« S’il te plaît, grand-mère, voudrais-tu me faire réciter l’Histoire Sainte ? » demanda le petit Joseph à la vieille paysanne de la ferme des Tilleuls, assise près de la cheminée et qui faisait glisser les grains de son chapelet entre ses doigts.
« Attends que j’aie fini », répondit-elle, en commençant la dernière dizaine des mystères glorieux.
« Mais tu n’auras qu’à continuer de prier après », dit le petit avec une moue de mécontentement. Mais grand-mère ne répondit point. Ses pensées suivaient la Vierge au ciel, où le Père Éternel la parait de la couronne de toute magnificence.
« Je peux te faire réciter, moi », proposa Louis, quatorze ans, qui fréquentait le lycée de la ville. « Viens, donne-moi ton Histoire Sainte. »
« Soit ! » répliqua Joseph, et il tendit le livre à son frère. Et il commença à réciter sa leçon.
« La construction de Babel. L’humanité entière parlait la même langue. Mais s’aventurant vers l’est, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Senaar et y plantèrent leurs tentes. Et ils se dirent : Faisons des tuiles et cuisons-les. Et la tuile leur servit de pierre de construction et l’asphalte de béton. Et ils dirent : Construisons-nous une ville et une tour dont la pointe atteigne le ciel. Ainsi, nous nous créerons un nom avant de nous disperser par toute la terre. »
« Eh bien ! ils auraient mieux fait de rester tranquilles », grogna Louis en jetant un regard furibond sur son livre de latin posé sur la table.
« Mais laisse-moi donc réciter et ne me fais pas perdre le fil », grogna Joseph et il continua à réciter :
« Et le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les enfants d’Adam construisaient. Et il dit : « C’est un seul peuple et il parle une même langue. Nous allons embrouiller leur langue, afin qu’ils ne se comprennent plus les uns les autres. »
« C’est ce qui fit notre malheur », grogna Louis en frappant violemment sur le livre de latin. « Si les maçons, à ce moment-là, avaient fait grève, je ne serais pas obligé, maintenant, de me bourrer le crâne de tous ces mots étranges. Ils auraient bien pu trouver autre chose pour se faire un nom. »
« Qu’est-ce que cela signifie, au juste, se faire un nom ? » demanda Joseph.
« Allons donc ! Tout le monde comprend cela », expliqua l’aîné. « Dernièrement il y avait une troupe de saltimbanques dans notre village, tu t’en souviens ? Et ils avaient collé des affiches, sur lesquelles se trouvaient les noms de tous les artistes ; les uns étaient inscrits en petits caractères, d’autres en grands, le nom de l’homme qui faisait des acrobaties sur un mât de quarante mètres de haut, eh bien ! celui-là avait son nom en lettres géantes sur la pancarte. Te voilà renseigné. »
« J’aimerais bien que mon nom figure un jour sur une affiche comme ça », soupira Joseph. « Mais je ne saurais pas me tenir sur la tête au bout d’un si grand mât. »
« Mais tu pourrais essayer autre chose pour te faire un nom », proposa Louis. « Moi, par exemple, je serai coureur automobiliste. Et je prendrai les virages à la corde, à cent à l’heure sur la piste de Nuremberg, dans un fracas de tonnerre. Ce sera sensationnel. Et on verra mon nom en lettres géantes dans tous les journaux. »
« Allons donc ! Ce n’est pas possible sur les pages d’un journal. »
« Tant pis », dit Louis. « Peut-être serai-je aussi champion du monde de boxe, catégorie poids-lourd. Quand j’aurai mis tous les boxeurs européens k.o., je partirai en Amérique pour conquérir le titre de champion du monde. Tu verras comme je deviendrai célèbre. Ils me nommeront « Louis aux muscles de fer ». Et les journalistes m’intervieweront pour me demander ce que je prends pour mon petit déjeuner, quelle est la marque de mon dentifrice, et tout cela ils l’écriront dans leurs journaux. »
« Mais moi aussi, je veux avoir un nom, lorsque je serai grand », assura Joseph. « Peut-être deviendrai-je général ou pape, ou bien pilote d’un monorail Alweg. Et je serai encore bien plus célèbre que toi. »
« Oui, mais si plus tard je parcours la jungle et que j’attrape des lions et des tigres, je serai bien plus célèbre encore. Parce qu’alors, je paraîtrai dans les plus grands cirques du monde comme dompteur, vois-tu ? Et alors, au seul claquement de mon fouet, les lions bondiront par-dessus ma tête ou feront de la bicyclette et je leur donnerai un petit pain pour les récompenser d’avoir bien travaillé. »
« Et moi, et moi ! » dit Joseph en bégayant d’excitation. Mais vraiment, il ne trouvait pas, pour l’instant, ce qui pouvait être plus célèbre qu’un dompteur. Et il se fâcha et s’écria : « En tous les cas, je serai cent fois plus célèbre que toi, et si je deviens vraiment pape, tu devras baiser mes mules ! »
« Vous n’avez pas bientôt fini ? » s’exclama la fermière des Tilleuls, qui venait d’achever ses prières. « Vous êtes bien comme les constructeurs de la tour de Babel. Et vous auriez aussi bien mérité la punition de Dieu. Ne voyez-vous donc point que toute la misère du monde découle uniquement du fait que les hommes veulent se faire un nom au lieu de penser d’abord à celui de Dieu ? C’est pourquoi il y a eu tant de guerres, c’est pourquoi votre père est tombé en Russie, c’est pourquoi des millions et des millions d’hommes sont morts et que la famine et la maladie affligent l’humanité. »
« Oui, mais je ne ferai mourir personne si je deviens pape ou pilote », se défendit Joseph.
« Et si moi je deviens boxeur ou coureur ou dompteur, personne ne mourra de faim pour autant », grogna Louis.
« Ce n’est pas du tout cela qui importe », répliqua la grand-mère en souriant. « Et, de plus, tu feras probablement bien autre chose, peut-être seras-tu employé des postes ou greffier, et quand tu auras vingt-cinq ans de service, ton nom figurera une seule fois dans le journal. Mais tout cela est sans importance. L’essentiel, c’est que vous remplissiez fidèlement votre devoir, alors tout ira bien et votre vie sera agréable à Dieu. Mais c’est l’ambition de se faire un nom qui apporte le malheur dans le monde. Il n’existe qu’un seul nom que nous devons magnifier, et c’est le nom de Dieu. Si tous les hommes y aspiraient, le monde redeviendrait bientôt un paradis. Je vais vous raconter à présent l’histoire d’un petit garçon qui voulait également se faire un nom. »
« Chic, grand-mère, raconte », s’écrièrent les garçons et, impatients, ils rapprochèrent leurs tabourets de la vieille fermière.
« Bien. Donc », commença l’aïeule, « il y avait un petit garçon qui habitait un château fort en Espagne et qui s’appelait François Xavier. Lorsqu’il eut atteint sa onzième année, il y eut une guerre parce que, une fois de plus, des rois voulaient se faire un nom. Et le château fort fut détruit de fond en comble. On fit sauter toutes les murailles et toutes les tours et le père de François Xavier devint très pauvre. En voyant comme le beau château était détruit, le petit garçon serra les poings et piétina de colère.
« J’aurais fait de même », grogna Louis.
« Laisse donc grand-mère raconter », reprit le cadet.
« Et François Xavier se rendit à la chapelle du château qui, seule, était restée intacte, se plaça devant le crucifix et s’écria : « Écoutez-moi bien, Seigneur ! Je vais faire en sorte de reconstruire le château et mon nom deviendra si grand que personne ne pourra jamais l’oublier. »
Dix ans plus tard, il vint à Paris pour parfaire ses études à l’université, car il voulait devenir un homme célèbre.
« Et l’est-il devenu ? » demanda Louis.
« Écoutez bien ! François Xavier rencontra à Paris un compatriote, qui avait été un brillant officier jusqu’au jour où, en défendant une ville, un boulet de canon lui arracha une jambe. L’homme s’appelait Ignace et était un grand saint. Par la suite, il eut souvent des conversations avec Xavier, et il lui expliqua clairement l’absurdité de vouloir se faire un nom, car il n’y avait qu’un nom qu’on avait le droit de magnifier, et ce nom, c’était celui de Dieu. François Xavier se mit alors à réfléchir sur la question et comprit qu’Ignace avait raison. Plus tard, il devint missionnaire, voyagea jusqu’aux Indes et au Japon, proclamant partout le nom de Dieu. Des centaines de mille se convertirent. Mais François Xavier mourut sur une petite île solitaire près de la côte chinoise, heureux d’avoir pu prêcher le nom de Dieu à tous les hommes. »
« Mais il n’a pas tenu son serment, alors », dit Joseph, après un instant de réflexion.
« Il l’a tenu. Bien qu’il n’ait pas reconstruit le château de son père. En compensation, il a reconstruit le royaume de Dieu dans le vaste monde, et, si plus tard, il oublia complètement de se faire un nom et mourut, délaissé, dans une misérable hutte, il est tout de même devenu un homme célèbre et tous les chrétiens prononcent son nom avec le plus grand respect. En effet, le petit garçon espagnol est devenu le grand saint François Xavier. »
Lorsque la grand-mère eut achevé son récit, les deux garçons se turent. Ils avaient compris la bêtise de vouloir se faire un nom, et que le seul devoir était de rechercher l’honneur de Dieu.
« Moi aussi, je serai missionnaire », dit Louis, enfin.
« Et moi, un saint », affirma Joseph.
« Même si vous ne le devenez pas », répondit la vieille femme, dans un sourire, « vous pourrez quand même honorer le nom de Dieu. Lorsque vous apprenez votre leçon, que ce soit l’histoire de la tour de Babel ou des mots latins, et que cela vous est particulièrement pénible parce qu’au-dehors le soleil brille et qu’une partie de football semblerait merveilleuse, alors dites bien doucement : pour la gloire de Dieu ! et faites votre devoir. Ainsi vous louerez Dieu et accomplirez ce qui est juste et tout sera bien, et il en sera ainsi tout au long de la vie. Et quand tous les hommes feront leur devoir pour l’amour de Dieu, le bonheur reviendra sur notre pauvre terre. Et maintenant, nous allons prier très pieusement le Notre-Père et demander à Dieu de vous accorder de devenir un jour des hommes braves et actifs, qui feront le bien pour sa plus grande gloire. »
Les garçons joignirent respectueusement les mains, et la grand-mère commença la prière. Lorsqu’elle parvint à la première demande, elle prononça d’une voix particulièrement émouvante : « Que votre nom soit sanctifié ! »
Prêcher le nom de Dieu c’est l’ordre que ont reçu les chrétiens de faire mais il est important de l’employer pour qu’il soit connu .
Il s’agit d’YHWH en hébreu et couramment en France JÉHOVAH ou YAHVE. ce mot est inscrit plus de 7000 fois dans les Saintes Écritures .