Ils s’appelaient Robi… et Bobi… Les noms se ressemblaient et les deux garçons aussi. Ils étaient jumeaux. À l’école, ils se trouvaient l’un à côté de l’autre, et c’est à peine si on pouvait les distinguer. Cependant, si on les connaissait bien, on savait que Bobi avait une touffe de cheveux qui se dressait un peu plus hardie. Avec le temps on constatait qu’il était quelquefois un peu plus tranquille que son frère. Quelquefois ! car en général, ils étaient tout aussi taquins et étaient très unis dans la joie comme dans la peine, surtout s’il s’agissait de jouer un bon tour et de recevoir la punition méritée.
En ce moment, ils se préparaient à leur première communion. C’était une vraie joie de les voir se donner tant de peine. Tous deux voulaient être prêts pour le grand jour, ils étaient, comme le sont en général les garçons, au dehors, gais et exubérants, mais, leur cœur était, au dedans, un sanctuaire qu’ils embellissaient fidèlement.
Je ne vous parlerai pas de ce zèle pour l’instant. Rappelons simplement que, dans la semaine avant la première communion, M. le curé avait donné à tous les enfants le conseil de bien profiter des premiers instants après la communion. Il leur avait dit : « Ce moment, où pour la première fois, Jésus est présent dans votre cœur, est le plus riche de grâces de toute votre vie. Confiez bien au divin Maître votre plus grand désir. »
Cette remarque avait frappé Bobi et Robi. Ils rentrèrent à la maison tout silencieux après cette leçon de catéchisme.
Ils réfléchissaient. Chacun s’interrogeait pour connaître son plus grand désir, mais ils arrivèrent à la maison sans l’avoir trouvé. Le plus important désir, qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Les jumeaux s’assirent sur la barrière toute proche et se mirent à discuter. Des secrets, ils n’en avaient jamais eus l’un pour l’autre.
Peu à peu, l’idée vint à Bobi que sûrement sa vocation était la question la plus importante pour lui en ce moment. Depuis longtemps, il désirait devenir prêtre. Dire la messe, prêcher, remettre les péchés dans la confession, pour sûr, ce serait beau ! Voilà de quoi il voulait parler à Jésus au moment de sa première communion ! Et il voulait lui demander de l’aider. « Qu’en penses-tu ? » demanda-t-il à son frère. Robi fit signe que oui. Ainsi, l’affaire était réglée pour Bobi.
Mais Robi ? Pour lui cela semblait plus difficile, car il pensait à tout autre chose pour plus tard. Il voulait devenir ce qu’était son père : un habile menuisier. Celui-ci possédait un grand atelier, où chaque jour cinq ouvriers rabotaient, sciaient ; où les machines bourdonnaient du matin au soir. Pouvait-on parler de cela à Jésus, le jour de sa première communion ?
Après de longues discussions, les deux garçons trouvèrent enfin la plus importante demande que Robi ferait à Jésus. Il lui demanderait de mourir en état de grâce. Alors il irait sûrement au ciel, et serait sauvé pour toute l’éternité.
Cette résolution prise, le grave entretien était terminé. Les deux enfants sautèrent de la barrière et se dirigèrent en sifflant joyeusement vers la maison paternelle.
Le dimanche de la première communion arriva enfin. C’était un radieux jour de printemps, le ciel était sans nuage. L’âme des enfants était aussi tout ensoleillée, quand Jésus, dans la blanche hostie, vint dans leur cœur. Pas le moindre bruit parmi les petits. Ils étaient agenouillés dans les bancs, le visage dans leurs petites mains. Ils remerciaient, se réjouissaient, aimaient Jésus et lui exprimaient leur grand désir. Aucun ne remuait. Si, pourtant, là, près des jumeaux. Il y avait eu un petit mouvement et un chuchotement. Puis tout redevint tranquille. Qu’est-ce qui s’était passé ? Au milieu de ses prières Robi avait poussé Bobi et lui avait dit tout bas : « Toi, dis-le lui aussi ! »
Bobi avait compris tout de suite ce que Robi voulait dire. Il avait fait un petit signe de tête et continué la demande de son frère : « Bon Jésus, exaucez aussi la demande de mon frère ! Bon Jésus, exaucez aussi le désir de Robi. Faites qu’il meure dans votre grâce et que nous allions tous deux au ciel. »
Des années passèrent. Un jour Bobi reçut un autre nom. C’est que Jésus avait exaucé sa prière du jour de la première communion. II devint prêtre et entra dans un couvent. Là, comme c’est l’usage, on lui donna un nouveau nom : il s’appela Père François.
Et Robi ? Que devint-il ? Ah, quelle aventure ! Combien son frère avait déjà prié pour lui ! Chaque fois qu’il était à l’autel et qu’il tenait Jésus dans ses mains, il lui semblait que quelqu’un le poussait et lui demandait : « Toi, dis-le lui aussi ! » Et chaque jour, il le disait au Bon Pasteur et le priait de prendre soin de son cher frère, et de le ramener. Car Robi était devenu une brebis égarée. Il ne voulait plus prier, ni rien savoir de l’église. Quand son frère lui faisait des remontrances, il n’avait qu’un sourire moqueur. Il devenait même parfois rude et injurieux.
Comment Robi avait-il pu changer ainsi ? Après avoir terminé ses classes, il avait fait son tour du monde. Il avait vu beaucoup de choses, mais il avait désappris la piété. Au service militaire, il était devenu aviateur, ce qui le rendait encore plus fier. Quand il volait avec sa machine, il s’imaginait que le ciel et la terre lui appartenaient, et qu’il pouvait se passer de Dieu. Mais le Bon Dieu ne l’avait pas oublié. Il n’avait pas oublié la prière du premier communiant et elle allait être exaucée. Voici comment :
Un lundi matin, le Père François, c’est-à-dire son frère Bobi, rentrait à la maison, venant d’un petit village où il s’était rendu le dimanche pour y exercer son saint ministère. II y avait une bonne heure de marche jusqu’à la prochaine station. Il allait son chemin, tout pensif, quand tout-à-coup, un vrombissement se fit entendre les airs. À une grande hauteur, un avion planait. Fier comme un aigle, il décrivait ses cercles. Puis — un éclat, une panne — l’avion renversé tomba comme un éclair. On n’eut pas le temps de le suivre dans sa chute. Un fracas — et non loin du Père François effrayé, l’avion s’était enfoncé dans la terre. Un terrible accident venait d’arriver.
Aussi vite qu’il le pouvait, le Père François se dirigea vers l’avion fracassé. De tous côtés, les gens étaient accourus. Ils avaient déjà dégagé le blessé des décombres ; ils l’avaient étendu sur le pré. II était là, sans connaissance, perdant son sang abondamment, le visage tout meurtri. Le pauvre n’avait plus longtemps à vivre.
En se penchant sur lui, le Père François fut saisi d’une grande émotion. Celui qui était devant lui, c’était son frère ; son frère pour qui il avait tant prié. Et il était mourant ! Pitié, mon Dieu !
Les gens qui entouraient le blessé ne s’étonnaient pas que le prêtre s’agenouillât près de lui. N’est-ce pas son devoir sacré de consoler les mourants et de les préparer à passer dans l’éternité ? Mais tous étaient surpris de l’entendre appeler le blessé par son nom : « Robi… Robi… ! » Il lui joignit les mains qui tombaient sans force, et commença à réciter de petites prières. « Cœur Sacré de Jésus, j’ai confiance en vous ! » Dix, vingt, trente fois, le Père François répéta cette prière. Il y renfermait toutes celles qu’il avait déjà faites pour son frère. Jésus, n’exaucerait-il pas la prière du premier communiant ? Son frère, devrait-il mourir sans un acte de contrition, sans recevoir l’absolution ? Non ! Cela ne pouvait être !
Tout à coup, le mourant ouvrit les yeux. Etonné, il regarda les gens qui l’entouraient, et son regard tomba sur le prêtre. Alors, ses yeux s’éclairèrent un peu : il avait reconnu son frère. Le Père François profita de ce moment et se remit à prier. O miracle ! les lèvres de Robi répétaient lentement : « J’ai — confiance — en — vous ! » Le Père François traça un grand signe de croix sur son frère mourant. C’était l’absolution pour tous les péchés de sa vie.
Le pauvre Robi n’eut plus à souffrir longtemps. Dieu le délivra de ses douleurs. Le Père François se tenait à genoux à côté de son Robert, priant pour lui. Il pleurait la mort de son frère, mais en même temps, il remerciait le bon Dieu. Jésus avait exaucé la prière faite par Robi au jour de sa première communion et lui, Bobi, avait eu la consolation d’être l’instrument de la miséricorde auprès de ce frère tant aimé.
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