Témoin

Auteur : Fourré | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Joyeuse, une troupe de jeunes gar­çons sor­tit du stade en se bous­cu­lant. Il y avait la Clau­dius, Dona­tien, Fla­vius, Mar­cus, tous fils de nobles familles romaines… Et les enfants dis­cu­taient ferme entre eux des jeux du matin.

lecture mome - Bas-relief d'un tombeau d'enfants jouant

« Moi, décla­ra Fla­vius, la pro­chaine fois, je lan­ce­rai si bien le disque qu’il dépas­se­ra le but de la lon­gueur de mon bras !

- Bah ! Tu pré­tends tou­jours faire mieux que les autres. N’empêche que tu n’es même pas capable, j’en suis sur, de nous dis­tan­cer à la course, répli­qua Dona­tien avec feu.

- Qu’en sais-tu ? Essayons. »

Et, s’é­tant mise en ligne de départ, la bande, au signal, s’en­vo­la en direc­tion du forum…

Tout à coup, Dona­tien, qui avait pris la tête, ralen­tit l’allure.

« Oh ! Qu’est-ce qui se passe, là-bas ? Regar­dez toute cette foule… Vite, allons voir. »

Jouant des coudes et des mains, les quatre gar­çons eurent tôt fait de se frayer un che­min et d’ar­ri­ver au pre­mier rang du cercle des badauds.

Sur le sol gisait un pauvre noir ensan­glante, le corps cri­blé de coups de lanières. Des sol­dats, armés de leur fouet, un mau­vais rire aux lèvres, s’en allaient. Dans la foule, quel qu’un expliqua :
« C’est un esclave qui a vou­lu se sau­ver. Son maître l’a fait châ­tier comme il le méritait.
– Nous sommes trop bons pour eux. Ils ont chez nous le gîte et le cou­vert, qu’ont-ils besoin de plus ? Et puis, nous les ache­tons suf­fi­sam­ment cher ! »

Le sup­plice était ter­mi­né. Len­te­ment, indif­fé­rente, la foule s’é­cou­la, entraî­nant avec elle Fla­vius, Dona­tien, Claudius.

Seul, Mar­cus res­tait, droit, le visage bou­le­ver­sé, inten­sé­ment ten­du vers le pauvre être qui gémissait…

« Alors, quoi, tu viens ? On conti­nue la course. Mais qu’est-ce que tu as ? deman­da sou­dain Fla­vius en posant un regard inter­ro­ga­teur sur son compagnon.

- Ma parole, on ne dirait pas que tu es des pre­miers au stade pour t’a­pi­toyer ain­si à cause d’un peu de sang qui coule, conti­nua Clau­dius. Tu ne veux pas ? A ta guise ! Seule­ment, tu ferais mieux de venir avec nous. Si un sol­dat te voyait, il pour­rait tout supposer ! »

Mar­cus sem­blait ne pas avoir enten­du. Puis, tout à coup, lais­sant ses amis inter­lo­qués de sem­blable audace, il s’ap­pro­cha de l’homme qui venait d’ou­vrir les yeux :

« Mon ami, tu souffres ? Ne bouge pas, je vais te soigner. »

Et, ayant déchi­ré un pan de sa tunique, il essuya le sang qui cou­lait des plaies.

Un pauvre sou­rire se des­si­na sur les lèvres déco­lo­rées… Le regard du bles­sé se posa sur l’ :

« Pour­quoi me soignes-tu ? Nous autres esclaves, on nous traite tou­jours comme des bêtes…

- Parce que tu es mon frère. »

Ce fut tout ; mais il y avait tant d’a­mour dans ces simples mots qu’un immense bon­heur enva­hit le cœur du pauvre noir. Quel­qu’un sur terre l’ai­mait donc ?

***

littérature jeunesse - Catacombe romaineTrois jours plus tard. L’aube va poindre sur la ville encore ensom­meillée. Déjà, les lueurs roses strient l’ho­ri­zon. D’une mai­son basse à la porte voû­tée, une, puis deux, puis trois sil­houettes sortent fur­ti­ve­ment, sui­vies de beau­coup d’autres. Elles n’ont pas vu des ombres qui, se cachant, ram­pant, entourent et cernent l’en­trée. Sou­dain, avant que .per­sonne ait eu le temps de pous­ser un seul cri, des sol­dats bon­dissent et s’emparent de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants.

« La bonne prise ! se moque le capi­taine. Vous avez beau vous cacher dans des sou­ter­rains, et loin de vos demeures : l’Em­pe­reur est puis­sant. Qui­conque enfreint sa loi est vite châtié. »

Nar­quois, conqué­rant, l’homme continue :

« Voi­là le noble Ter­tius, conseiller de notre maître ! Nous ver­rons si tu sau­ras aus­si bien par­ler devant les bêtes que lors des réunions du forum. Et voi­ci Roga­tien, l’es­clave affran­chi qui s’est fait chré­tien, l’ingrat ! »

Tout à coup, le sol­dat s’est plan­té, hai­neux, devant un enfant de treize ans :

récit à télécharger - Sacrement du baptême dans les catacombes

« Tiens ! Comme on se retrouve : Mar­cus, le fils du Séna­teur ! Oh ! mais, je te recon­nais. N’est-ce pas toi qui, l’autre jour, sur la place, as osé soi­gner un noir ? Le nie­ras-tu main­te­nant, que tu es chrétien ? »

L’en­fant se redres­sa de toute sa taille. Il y avait de la fier­té et de la joie sur son visage. Il était fort : le matin même, dans la crypte basse, sur son front avait cou­lé l’eau du bap­tême, l’eau qui avait fait de lui un frère du Christ, un fils de Dieu.

Regar­dant droit dans les yeux le sol­dat qui rica­nait, sim­ple­ment, il répondit :

« Tu ne te trompes pas : je suis chrétien. »

***

Une semaine après, des gardes condui­saient vers le cirque aux bêtes, des hommes, des femmes enchaî­nés. Tous chan­taient. Ils ne sem­blaient pas sen­tir les coups de fouet qui les cinglaient.

invitation à la lecture - jeux du cirque et martyrs chrétiensPar­mi eux, il y avait un enfant de treize ans : Mar­cus, le fils du Séna­teur. Un fier petit gars qui avait pré­fé­ré la mort plu­tôt que de renier son Dieu. Un petit gars qui est le frère de tous les autres gar­çons de main­te­nant qui ont une croix à leur béret brun, et qui, comme lui, sont prêts à être témoins du Christ.

S. Four­ré.

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