Conte de Pâques
Depuis qu’il y a des cloches dans les clochers, et même bien avant, les hommes ont fait la guerre. Mais depuis que dans les clochers il y a des cloches de bronze, les hommes ont pris ces cloches pour en fabriquer des armes, quand ils faisaient la guerre.
La ville de Bers-le-Dom, en France, possédait une belle cathédrale que trois cloches d’airain secouaient de leurs sons, quand les enfants de chœur voltigeaient au bout des cordes.
En robes rouges ou en robes noires, les enfants de chœur pendus aux cordes riaient, sautaient, voltigeaient et riaient, pattes par ci, surplis par là, aux voix des cloches.
Les voix des cloches frappaient aux vitres des maisons et se multipliaient tant qu’on eut dit que toute la ville carillonnait.
Les vitraux multicolores de la cathédrale représentaient la vie et les miracles de Saint-Antoine-aux-Sandales d’or, son patron.
Surtout célèbre au temps de Noël et de Pâques, la sonnerie de la basilique de Saint-Antoine-aux-Sandales d’or était renommée dans toute la France. On en parlait de Quimper à Carcassonne, et je vous laisse à penser si les citoyens de Bers-le-Dom se gourmaient de leur carillon.
Tout cela se passait dans les temps féodaux.
Les infidèles, à cette époque du moyen-âge, terrorisaient la côte méditerranéenne, piratant et capturant force chrétiens, pour les vendre comme esclaves, aux princes d’Afrique et d’Asie.
Le baron de Front-Battant, seigneur et protecteur de Bers-le-Dom, déclara la guerre aux Sarrazins et se joignit au roi de France, lequel combattait déjà, en Palestine, au cri de « Mont joie, Saint Denis ! ».
Avant de partir, le baron réquisitionna toutes les armes et les ferrailles des habitants de la ville et puis, il demanda qu’on lui remit, pour qu’il en fit des fers de lance, les belles et grosses cloches de la cathédrale qui sonnèrent tristement pour la dernière fois, à l’office du mercredi des cendres.
Prévôt et notables en tête, tous les bers-le-domois se rendirent à la messe aux appels sinistres du bourdon.
– « Les cloches s’en vont ! Les cloches s’en vont ! Dong ! » semblait dire le grave airain.
Et tous les bers-le-domois en chapeaux, coiffes, pourpoints et corsages sombres, répondaient : « Et ne reviendront pas à Pâques. »
Toute la nef de Saint-Antoine-aux-Sandales d’or était tendue de drap funéraire, et puis, après la distribution des cendres et la messe, les marguilliers en deuil montèrent dans les tours, pour y décrocher les cloches.