Et maintenant une histoire ! Posts

Auteur : Beaume, Georges | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 15 minutes

DANS le Ier siècle de notre ère, un soir de juillet impré­gné de l’o­deur des mois­sons blondes, un orage écla­ta sur la forêt de cette mon­tagne qu’on appelle aujourd’­hui Sainte-Odile, en . Des légion­naires de Rome, char­gés de colo­ni­ser le nou­veau ter­ri­toire conquis par César, abat­taient des chênes ou char­riaient des blocs de gra­nit pour dal­ler une route, lorsque, sou­dain, ils virent sur­gir trois voya­geurs aux vête­ments déchi­rés par l’u­sure, aux san­dales pou­dreuse. Celui des trois qui parais­sait le maître, petit de taille et la barbe gri­son­nante, s’ap­puyait, sur un bâton et por­tait une robe à la manière orien­tale. Ses deux com­pa­gnons, jeunes, deux frères sans doute, car ils se res­sem­blaient, por­taient une tunique faite d’une toi­son d’a­gneau et la coif­fure de joncs tres­sée des pay­sans du mont Albain.

Les légion­naires, pour les accueillir, avaient sus­pen­du leurs tra­vaux, un cen­tu­rion les interrogea :

— D’où venez-vous ? 

— De Rome, répon­dit l’é­tran­ger à la barbe grise. 

— Où allez-vous ?

— Là-bas, vers ce fleuve. 

— Pre­nez garde. C’est un pays hostile. 

— Qu’im­porte ! Dieu est avec nous. 

Des sol­dats éten­dirent leurs man­teaux sur la terre humide, et les trois voya­geurs s’as­sirent, face à la plaine, devant le fleuve qui étin­ce­lait aux rayons dorés du soir. 

— Nous allons au bourg d’Ar­gen­to­ra­tum, dit l’in­con­nu à la barbe grise. Quel che­min nous faut-il prendre ? 

— C’est très loin, répli­qua le cen­tu­rion. D’i­ci, vous irez lon­ger le pied des mon­tagnes, et quand vous aurez tra­ver­sé plu­sieurs vil­lages, vous abou­ti­rez à Noven­tium, où se trouve un temple consa­cré au dieu Mercure… 

— Je le sais. 

— D’ailleurs, l’un de mes légion­naires vous conduira. 

— C’est bien. 

Paysage d'Alsace que saint Materne parcourut

Le plus âgé des voya­geurs se tour­na vers ses com­pa­gnons, et, leur mon­trant la terre d’Al­sace, encore cares­sée d’une douce lumière, leur dit : 

— Frères bien-aimés, pré­pa­rez vos javelles, car voi­ci la mois­son que le Sei­gneur vous donne. 

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 11 minutes

VI

À la grille le doc­teur trou­va sa fille. Elle avait mis son manteau. 

— Petit papa, emmène-moi ! 

— Com­ment ? Ne sor­tez-vous pas avec  ?

— Nous allons aux vêpres, mais dans une heure seulement. 

Le père mit sa main sur l’é­paule de sa fille. Il n’a­jou­ta rien d’autre et ils s’en allèrent ensemble. 

Que c’é­tait long de mon­ter au cinquième ! 

Mme Lebrun ouvrit la porte. 

— Je laisse, Madame, la petite sous votre garde. Il vaut mieux ne pas trop fati­guer le .

La porte de la chambre se fer­ma der­rière papa. 

Mme Lebrun tâcha de diver­tir Jeanne comme elle put, mais la petite fille ne s’in­té­res­sait qu’à un seul sujet. 

— Par­lez-moi, Madame, de Michel… 

— Petit encore, com­men­ça Mme Lebrun, et son visage sou­cieux se déri­da, il était déjà très bon. Je me rap­pelle que lui si déli­cat, tou­jours si pré­ve­nant, choi­sis­sait depuis quelque temps le plus gros mor­ceau de pain dans le panier lorsque nous étions à table. Il le choi­sis­sait et le pre­nait le premier. 

— Pour­quoi ne le manges-tu pas ? lui disais-je en voyant que le pain n’é­tait pas touché. 

La réponse du petit était tou­jours la même. 

— Tout à l’heure, maman. 

…Aus­si­tôt qu’il avait man­gé il m’ai­dait à ran­ger la table, puis cou­rait à l’école. 

Un beau jour, me dou­tant de quelque chose, je jetai un coup d’œil par la fenêtre après son départ. 

Michel mar­chait gen­ti­ment sous son tablier noir, la ser­viette sous le bras. À sa ren­contre venait un autre gar­çon pau­vre­ment vêtu. Ils se croi­sèrent. Michel sor­tit son pain et le don­na à l’autre. 

Ce fut vite fait et sans paroles, comme si c’é­tait une habi­tude prise… 

Mme Lebrun ajou­ta avec un soupir : 

— Mal­gré tout, je fus obli­gée de le gron­der le soir. 

L’en­trée du doc­teur inter­rom­pit la conver­sa­tion. Son visage était cou­vert d’un nuage. Il tra­ver­sa la pièce et fit signe à Mme Lebrun de le suivre à la cuisine. 

La cui­sine était petite et pro­prette ; à la fenêtre un serin jouait dans sa cage. Tout était bien ran­gé et en sécurité. 

Le doc­teur allait parler. 

Mme Lebrun res­sen­tit une inquié­tude : qu’al­lait-il dire ?

— Ayez du cou­rage, Madame. 

Mme Lebrun sou­riait comme si elle allait plu­tôt pleurer. 

— Vous serez cou­ra­geuse, n’est-ce pas ? L’é­tat est bien grave. 

D’une main Mme Lebrun cou­vrit sa bouche pour rete­nir sa voix. 

Le doc­teur don­na encore très dou­ce­ment des explications. 

Jeanne, dans la pièce voi­sine, n’en­ten­dait qu’un murmure…

Les anges rendent hommage à Dieu au paradis
Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Deuxième Partie

1er Novembre

I

TOUTES les feuilles étaient-elles tom­bées des arbres cette nuit ?

Oui, beau­coup de feuilles étaient tom­bées et un léger zéphir souf­flait sur elles dans une mati­née sans soleil… 

Les enfants, à demi habillés, cou­rurent aux fenêtres. 

— Oh ! comme tout est nou­veau ici, dif­fé­rent et beau, pen­sait chaque enfant. 

La mère entra dans la chambre des fillettes. 

— Pres­sons-nous, mes ché­ries, disait-elle avec un sou­rire et elle aida la petite Josée qui était en retard dans sa toilette.

Les enfants furent bien­tôt prêts à sor­tir et entou­rèrent leur mère, leur petite .

Ils la voyaient tou­jours à leur côté. Ses mains pro­té­geaient et ses paroles fortifiaient. 

La mère était si unie à eux que seule­ment beau­coup plus tard, dans la vie, lors­qu’ils auraient quit­té la mai­son, ils la ver­raient dans la lumière de l’amour. 

On ne réflé­chis­sait pas main­te­nant à ceci ; on se pres­sait pour aller à la .

Ce petit monde était sim­ple­ment heu­reux de sor­tir avec maman. 

Les fillettes allaient devant, Josée au milieu de Jeanne et de Thé­rèse ; les gar­çons, Ber­nard et Fran­çois, se tenaient de chaque côté de leur mère. 

Les enfants n’o­saient jamais ques­tion­ner maman sur l’ab­sence de leur père aux offices. 

Les pas­sants se retour­naient lors­qu’ils ren­con­traient cette mère jeune encore, d’une allure élé­gante, avec ses cinq enfants qui tenaient cha­cun un petit parois­sien dans la main.

Maman et les enfants vont à la messe de la Toussaint

II

LES mains jointes, les tresses tom­bant des deux côtés de sa tête pen­chée, Jeanne s’ap­pro­cha à son tour, le moment venu, de la Table sainte dans la cha­pelle où maman avait ame­né aujourd’­hui les enfants. 

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 12 minutes

XII

UN mou­ve­ment régnait au , pour ain­si dire, dans la paix, dans le calme et dans la tendresse. 

C’é­tait un mou­ve­ment sans cesse renou­ve­lé comme le mou­ve­ment des vagues. Beau­coup de saints étaient accou­rus et entou­raient la cou­ronne, déchif­frant les dix «  ».

Les Saints sont avec les Anges les seuls habi­tants du Ciel. Il n’y en a pas d’autres. Les Saints sont les por­teurs de lumières ; ils les déposent aux pieds de la Sainte Vierge qui de son côté les remet à son Fils, dont les bras sont ten­dus vers Elle.

Ces lumières semblent voler à tra­vers le Paradis. 

La Vierge Marie et l'Enfant Jésus - Rosaire

Les cou­ronnes s’ac­crochent au man­teau de Marie et ce man­teau tout azur, tout lisse et étin­ce­lant, est si flot­tant qu’il semble cou­vrir le Ciel entier. Les yeux de la très Sainte Vierge Marie comme des myo­so­tis rendent le ciel bleu. 

Il est cer­tain qu’il est Là-Haut tout dif­fé­rent de ce qu’il est vu de la terre. 

Les prières y sont par­fai­te­ment bien com­prises, comme si ce n’é­tait pas la bouche qui les trans­met­tait, mais les cœurs. 

Lorsque la cou­ronne des dix « Je vous salue » péné­tra au Ciel, elle appa­rut toute petite à côté d’autres cou­ronnes, mais elle brillait joli­ment et l’ar­change Raphaël, le gué­ris­seur des per­dus, la remit.

XIII

CHAQUE saint était curieux de savoir quelle était cette cou­ronne, cette petite cou­ronne si bien tressée ! 

Les Saints sont curieux, mais leur curio­si­té est une bonne curio­si­té qui désire por­ter secours, don­ner cou­rage, embra­ser du feu de l’a­mour, sur­tout en ces jours de la . Et chaque saint, lors­qu’il aper­çoit l’a­mour dans la , c’est-à-dire les âmes levées vers Dieu, se réjouit comme s’il était per­son­nel­le­ment gratifié. 

C’est bien ainsi. 

Lors­qu’on fait un cadeau à Jésus, on le donne par là même aux Saints et ce que l’on donne aux Saints devient la pro­prié­té de Jésus, parce que les Saints sont le corps de gloire de Jésus. 

Il est impos­sible de dire le nom de chaque saint tant est grand leur nombre. 

Sainte Thérèse arrose d'une pluie de rose, sous forme de grâces

La plu­part ont noyé leur nom dans celui de Dieu et ne dési­rent qu’une chose : que leur cœur soit doux et humble comme le cœur de Jésus. 

Les saints de la terre comme ceux du Ciel n’ont d’autre ambi­tion que de plaire à Dieu. La petite sainte Thé­rèse, occu­pée de sa plan­ta­tion de roses qui tombent de ses mains sur la terre sous forme de grâces, cueillit vive­ment une de ses fleurs pour l’at­ta­cher à la cou­ronne des enfants. 

Jeanne d’Arc sans bou­clier, en ber­gère sur les prai­ries des Cieux, recon­nut aus­si la voix des enfants, comme elle avait l’ha­bi­tude jadis sur terre d’é­cou­ter et de recon­naître les voix venant du Ciel. 

Auteur : Markowa, Eugenia | Ouvrage : Toussaint .

Temps de lec­ture : 9 minutes

VI

UNE heure pas­sa ain­si, puis une autre. Jeanne s’ap­pli­quait aujourd’­hui à faire toute chose avec plus de soin que d’habitude.

Ne dési­rait-elle pas offrir son zèle en pour l’in­con­nu « perdu » ? 

Appor­ter son petit tri­but aux Saints, c’é­tait la meilleure pré­pa­ra­tion pour la fête du lendemain. 

Et il y avait tant à faire dans la mai­son et au jardin. 

Au jar­din, il fal­lait bien s’oc­cu­per un peu de ses frères. Ils étaient en train de construire dans le sable une grande forteresse.

— Qui sera sei­gneur de la for­te­resse ? Et Jeanne, qui sera-t-elle ? 

Pen­chés tous trois au-des­sus de leur châ­teau fort minus­cule, ils avaient l’air de géants. 

Jeanne prit le rôle de la bergère. 

— Quel est le Dau­phin ? Fran­çois ou Bernard ? 

Ce n’é­tait pas une simple bergère. 

Un mor­ceau de car­ton rem­pla­ça le bou­clier. La voi­là prête au com­bat, prête à don­ner sa vie. 

Que le Dau­phin espère. Elle chas­se­ra l’en­ne­mi hors des frontières. 

— Je me confie à Dieu, dit Jeanne en se dres­sant devant Bernard. 

— C’est bien, ma Pâque­rette du , dit le Dau­phin en lui remet­tant l’étendard… 

Papa, à son retour de l’hô­pi­tal trou­va ses enfants en plein jeu. 

Il s’ar­rê­ta un ins­tant et les embras­sa d’un tendre regard.

VII

IL ne pou­vait pas encore être ques­tion de pré­pa­rer le repas à la maison. 

C’é­tait midi. 

On déci­da d’al­ler au restaurant. 

Papa ouvrit son journal. 

— Va cher­cher , dit papa à Jeanne en posant une main cares­sante sur sa tête. 

Jeanne se pres­sa pour mon­ter l’escalier. 

Au pre­mier on ne per­ce­vait aucun bruit. Les chambres atten­daient déjà toutes prêtes. Par la fenêtre don­nant sur l’es­ca­lier on voyait un car­ré de ciel. Le jour était doux comme un jour d’adieu.

Jeanne mon­ta au second étage et, péné­trant dans la pre­mière pièce, elle trou­va sa mère.

C’é­tait une petite chambre car­rée, toute blanche, amé­na­gée en chapelle.

Jeanne trouve maman en prière

Sur un tapis bleu il y avait contre le mur une table un peu sur­éle­vée et cou­verte d’une nappe bro­dée. Au-des­sus se trou­vait une croix d’i­voire, que Jeanne connais­sait depuis tou­jours. Au-des­sous deux vases étaient gar­nis de fleurs. 

Maman se tenait à genoux devant le cru­ci­fix, le visage plon­gé dans les mains. 

Jeanne regret­ta que papa ne fût pas là avec elles.