Il neigeait depuis la veille. On ne voyait plus le chemin, ni le mur du potager, ni les toits des ruches. Mais Mme Duteil ne se tourmentait pas. Elle avait arraché à temps les derniers légumes, empaillé le tuyau de la pompe, mis le bois à l’abri, bouché le soupirail de la cave pour que les pommes de terre ne gèlent pas. Gestes de prévoyance qu’elle accomplissait seule depuis trois ans que son mari était en sanatorium. À la belle saison, un jardinier venait l’aider ; l’hiver on s’en passait. D’ailleurs il y avait Rosie, déjà forte pour ses treize ans.
Ce matin-là, un matin de neige, elle se désolait, Rosie.
« Un temps pareil pour l’Épiphanie ; personne ne viendra chercher notre « part à Dieu ».
Elle était si belle, la part de la galette ! Suivant la volonté de l’absent, on la doublait maintenant afin de le représenter dans ce geste d’offrande. La première année, ça avait été la mère Chenue qui en avait bénéficié ; la seconde, Joachim, le taupier ; la troisième, un mendiant inconnu. Mais à cette heure la mère Chenue était à l’hospice et le taupier était mort. Quant à compter sur un pauvre de passage, il n’y fallait pas songer. La neige isolait la ferme aussi sûrement que la mer une île.
« Que veux-tu, Rosie, papa comprendra bien qu’avec le mauvais temps… »
Et voilà qu’avant que la mère eût achevé, Rosie avait couru à son manteau, enfilé de grosses bottes et jeté d’un seul trait :
« J’ai trouvé à qui la donner notre part a Dieu ! Je vais faire un saut jusqu’à la Mulotière… »
Mme Duteil sursauta. Rosie décidant elle-même de se rendre à la Mulotière, mais… mais…