La neige tombe depuis le matin. Frileusement, la petite ville campée sur la rivière de la Somme se blottit dans la vallée, toutes ses maisons serrées les unes contre les autres, comme pour mieux se défendre du froid. Cette année de l’ère chrétienne 342 débute par un hiver particulièrement rude.
Sur le seuil d’une des maisons les plus misérables du bourg, le vieil Avellin hésite à sortir : estropié, ne pouvant plus travailler, il vit de la charité publique. Chaque jour, l’infirme va s’asseoir sur une borne à l’entrée de la ville, là où le va-et-vient des voyageurs est le plus important. Habituellement, le pauvre vieux ramasse assez de menues piécettes pour assurer sa misérable existence.
Aujourd’hui, pourtant, Avellin se pose le problème : « Rester ici, au froid, certes, puisque l’âtre est vide, mais abrité de la neige ; ou aller exposer sur la route ses vieux membres à peine couverts de haillons, mais risquer cependant de recevoir quelque monnaie lui permettant de manger, car, aussi vide que l’âtre, la huche ne recèle plus la moindre miette de pain… Allons ! il faut tenter la chance… »
Saint Martin fut, au IVe siècle, le grand missionnaire du pays qui s’appelle aujourd’hui la France. En ce temps-là, la Gaule, province romaine, possédait des grandes villes, comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Tours, Paris ; mais elles étaient rares, et d’immenses forêts couvraient le sol de France ; les terres cultivées, les terres des paysans, se trouvaient ainsi séparées les unes des autres, et très isolées. Tandis que les villes étaient en grande partie converties au christianisme, la foi n’avait pas pénétré assez avant dans les campagnes ; elles étaient restées païennes pour la plupart ; d’ailleurs, le nom de païen vient du latin paganus, paysan ; cette étymologie prouve la lenteur que les habitants des campagnes mettaient à devenir chrétiens.
Franciscaines Missionnaires de Marie. Les Chatelets : Novices en récréation.
En Gaule, il ne restait plus guère de la religion des Druides que la croyance aux divinités des fontaines, aux arbres-fées ; les Romains avaient apporté avec eux leurs faux dieux, leurs idoles ; les paysans les avaient adoptés, mélangés avec leurs divinités gauloises ; le tout était confus, et c’étaient surtout des superstitions qui faisaient le fond de la religion populaire.
Franciscaines Missionnaires de Marie. La Chatelets : Le Vieux Manoir.
Saint Martin naquit de parents païens, en Pannonie, province romaine des bords du Danube. Son père était officier. Sa famille, un jour, quitta la Pannonie pour s’établir en Italie : Martin fut élevé à Pavie. C’est là qu’il apprit à connaître et à aimer la religion du Christ ; et, à dix ans, malgré l’opposition de ses parents, il alla trouver des prêtres chrétiens et leur demanda de le préparer au baptême. Ceux qui dans la primitive Église s’instruisaient en vue de ce sacrement portaient le titre de chrétiens, bien que le baptême ne leur fût donné parfois qu’après plusieurs années d’attente : tel fut le cas de saint Martin, qui ne le reçut qu’à vingt-deux ans.
Mais dès l’âge de douze ans, il sentait en lui un attrait irrésistible pour la vie que menaient dans le désert les moines d’Orient. Prier Dieu, vivre dans la pauvreté, même dans la privation des choses les plus nécessaires à la vie, tel était son désir. Ses père et mère, scandalisés par de semblables goûts, le forcèrent à entrer dans la carrière militaire à l’âge de quinze ans. Il devait rester dans l’armée durant huit années, consciencieux, faisant son devoir de soldat, mais menant dans les garnisons, dans les camps, une vie qui n’était qu’un exemple constant de vertu et de charité : il n’était pas de ceux qui rougissent de leur Dieu devant les hommes, qui craignent les moqueries et les ricanements lorsqu’ils pratiquent ouvertement leur religion. Martin était avant tout un bon soldat du Christ.
— Écoute, j’ai envie de faire une surprise à notre jeunesse, et même à toi. Ton mari m’a confié vos ennuis. Puisque les affaires dont il est chargé vont vous obliger à prolonger un peu votre séjour ici, je comprends fort bien que vous soyez effrayés par vos frais de voyage. Ceci m’explique pourquoi vous semblez décidés à renoncer à toute nouvelle excursion pour les enfants.
Mais une tante a bien le droit de faire plaisir à ses neveux ; donc ne refuse pas. Nous partons tous demain matin et de très bonne heure. Faites-moi confiance. Yvon m’a préparé le programme et j’en fais mystère à tout le monde. Je sais que tu jouiras profondément du pèlerinage, car c’en est un. Laisse-toi faire.
Ainsi donc, le lendemain, c’est le branle-bas dès l’aurore, avec cette joie d’un intérêt spécial : Où va-t-on ?
Tout d’abord, au fil de gracieux paysages, la caravane se voit entraînée vers les montagnes de la Sabine ; on s’arrête à Tivoli. Des vestiges d’antiquité, des cascades, de la lumière, que tout cela est donc joli, dans la fraîcheur exquise du matin ! Juste le temps de se restaurer un peu, et la voiture reprend la route de la montagne et même s’y enfonce de plus en plus ; l’auto monte, monte encore, un arrêt !… Tout le monde questionne à la fois :
— Où sommes-nous ?
— A Subiaco.
Maman et les aînés savent maintenant le but de l’excursion, mais c’est à tante Jeanne qu’il faut laisser le plaisir de l’expliquer. On dépasse la petite ville d’aspect encore moyenâgeux, et l’on fait halte dans un site ombreux, charmant, où l’on décide de se reposer.
— Enfin, réclame Colette, tante, vous allez tout nous dire.
— Oui. J’ai voulu vous donner la joie de connaître le lieu où s’est sanctifié l’un des plus grands saints de l’Histoire de l’Église, et cela au moment où sa vie devient particulièrement intéressante pour vous. Je vais essayer d’enchaîner les faits, c’est-à-dire de reprendre la suite de vos dernières conversations avec votre oncle ou le Père X. J’espère ne pas faire d’hérésies.
— Nous formerions le concile, pour condamner l’erreur, déclare Bernard rieur, seulement le malheur c’est que nous n’aurions part à aucune infaillibilité !
— Écoutez, avant de censurer. Revenons, si vous le voulez, un peu en arrière. Pendant l’un de ses nombreux exils, saint Athanase était venu à Rome, où il avait raconté des choses étranges. Là-bas, dans les contrées désertes de l’Orient, des hommes appartenant aux plus nobles et aux plus riches familles quittaient tout pour s’ensevelir dans la solitude, et vivre pauvres et pénitents. Saint Antoine, saint Pacôme, saint Basile, saint Jérôme avaient été suivis dans le désert par de nombreux disciples. Saint Augustin venait de donner sa règle de vie religieuse aux moines et aux vierges chrétiennes, qui se consacraient complètement à Dieu.
Ce besoin d’être à Dieu seul, d’expier ses fautes personnelles et de réparer pour celles d’autrui, s’empare alors de milliers d’âmes, belles et généreuses. Les alentours de Rome, et peu à peu le monde lui-même, se couvrent de couvents, d’où les moines ne sortent plus que pour prêcher, convertir et soulager les malheureux.
En Gaule, saint Martin, béni et encouragé par saint Hilaire, fonde le monastère de Ligugé. Tout le monde connaît l’histoire de son manteau, que, jeune soldat encore, il avait coupé, un jour de froid, pour revêtir un pauvre. Le pauvre était Notre-Seigneur.
Après Ligugé, c’est Marmoutier, prés de Tours. Là, saint Martin, devenu évêque, conserve sa cellule de moine, pour s’y réfugier de temps en temps dans la prière ; tandis que saint Honorat fonde le monastère de Lérins, et Cassien celui de Saint-Victor, à Marseille. Autour des abbayes, des écoles s’organisent ; entre monastères on s’interroge, on s’écrit. C’est ravissant de penser à ces rendez-vous que se donnent en quelque petite chapelle isolée, au milieu des forêts, des montagnes ou des landes, ces saints qui sillonnent, le bâton à la main, et la Gaule et le monde. Car les abbayes vont devenir une véritable pépinière de missionnaires.
Jeune soldat, saint Martin coupa son manteau avec son épée, pour en revêtir un pauvre.
Saint Martin est né le 11 novembre 316 à Stabaria Pannomie, la Hongrie de nos jours, qui était alors une province romaine. Son père commandait une légion de la garnison de Pavie en Italie du Nord. C’est dans cette garnison que Martin passa son enfance. Ses parents étaient païens et pratiquaient le culte des idoles mais Martin écoutait avec beaucoup d’attention les prêtres chrétiens parler du Christ et très jeune il décida de consacrer sa vie à ce Dieu d’amour. Il a seulement 10 ans quand il désire se faire baptiser mais ses parents s’y opposent.
Une loi alors en vigueur oblige les fils d’officier à entrer dans l’armée. À 15 ans Martin fut enrôlé dans une légion romaine et dut renoncer momentanément à son désir de devenir moine et de se retirer dans le désert. À 18 ans il fut nommé officier et il partit avec sa légion en Gaulle à Amiens. Il surprend tout son entourage car il traite ses hommes avec une grande bonté et une grande compréhension ce qui n’était guère la coutume chez les officiers romains.
Un jour d’hiver particulièrement froid, Martin, que la bise glacée transperce malgré son chaud manteau doublé de fourrure, se hâte pour rentrer à la caserne après une inspection. Soudain il aperçoit un homme à peine couvert de quelques haillons, recroquevillé de froid, qui se traîne péniblement le long des rues. Autour de lui les gens passent sans même le regarder. Martin s’arrête et sans hésiter, sort son épée, coupe en deux son manteau et dans un élan d’amour fraternel en donne la moitié au mendiant.
Toute la journée le canon avait tonné sans arrêt, les mitrailleuses n’avaient cessé de crépiter et les balles de siffler.
Il flottait dans l’air une âcre odeur de poudre. Le sang avait coulé, hélas !
Et le soir tombait sur le champ de bataille comme un immense apaisement.
Profitant de la trêve, des brancardiers passaient, ramassant les blessés d’abord, les morts ensuite. Malgré leurs mouvements précautionneux, ils arrachaient des gémissements de douleur aux grands blessés qui gisaient sur le sol, fauchés par la tourmente.
La nuit devenant dense, ils ne virent point un jeune soldat qui restait étendu à la face de Dieu, comme disait Péguy, au milieu d’un champ de blé à demi ravagé par la bataille.
Au milieu des épis blonds couchés sur le sol, il était étendu, sans connaissance, un mince filet de sang coulant autour de sa tête douloureuse, de sa tête énergique de paysan.
Dans le ciel, les étoiles s’allumaient les unes après les autres, semblant veiller ce terrien de vingt ans qui reposait sur la glèbe qu’il avait tant aimée, seul dans la nuit, seul dans la souffrance.
Sa blessure était grave, certes, et la perte de sang continue qu’il subissait l’affaiblissait graduellement. Pourtant, dans la nuit, sous l’effet de la fraîcheur, il reprit connaissance. Sa blessure brûlante lui faisait mal, il avait soif, il était dévoré de fièvre.
Instinctivement, par gestes saccadés, ses mains palpèrent ce qui l’entourait, cherchant un secours. Elles ne rencontrèrent que la terre rude, la paille rude, les épis durs… A ce contact, un sourire passa sur la face du