QUATRIÈME SCÈNE
M. LE CURÉ
Le 13 novembre 1927 dans la belle promenade de Mexico, le bois de Chapultepec, une bombe était jetée sur l’automobile d’Obregon, le prédécesseur de Calles. Personne ne fut atteint, les assaillants purent s’enfuir. On arrête le chauffeur blessé qui mourut peu après et un passant, un ouvrier indien, Jean Tirado. Et trois jours plus tard, sans aucune enquête, on arrêtait le P. Miguel Pro, son frère Humberto, l’ingénieur Segura et une dame Montès de Oca, sous le prétexte qu’ils étaient les auteurs de l’attentat.
Les voici en prison avec quelques autres catholiques, entre autres Thomas de la Mora, un jeune garçon de 15 ans, ardent soldat de l’Action Catholique.
(Le rideau se lève. Le canapé et les fauteuils de M. le Curé ont disparu, ils sont remplacés par des bancs et des tables et sur une affiche il y a écrit en grosses lettres : Prison.)
LE P. PRO (joyeux)
Eh bien, je n’ose pas l’avouer, mais je me repose ici. Je n’en pouvais plus. Pourtant le Maître sait bien que je voudrais épuiser la grâce de mon sacerdoce.
HUMBERTO
J’ai enfin dormi moi aussi et je suis content. Jour et nuit sur mon vélo pour appeler les catholiques ! j’avais tellement sommeil ! et toi, Segura ?
SEGURA
Moi je suis en souci de mes ouvriers. On m’a arrêté brusquement. J’ai laissé sur ma table des papiers, des lettres, des affaires en train…
LE P. PRO
Laisse, Segura, Dieu y pourvoira.
HUMBERTO
Et puis on va nous relâcher tout de suite, c’est certain. On sait très bien que ce n’est pas nous qui avons jeté les bombes.
LE P. PRO
Bien sûr ! Mais ce n’est pas une raison. Écoute.
Mme MONTÈS DE OCA, bondissant (c’est Sabine, elle est coiffée avec un grand peigne et une mantille).
… Écoutez ! écoutez quoi ? Sûrement on nous relâchera. (Avec une colère qui monte.) On n’avait pas le droit de nous mettre en prison sans l’ordre d’un juge, et on n’a point d’ordre de juge. On n’a pas le droit de nous mettre au secret. Nous avons le droit de demander un avocat et nous n’en avons point. Nous avons le droit d’être confrontés avec nos accusateurs et nous ne les avons pas vus. Nous avons le droit de citer des témoins à décharge. Rien n’a été fait selon la loi. Je connais les lois mexicaines. Je proteste, je proteste, je proteste !
THOMAS (en admiration)
Oh ! Madame, comme vous parlez bien !
(En Thomas de la Mora on ne peut manquer de reconnaître Madeleine. On n’a pu trouver un jeune garçon pour ce rôle tout en vivacité et en ferveur. Alors M. le Curé a accepté que Madeleine le tienne, et elle y est parfaite.)
Mme DE OCA
Je parle bien parce que je sais ce que je dis. (Poliment.) Mais, mon Père, vous alliez raconter quelque chose. Pardon, je vous ai interrompu.
LE P. PRO
Oui. J’ai appris dans mes courses beaucoup de choses que personne ne raconte, mais qui seront connues un jour… Écoute, Humberto. Tu connaissais Antonio Acùma Rodriguez, comme toi volontaire dans l’armée du Christ ?
HUMBERTO
Oui.
LE P. PRO
Il arrivait de Santiago distribuant partout des mots d’ordre, chargé d’une mallette pleine de munition de feuillets exhortant les catholiques à une résistance fière et tenace.