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Temps de lecture : 8 minutesC’en aurait fait, vraiment, une fameuse veillée, si seulement le vieux Feine avait été là !
Depuis des années et des années que le berger servait dans la famille, c’était la première fois qu’il manquait, et c’est cela qui était grave… Tout le monde y pensait : les parents, les voisins, les amis réunis chez Jean-Mathias Cabaïre ; et, dans la salle bien chaude et bien éclairée, on sentait une espèce de gêne. On avait beau rire et parler plus fort pour écarter cette gêne, malgré tout, elle restait la maîtresse.
Et tout cela, pourquoi, mon Dieu, pourquoi ? Pour une bêtise : un dialogue un peu vif. Jean-Mathias, le Maître, et Feine, le vieux berger, n’étaient pas d’accord sur une réparation à faire à la bergerie. Ils avaient discuté en s’échauffant.
« Dans les temps d’autrefois, s’entêtait Feine, c’est comme ça qu’on faisait et c’était la bonne manière.
– On fait mieux à présent, ripostait Jean-Mathias, et c’est le progrès.
– Que tu dis, avait répondu le berger avec un peu d’aigreur. Ton père, qui s’y connaissait, n’aurait jamais agi comme ça… »
Alors, Jean-Mathias s’était emporté :
« Mon père était de son temps, c’est-à-dire du tien. Maintenant, c’est moi le Maître. Et j’entends faire à mon idée. Tu me brouilles l’esprit avec tes histoires d’autrefois. Tiens, va-t’en… »
Devenu très rouge, le vieux Feine s’était levé :
« Je m’en vas, avait-il dit d’une voix étranglée, je m’en vas et je ne reviendrai plus. »
***
On avait pris ça pour des mots. Mais Feine n’était plus revenu. On ne le voyait plus, traversant les pâturages, sa grande houppelande volant au vent. Il ne sortait plus guère de sa petite chaumine, en bas du village, toute seule et isolée dans la campagne.
Et, bien que la vieille mère l’eût supplié, bien que sa femme l’eût gourmandé, bien que les enfants eussent pleuré après le berger et ses histoires, Jean-Mathias n’avait pas voulu faire le premier pas :
« Je veux bien qu’il revienne, oui, bien sûr, et je ne lui dirai rien, mais je n’irai pas le chercher… »
***
Contre tous les espoirs, Noël était arrivé sans amener de détente. Ce soir, pour la première fois depuis toujours, le vieux Feine ferait solitaire sa veillée de Noël, et ce n’est pas lui qui présenterait à la Messe de Minuit l’agnelet dernier-né, si soigneusement nourri par Maîtresse Cabaïre, si tendrement caressé par les enfants… Ce soir, pour la première fois depuis des Noëls et des Noëls,