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C’est le soir. Jean vient de rentrer du collège. Il a jeté sa serviette bourrée de livres sur la table du jardin et s’assied sur l’herbe, un peu fatigué de cette chaleur d’Orient qui commence à devenir intense et à laquelle il n’est plus habitué. Pas un souffle d’air. Les fleurs sont penchées comme si, pour elles aussi, le soleil d’été eût été trop lourd.
Par la fenêtre largement ouverte une voix dit :
— C’est toi, Jean ?
— Oui, maman.
— On étouffe ici ; je descends au jardin. Attends-moi. Il fait tellement chaud, que ton père m’a demandé de retarder le dîner.
Jean, secouant sa torpeur, court au-devant de sa mère pour apporter le fauteuil de paille et la boîte à ouvrage.
Elle sourit à ce grand garçon un peu amaigri par le travail du dernier trimestre, mais dont le regard demeure si joyeux et si clair.
— Au fond, il ne fait pas plus frais ici qu’à la maison. J’imagine que chez Geneviève nous aurions plus d’air.
— Essayons… J’emporte tout le bataclan.
Chez Geneviève, mère et enfants se sont également installés à l’ombre sous un grand sycomore, avec l’illusion d’y trouver un peu de fraîcheur. Jean et sa mère les y rejoignent, bientôt suivis de Colette, qui les cherchait vainement à la maison.
— Que lisez-vous de beau ? demande Jean aux deux petits, qui ont sur leurs genoux un immense livre d’images grand ouvert.
— On regardait Caïn et Abel.
— Décidément, vous êtes enragés d’Histoire Sainte. J’étais beaucoup moins excité à votre âge…
— De fait, dit Geneviève, je ne sais pas comment Colette s’y est prise, mais ils rêvent de ce qu’elle leur raconte. Quelle sera ta prochaine leçon, mademoiselle le professeur ?
— Nous apprendrons l’histoire d’Abraham.
Maman, qui vient de compter laborieusement une longue aiguille de mailles, lève les yeux vers Colette.
— As-tu pensé, avant, à expliquer à tes élèves qu’au fur et à mesure qu’ils apprendront l’Ancien Testament, ils y trouveront des figures ?
Nicole lève le nez et cligne des yeux en marmottant :
— Des figures ?… Tout le monde a une figure.
— Évidemment, mais écoute un peu. As-tu vu des statues à l’église ?
— Bien sûr : la Sainte Vierge, Saint Joseph, et je ne sais combien d’autres.
— Pourquoi sont-elles là ?
— Pour représenter les saints, comme ça on y pense…
— Tout juste. Eh bien ! dans l’Histoire Sainte, il y a eu non pas des statues de pierre, mais des personnes vivantes qui ont figuré, représenté d’avance Notre-Seigneur et la Sainte Vierge.
— Tu sais, Nicole, affirme Pierre d’un ton protecteur, c’est pas malin à comprendre, M. le curé nous racontait ça quand nous avions cinq ans.
Maman semble douter un peu de la science de son benjamin.
— Es-tu si sûr de n’avoir rien oublié ? Te souviens-tu que non seulement les personnages, mais les choses sont parfois des figures, dans l’Histoire Sainte ? Les sacrifices, par exemple, n’ont été offerts que pour nous annoncer le seul sacrifice qui compte devant Dieu : celui de Notre-Seigneur sur la Croix. L’histoire d’Isaac, celle de Joseph, l’Agneau pascal, la Pâque, la Manne, tout ce que vous allez apprendre, n’a d’autre but que de préparer le peuple de Dieu à la venue de Notre-Seigneur, d’en annoncer les circonstances, de faire comprendre d’avance les détails de sa mission parmi nous. Voilà les figures dont je veux parler.
Et puis, il y a aussi les promesses.
— Ça, c’est facile, déclare Nicole. La première promesse, c’est celle du Bon Dieu à Adam et Ève. Elle n’était pas drôle, car elle signifiait : « Je vous promets que vous serez rudement punis. »
— Oui, mais l’annonce était double. Dieu disait aux hommes : « Vous subirez une punition terrible, » mais aussi : « Un Sauveur viendra vous racheter et vous ouvrir le ciel. »