Le ciel est bas et gris. Bientôt, novembre sera là, et les grands arbres, déjà, perdent leur chevelure d’or.
Cinq heures sonnent lentement au clocher de l’église. La porte de l’école s’est ouverte ; on entend les rires des fillettes, clairs et joyeux en cette soirée d’automne. Quelques bavardages encore… puis tout le monde se disperse ; les unes vont à la laiterie, les autres rentrent vite chez elles où les attendent quelques leçons à apprendre.
Dans un petit groupe d’écolières qui prennent ensemble le chemin du retour, Lucette s’avance avec ses amies Renée et Marie-Thérèse, dont les yeux rieurs et les joues rouges comme des pêches, contrastent avec son petit visage pâle où deux grands yeux gris semblent, aujourd’hui, plus tristes qu’à l’habitude.
Et, tandis que les souliers claquent gaîment sur les pavés, on parle de choses sérieuses.
« Ils seront sûrement en fleurs pour la Toussaint, dit Renée, tu as vu, avant-hier, comme les boutons étaient larges ? Eh bien, ils ont encore grossi et ils vont être dorés, je crois, avec le dessous des pétales rouge, comme ceux de Madame Gounet, qui m’a donné les boutures. Vendredi, j’irai arranger les tombes avec Maman ; et toi, que feras-tu ?
- Oh ! moi… » et les yeux tristes deviennent plus sombres encore.
« Zut ! se dit Marie-Thérèse, Renée a gaffé ».
***
Aujourd’hui, c’est jeudi, et Lucette, un sac au bras, s’en va légère sur la route. Madame Bouffet, une cousine chez qui sa mère l’a laissée en repartant à Lyon, l’a envoyée faire une course dans un village distant de trois kilomètres.
Et l’enfant, seule sur la grand-route, songe à cet autrefois où elle était une petite fille heureuse, entre son papa et sa maman. Hélas ! son cher papa est mort quelque part en Allemagne, il y a plusieurs années déjà ! Sa maman n’a pas pu l’emmener avec elle dans la grande ville où, depuis deux ans, elle a été obligée de se mettre à travailler, et où il est si difficile de se loger.
Oui, Lucette est seule… bien seule. Sans doute, Madame Bouffet est très bonne et la petite fille a de gentilles amies comme, Renée et Marie-Thérèse, mais ce n’est pas le chaud foyer, la douce maison… et le petit cœur tendre se serre.
Mais, qu’est-ce que cela ? Là, sur le rebord de la route, il y a une petite croix de bois, à moitié tombée. Lucette se penche, et lit cette simple phrase : « Un soldat de chez nous, mort pour la patrie, priez pour lui ! »
Alors, les deux petites mains se joignent pour une fervente prière. Puis, après un signe de croix, l’enfant reprend sa route, mais lentement une idée nouvelle germe dans sa jeune tête.