Les trois ducats

Auteur : Tharaud, Jérôme et Jean | Ouvrage : Les contes de la Vierge .

Temps de lec­ture : 4 minutes

C’é­tait un homme comme vous et moi, un homme ni meilleur ni pire, un pauvre diable de pécheur.

Conte à lire aux petits - pendaison du coupableQu’a­vait-il fait ? Je n’en sais rien. Une faute plus grave que les autres, un péché plus gros que les autres, un jour où Dieu, sans doute, l’a­vait aban­don­né trop long­temps à lui-même. Et on le menait au gibet de la bonne ville de Tou­louse entre le bour­reau et les Consuls, au milieu d’une foule de curieux et de méchants gar­çons, accou­rus sans doute pour voir ce qui les atten­dait demain.

Or, ce jour-là, le roi René fai­sait son entrée à Tou­louse, avec sa femme, la belle Aude, qu’il venait d’é­pou­ser dans un pays voisin.

En pas­sant devant le gibet, la Reine vit le condam­né déjà juché sur l’es­ca­beau, la tête enga­gée dans la corde. Elle ne put rete­nir un cri et se cacha la tête dans les mains.

Le Roi arrê­ta tout son monde, fit signe au bour­reau de sur­seoir, et se tour­nant vers les Consuls :

– Mes­sieurs les Consuls, dit-il, la Reine vous demande, en sou­hait de bien­ve­nue, qu’il vous plaise de lui accor­der la grâce de cet homme.

Mais les Consuls répondirent :

– Sire, cet homme a com­mis un crime pour lequel il n’est point de , et quelque soit notre désir d’être agréable à Madame la Reine, la loi exige qu’il soit pendu.

– Y a‑t-il donc au monde une faute qui ne puisse être par­don­née ? deman­da timi­de­ment la belle Aude.

– Certes non ! répon­dit un Conseiller du Roi. Et il fit remar­quer que, selon la cou­tume du pays de Tou­louse, tout condam­né pou­vait se rache­ter pour la somme de mille ducats.

– C’est vrai, répon­dirent les Consuls. Mais où vou­lez-vous que ce gueux trouve pareille somme ?

Le Roi ouvrit son escar­celle et en sor­tit huit cents ducats. Quant à la Reine, elle eut beau fouiller son aumô­nière, elle n’y trou­va que cin­quante ducats.

– Mes­sieurs, dit-elle, n’est-ce pas assez pour ce pauvre homme de huit cent cin­quante ducats ?

Récit illustrant la Communion des saints et l'intercession de la Vierge - ducat– La loi exige mille ducats, répon­dirent les magis­trats inflexibles.

Alors, tous les sei­gneurs qui com­po­saient la suite du Roi et de la Reine, ras­sem­blèrent ce qu’ils avaient sur eux pour le don­ner à leur tour, et l’on fit le compte de la somme.

– Neuf cent quatre-vingt-dix-sept ducats, annon­cèrent les Consuls. Il s’en faut encore de trois ducats.

– Pour trois ducats cet homme sera-t-il donc pen­du ! s’é­cria la Reine indignée.

– Ce n’est point nous qui l’exi­geons, répon­dirent les Consuls, mais nul ne peut chan­ger la loi.

Vierge et l'enfant en majesté - CimabueEt ils firent un signe au bourreau.

– Arrê­tez ! s’é­cria la Reine. Fouillez d’a­bord ce mal­heu­reux. peut-être a‑t-il sur lui trois ducats…

Le bour­reau obéit, fouilla le condam­né, et dans la poche du pauvre diable il décou­vrit trois pièces d’or.

Chré­tiens !

L’homme que vous avez vu, dans ce conte, en grand dan­ger d’être pen­du, c’est vous, c’est moi, c’est l’hu­ma­ni­té péche­resse. Au jour du Juge­ment der­nier, rien ne nous sau­ve­ra, ni la misé­ri­corde de Dieu, ni l’in­ter­ces­sion de la Vierge, ni les mérites des Saints, si nous n’a­vons sur nous trois ducats de bonne volonté.

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