Étiquette : <span>Épiphanie</span>

Auteur : Roc, J. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Il nei­geait depuis la veille. On ne voyait plus le che­min, ni le mur du pota­ger, ni les toits des ruches. Mais Mme Duteil ne se tour­men­tait pas. Elle avait arra­ché à temps les der­niers légumes, empaillé le tuyau de la pompe, mis le bois à l’a­bri, bou­ché le sou­pi­rail de la cave pour que les pommes de terre ne gèlent pas. Gestes de pré­voyance qu’elle accom­plis­sait seule depuis trois ans que son mari était en sana­to­rium. À la belle sai­son, un jar­di­nier venait l’ai­der ; l’hi­ver on s’en pas­sait. D’ailleurs il y avait Rosie, déjà forte pour ses treize ans.

Histoire pour le KT - Chalet sous la neige

Ce matin-là, un matin de neige, elle se déso­lait, Rosie.
« Un temps pareil pour l’ ; per­sonne ne vien­dra cher­cher notre « part à Dieu ».

Elle était si belle, la part de la  ! Sui­vant la volon­té de l’ab­sent, on la dou­blait main­te­nant afin de le repré­sen­ter dans ce geste d’of­frande. La pre­mière année, ça avait été la mère Che­nue qui en avait béné­fi­cié ; la seconde, Joa­chim, le tau­pier ; la troi­sième, un men­diant incon­nu. Mais à cette heure la mère Che­nue était à l’hos­pice et le tau­pier était mort. Quant à comp­ter sur un pauvre de pas­sage, il n’y fal­lait pas son­ger. La neige iso­lait la ferme aus­si sûre­ment que la mer une île.

« Que veux-tu, Rosie, papa com­pren­dra bien qu’a­vec le mau­vais temps… »

Et voi­là qu’a­vant que la mère eût ache­vé, Rosie avait cou­ru à son man­teau, enfi­lé de grosses bottes et jeté d’un seul trait :
« J’ai trou­vé à qui la don­ner notre part a Dieu ! Je vais faire un saut jus­qu’à la Mulotière… »

Mme Duteil sur­sau­ta. Rosie déci­dant elle-même de se rendre à la Mulo­tière, mais… mais…

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 8 minutes

récit d'enfants généreux - crecheQu’en penses-tu, Michel ?

– Qu’en dis-tu, Nicolas ?

– Parle aus­si, toi, Luc… »

Par­ler ?… Sou­vent, la chose est aisée aux trois gar­çons. Aujourd’­hui, elle leur semble ter­ri­ble­ment dif­fi­cile : ils vou­draient expri­mer des choses… des choses qui ne sont pas faciles à dire. Alors, ils se taisent ; ils réflé­chissent et concluent seulement :

« Il faut que ça finisse ! »

***

De mémoire d’homme, il y eût des frot­te­ments durs entre les Têtem­bois-de-la-ville et les Têtem­bois-de-la-terre. Ceux de la ville écla­bous­saient les cou­sins pay­sans de leurs toi­lettes et de leur argent, de leur fin par­ler, de leur confort et de leur mépris pour cette allure de rus­tauds endi­man­chés qu’ils pro­me­naient sur les trot­toirs de la ville, les jours de mar­ché. Ceux de la terre se moquaient un brin des cou­sins cita­dins qui ne dis­tin­guaient pas une poule d’un coq, et pour un peu de boue pous­saient des cris de pin­tade effa­rou­chée ; sur­tout, ils ne leur par­don­naient pas de comp­ter pour abê­tis­sant leur rude labeur, et de les tenir pour rustres, parce qu’ils n’a­vaient point appris à débi­ter joli­ment des inuti­li­tés et des men­te­ries. À chaque ren­contre, cela fai­sait des étin­celles ; aus­si, les ren­contres s’es­pa­cèrent de plus en plus : hier, on en était à l’é­change d’une carte au jour de l’an…

Mais le chô­mage sur­vint, et se com­pli­qua de la mala­die, chez les Têtem­bois-de-la-ville, qui se firent « tout miel » avec les Têtem­bois-de-la-terre : « Cou­sin par-ci… Cou­sine par-là… Com­ment allez-vous ?… Quelle joie de vous revoir !… Dites donc ?… le petit a besoin de grand air et de bonne nour­ri­ture ; nous avions pen­sé que, peut-être… »

Les Têtem­bois-de-la-terre sui­vaient le manège d’un œil amu­sé. Tiens ! tiens ! Ça sert donc à quelque chose, ces pay­sans ? On échan­gea des mots acides ; et cela finit très mal.

Mais Luc, Michel et Nico­las Têtem­bois-de-la-terre se demandent par quel bout cet esprit « revan­chard » peut bien s’ac­cor­der avec la Loi de Jésus qui dit de s’ai­mer tous comme des frères. Et, ne trou­vant vrai­ment pas, ils concluent :

« Il faut que ça finisse ! »

Mais com­ment faire finir « ça » ?

***

« Où donc sont les gamins ?

– Dans la chambre, à démé­na­ger la .

– Démé­na­ger la crèche ? C’est pas