Étiquette : <span>Saint Loup</span>

Auteur : Laboise, Chanoine L.-F. | Ouvrage : La revue des saints .

Temps de lec­ture : 18 minutes

Archevêque de Sens († 623). 

Fête le 1ᵉʳ septembre.

L’ÉTUDE des calen­driers parois­siaux de cha­cun des dio­cèses de France nous don­ne­rait la liste glo­rieuse et édi­fiante des églises et des loca­li­tés dont saint Loup, arche­vêque de Sens, est le titu­laire ou le patron. Il est, en effet, l’un des Saints dont le culte s’est éten­du bien au-delà des limites de son lieu d’o­ri­gine et de l’É­glise qu’il a gou­ver­née. La noto­rié­té qu’il a acquise rap­pelle, toutes pro­por­tions gar­dées, celle de saint Mar­tin de Tours ou de saint Ger­main d’Auxerre.

Quelle peut être la cause de cette popu­la­ri­té assez extra­or­di­naire ? Assu­ré­ment les ver­tus émi­nentes du pon­tife séno­nais jus­ti­fient le renom de sain­te­té dont il jouit dans sa ville épis­co­pale. Mais il en est de ces ver­tus comme des semences que dis­perse la tem­pête, elles portent au loin leurs fruits parce que le vent les a arra­chées à leur sol d’o­ri­gine pour les trans­plan­ter sur une terre étran­gère. C’est le souffle de la per­sé­cu­tion qui, en exi­lant saint Loup de son Église de Sens, a fait béné­fi­cier de ses ver­tus et de ses miracles plu­sieurs autres régions. Ces pays lui ont témoi­gné leur recon­nais­sance en se pla­çant sous sa céleste protection.

Naissance et premières années de saint Loup.

L’an­tique litur­gie, dont l’É­glise de Sens a repris en 1920 les offices tra­di­tion­nels, nous donne dans ses textes des notions pré­cises sur les ori­gines de son saint arche­vêque. « Il était par son père et sa mère de sang royal, et son lieu de nais­sance était situé sur les bords de la Loire, dans l’Orléanais. »

L’au­teur ano­nyme du VIIIe siècle, que suivent les Bol­lan­distes, nomme son père Bet­ton et sa mère Aus­tre­gilde ou Agia (la Sainte).

Sur la col­line de la Braye, aux envi­rons d’Or­léans, s’é­le­vait le châ­teau sei­gneu­rial où naquit, vers l’an 573, l’en­fant pré­des­ti­né qui reçut le nom franc de Wolf, dont le latin a fait Lupus et le fran­çais Loup, nom sous lequel il est connu dans le pays séno­nais. À Paris et dans le nord de la France on le désigne sous le nom de Leu.

Sa mère, com­tesse de Ton­nerre, était la fille d’un de ces leudes aux­quels Clo­vis avait don­né en par­tage le ter­ri­toire orléa­nais. La tra­di­tion veut que la nais­sance de son enfant lui ait été annon­cée par un ange, qui lui pré­dit en même temps que ce fils serait évêque. Elle se fit un devoir de le nour­rir elle-même et, presque aus­si­tôt, de l’i­ni­tier à la piété.

Lorsque plus tard il fut en âge de pro­fi­ter d’autres leçons et de rece­voir une édu­ca­tion plus déve­lop­pée, que son intel­li­gence allait rendre facile, il fut confié aux soins de ses oncles mater­nels, tous deux évêques, Aus­trène d’Or­léans et Aunaire d’Auxerre. Sous cette forte direc­tion, Loup fit de rapides pro­grès. En même temps qu’il avan­çait dans l’é­tude de la lit­té­ra­ture et des sciences humaines, sa pié­té se for­ti­fiait, et un attrait mar­qué pour le ser­vice des autels, les céré­mo­nies reli­gieuses et le chant litur­gique, démon­trait en toute évi­dence une irré­sis­tible voca­tion ecclé­sias­tique. Mieux pla­cés que per­sonne pour recon­naitre ces signes, ses oncles n’hé­si­tèrent point à lui don­ner entrée dans la clé­ri­ca­ture en l’ad­met­tant à la ton­sure, et enfin à lui confé­rer, après quelques années, l’or­di­na­tion sacerdotale.

Saint Loup prêtre. — Ses vertus sacerdotales.

La fer­veur du nou­veau prêtre ne connut bien­tôt plus de bornes : il s’ap­pli­qua plus que jamais à la pra­tique des plus hautes ver­tus. L’es­prit de reli­gion qui se mani­feste par l’a­mour du culte divin ; la dévo­tion envers les églises et l’hon­neur ren­du aux tom­beaux des Saints ; le zèle des âmes et la cha­ri­té envers le pro­chain ; l’exer­cice de la mor­ti­fi­ca­tion et de la péni­tence ; en un mot, tout ce qui consti­tue l’i­déal du sacer­doce, fut l’ob­jet de ses efforts les plus constants. À son tour, Loup était mûr pour l’é­pis­co­pat. Aus­si, à la mort de l’ar­che­vêque de Sens, saint Arthème († 609), la voix du cler­gé et du peuple fut-elle una­nime pour le dési­gner, comme suc­ces­seur de l’é­vêque défunt, à la pré­sen­ta­tion royale.

L’archevêque de Sens.

Lorsque le nou­vel arche­vêque eut pris pos­ses­sion de son siège, toutes les ver­tus dont il avait don­né l’exemple jusque-là brillèrent d’un éclat d’au­tant plus vif qu’il était plus éle­vé en digni­té. C’é­tait tou­jours le même sou­ci de per­fec­tion, mais s’af­fir­mant, se déployant sur un champ plus vaste et s’am­pli­fiant dans les fonc­tions de son nou­veau minis­tère. L’é­lo­quence de ses pré­di­ca­tions et les qua­li­tés exquises de son cœur lui conci­lièrent l’es­time et l’af­fec­tion de son cler­gé et de ses dio­cé­sains qui le consi­dé­raient comme un ange envoyé du ciel.

Ses occu­pa­tions pas­to­rales ne ralen­tis­saient en rien son zèle pour la visite des églises. La nuit, il son­nait lui-même la cloche pour appe­ler les ecclé­sias­tiques char­gés de chan­ter les Matines.

Dans l’un de ses voyages au domaine de ses pères, à Orléans, il vou­lut, fidèle à sa cou­tume, se rendre la nuit à l’é­glise Saint-Aignan, pour prier au tom­beau du saint évêque de cette ville. Trou­vant les portes fer­mées, il s’a­ge­nouille sur le seuil. Mais voi­là que par une inter­ven­tion céleste, les portes s’ouvrent d’elles-mêmes, lui per­met­tant ain­si de satis­faire sa dévotion.

Vitrail Saint Loup

La visite aux tom­beaux des Saints était, nous l’a­vons dit, une de ses pra­tiques favo­rites. Il eut, dans sa ville épis­co­pale si riche en tombes glo­rieuses, maintes occa­sions de s’ac­quit­ter de cet acte de pié­té. Il avait voué un culte spé­cial à la Vierge mar­tyre séno­naise sainte Colombe, et il tint à le mani­fes­ter jus­qu’au bout en deman­dant qu’a­près sa mort son corps fût trans­por­té à l’ab­baye de Sainte-Colombe pour y être inhu­mé sous la gout­tière de l’é­glise. Une pieuse habi­tude de l’ar­che­vêque de Sens, que nous allons rela­ter d’a­près les his­to­riens, est une nou­velle preuve de sa dévo­tion aux tom­beaux des Saints.

Les parents de Loup pos­sé­daient à Ton­nerre un châ­teau qui reçut bien des fois sa visite. Près de cette demeure fami­liale se trou­vait une cha­pelle qui ren­fer­mait les reliques de saint Mico­mer, dis­ciple de saint Ger­main d’Auxerre. Ce pieux per­son­nage était venu d’Ir­lande et avait sui­vi saint Ger­main lors de son voyage en Angle­terre ; reti­ré à Ton­nerre, il y était mort et l’on avait éri­gé un ora­toire sur son tom­beau. Or, c’est dans cette cha­pelle, voi­sine du châ­teau, que le fils de la prin­cesse Aus­tre­gilde aimait à célé­brer la messe, lors­qu’il venait à Tonnerre.

Sa ver­tu ne se bor­nait pas à des actes de reli­gion. En dis­ciple fidèle du Christ, il fai­sait consis­ter la cha­ri­té dans l’ac­com­plis­se­ment du double pré­cepte de l’a­mour de Dieu et de l’a­mour du pro­chain : « La mai­son d’un évêque, disait-il, doit être comme une hôtel­le­rie où les pauvres sont reçus par misé­ri­corde et les riches par courtoisie. »

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

Temps de lec­ture : 15 minutesCes deux hommes sérieux qui, par un clair matin, marchent sur la voie romaine de Paris à Rouen, qui sont-ils ? À leur man­teau bleu de lin, à leur tunique de même teinte, vous recon­nais­sez des évêques, car cette cou­leur est alors réser­vée aux chefs de l’Église chré­tienne. L’un est grand et maigre, noueux comme un vieil arbre : c’est Loup, évêque de Troyes, en Cham­pagne ; l’autre, plus petit, plus mince, plus alerte, est l’é­vêque d’Auxerre, Ger­main (celui que les Pari­siens appellent saint Ger­main l’Auxer­rois). Ils ont quit­té la ville avant le jour, dési­reux d’at­teindre pour midi le bourg d’Ar­gen­teuil où l’on vénère une pré­cieuse relique de saint Denis, pre­mier évêque de Paris et glo­rieux mar­tyr. Au lever du soleil ils ont réci­té leurs prières au pied des trois grandes croix qui se dressent sur la butte raide qu’on nomme Mont Valé­rien. Puis ils ont repris le che­min, à tra­vers les belles prai­ries où paissent des trou­peaux nom­breux. C’est le prin­temps, un de ces jolis prin­temps de la région pari­sienne, plein d’air vif, de sou­rires, de chants d’oiseaux.

Pour­tant la dou­ceur exquise de cette mati­née ne semble pas rendre bien gais ces deux pré­lats. De quoi parlent-ils donc qui les inquiète tant ? Il faut avouer qu’en cette année 432 les causes de sou­cis ne manquent pas pour qui­conque sait un peu obser­ver et réflé­chir. Depuis plus de vingt-cinq ans, toute l’Eu­rope Occi­den­tale subit une pénible épreuve : les Grandes Inva­sions ont com­men­cé. Les Ger­mains, dont depuis des siècles les légions romaines main­te­naient les tri­bus en res­pect par delà le Rhin et le Danube, ont réus­si à fran­chir les for­ti­fi­ca­tions, à ouvrir des brèches dans le front des armées et, comme d’é­normes vagues suc­ces­sives, ils ont défer­lé à tra­vers les plus belles pro­vinces de l’Em­pire. Wisi­goths, Ostro­goths, Van­dales, Bur­gondes ; les noms dif­fèrent et même les aspects, mais ce sont tou­jours des conqué­rants, des occu­pants, plus ou moins pillards, plus ou moins vio­lents, qui s’ins­tallent dans toutes les meilleures villes et réqui­si­tionnent tout ce dont ils ont envie. Jus­te­ment, sur la route, en voi­ci une troupe, des Alains sans doute, grands, blonds, aux yeux bleus, par­lant une langue rauque. Mal­heur ! L’Em­pire, le glo­rieux Empire de Rome au pou­voir de ces Barbares !

Mais y a‑t-il encore même un Empire ? Rome, qui a été l’or­gueil du monde, est presque une ville morte ; au lieu d’un mil­lion d’âmes, à peine en compte-t-elle cin­quante mille. À Ravenne, la nou­velle capi­tale, les des­cen­dants indignes des grands Empe­reurs perdent tout leur temps dans la débauche, les intrigues, les révo­lu­tions de palais. Ce sont des chefs ger­ma­niques qui com­mandent les légions romaines ! Et les deux évêques, en évo­quant ces faits dou­loureux, se disent l’un à l’autre que tout cela a été vou­lu par la Pro­vi­dence. L’or­gueilleux Empire des Fils de la Louve, qui a cru pou­voir arrê­ter dans sa marche l’Évangile du Christ, qui a tor­tu­ré, mar­ty­ri­sé les saints de Dieu, est en train d’ex­pier ses crimes : la jus­tice du Sei­gneur le veut ainsi.

Tout est-il per­du cepen­dant ? Non. Dans ce monde qui s’é­croule une grande force demeure intacte : celle de l’Église. Sous la direc­tion de leurs évêques, et d’a­bord du pre­mier d’entre eux, le Pape, les chré­tiens, extrê­me­ment nom­breux main­te­nant, ont lut­té contre les Bar­bares, s’ap­pliquent à les conver­tir, à les civi­li­ser. Grâce à eux, un monde nou­veau est en train de naître, où Ger­mains et Romains seront récon­ci­liés, unis dans le bap­tême. Ce Ve siècle, vous le voyez, est extrê­me­ment impor­tant, et l’on com­prend que saint Loup et saint Ger­main, en dis­cu­tant de toutes ces choses, soient graves…

* * *

Comme ils des­cendent une petite côte de la route, — à peu de dis­tance la Seine déroule par­mi les prai­ries son ruban bleu, — une petite fille, qui garde ses mou­tons dans une pâture, les recon­naît à leurs vête­ments et, s’agenouil­lant aus­si­tôt, fait un grand signe de croix. Les deux évêques répondent en fai­sant dans sa direc­tion un geste de béné­diction. Et puis, ils s’arrêtent…

Qu’y a‑t-il donc ? Ce n’est pas la pre­mière fois qu’une pas­tou­relle se pros­terne devant eux et qu’ils la bénissent. Qu’a donc celle-ci de plus que les autres ? Sur le moment, peut-être ni Loup ni Ger­main ne pour­raient-ils le dire. Mais l’un et l’autre sont des Saints. En eux l’Es­prit de Dieu parle et il leur fait com­prendre des choses que les simples hommes ne sau­raient entendre. À l’ins­tant où la petite fille s’est age­nouillée, il s’est pro­duit en eux un élan mys­té­rieux ; ils ont enten­du comme un appel. Au-des­sus de cet enfant, le ciel est-il plus pur, plus lumi­neux ? Ger­main d’Auxerre, le plus leste des deux pré­lats, a sau­té le fos­sé qui borde la route et il s’a­vance vers la petite bergère.