à inscrire des chiffres.