Le Seigneur les chassa du Paradis et mit à l’entrée des Chérubins armés d’une épée de feu, pour les empêcher d’aller à l’arbre de vie.
Étiquette : <span>Ange</span>
Temps de lecture : 8 minutes
II
Colette est seule. Quelle chance ! Bruno l’aborde en grand mystère. Il souffle tout bas :
— Je crois que je connais toute l’histoire d’Adam et d’Ève ; mais je voudrais la savoir mieux, pour faire fâcher Nicole. C’est drôle, tu sais, de la mettre en colère ; si je la fais taper du pied, c’est encore plus drôle ! Alors, je viens pour savoir tout, avant elle, Tate.
— Méchant taquin ! Sais-tu que ce n’est pas gentil du tout ? Que dirais-tu si Nicole te faisait enrager aussi ?
— Oh ! fait Bruno avec une moue placide, j’enrage jamais, moi. Quand Nicole m’ennuie, je m’en vais, et alors elle reste toute seule avec son enragement.
— Mais, pour ma part, je n’ai aucune envie de faire de la peine à Nicole, qui ne le mérite pas, et si tu ne vas pas la chercher, je ne raconterai rien du tout.
Bruno regarde Colette. C’est clair, Tate ne cédera pas ; alors silencieusement, comme un vieux monsieur qui sait ce qu’il a à faire, Bruno, à pas comptés, va chercher sa sœur.
Elle arrive d’un pied sur l’autre, se jette au cou de Colette, comme si elle ne l’avait pas vue depuis huit jours, et chantonne :
— Tu es une Tate chérie, qui raconte les plus belles histoires du monde ! On s’est arrêté au paradis terrestre, quand le Bon Dieu avait créé Adam et Ève, alors, après, dis vite, vite ! Qu’est-ce qui est arrivé ?
— Attends un peu. Laissons Adam et Ève dans ce Paradis terrestre, où nous les retrouverons tout à l’heure… Te souviens-tu, Nicole, qu’avant de créer les hommes sur la terre, Dieu avait créé les anges. Dieu leur donna-t-il un corps comme à Adam ?
— Non, non, non, riposte tout d’un trait la petite fille, qui a peur du savoir de Bruno. Ils n’ont pas de corps, ce sont de purs esprits.
— Très bien ! Maintenant, dites-moi, tous les anges sont-ils restés fidèle au Bon Dieu ?
Cette fois Bruno met son pouce dans sa bouche, comme quand il était bébé. C’est le signe certain d’une complète ignorance.
Nicole, au contraire, a pris un petit air suffisant :
— Lucifer, le plus beau des anges, a été un grand orgueilleux, Tate. Il a refusé d’obéir au Bon Dieu et beaucoup d’autres anges sont devenus mauvais comme lui et l’ont suivi dans sa révolte.
— Tu sais leur terrible punition ?
— Oui. Le Bon Dieu les a pour toujours précipités dans l’enfer.
Temps de lecture : 12 minutesLucques, la cité guerrière du Moyen Âge, tour à tour déchirée par les factions, opprimée par les tyrans, attaquée par des républiques voisines, Lucques, la puissante rivale de Pise, était, à cette heure, calme et pacifique. Les armes avaient été déposées pour quelques jours ; les portes de la cité restaient ouvertes ; les tours qui la défendent demeuraient silencieuses. C’était la nuit de Noël ; Noël, nuit merveilleuse, où l’Enfant-Dieu est né dans une étable, où les anges du ciel sont venus annoncer la paix à la terre et la rédemption à l’humanité.
La neige était tombée tout le jour. Elle avait blanchi les collines onduleuses qui couronnent la cité ; elle avait jeté ses flocons épais sur les toits des vieux palais ; elle s’était amoncelée dans les rues étroites. Enveloppée comme d’un voile blanc, la ville ressemblait à une vierge innocente et pure qui s’approche de l’autel. Malgré le vent glacé qui mugissait, la foule, protégée par d’épais manteaux, s’en allait à l’église par bandes joyeuses ; elle semblait répondre à l’invitation des prophètes : « Réjouis-toi, fille de Sion ; tressaille d’allégresse, fille de Jérusalem…Voilà le Seigneur qui va venir avec tout le cortège des saints. » Valeureux guerriers, riches bourgeois, industrieux marchands, tous avaient fait trêve, pour quelques heures, à leurs luttes, à leurs affaires, à leurs plaisirs.
Zite, une pauvre servante, a entendu, du fond du palais où elle sert, les joyeux échos de ces bruits pacifiques. Fleur des montagnes transplantée dans la cité, elle a apporté dans la demeure de ses maîtres le doux parfum du lieu natal. Elle est si pure que sa modeste chambre est, dit-on, illuminée de clartés célestes : si charitable que, pour réparer les imprudences de sa générosité, Dieu, plus d’une fois, a dû venir à son secours. Son angélique piété l’a rendue chère à ses maîtres pieux. Ils en ont fait la dispensatrice de leurs aumônes : les pauvres se sont succédé au seuil du palais, pour recevoir de ses mains virginales le pain qui nourrit et le vêtement qui réchauffe. Aux largesses de ses maîtres, elle a voulu ajouter les siennes et faire l’aumône de sa pauvreté. Zite a tout distribué, jusqu’à ses propres vêtements d’hiver.
Temps de lecture : 9 minutesPendant les huit jours qu’elle passa dans l’étable de Bethléem, Marie n’eut pas trop à souffrir. Les bergers apportaient des fromages, des fruits, du pain, et du bois pour faire du feu. Leurs femmes et leurs filles s’occupaient de l’Enfant et donnaient à Marie les soins que réclament les nouvelles accouchées. Puis les rois mages laissèrent un amoncellement de tapis, d’étoffes précieuses, de joyaux et de vases d’or.
Au bout de la semaine, quand elle put marcher, elle voulut retourner à Nazareth, dans sa maison. Quelques bergers lui proposèrent de l’accompagner, mais elle leur dit :
— Je ne veux pas que vous quittiez pour nous vos troupeaux et vos champs. Mon Fils nous conduira.
— Mais, dit Joseph, abandonnerons-nous ici les présents des Mages ?
— Oui, dit Marie, puisque nous ne pouvons pas les emporter.
— Mais il y en a pour beaucoup d’argent, dit Joseph.
— Tant mieux, dit Marie.
Et elle distribua aux bergers les présents des rois.
— Mais, reprit Joseph, ne pourrions-nous en garder une petite partie ?
— Qu’en ferions-nous ? répondit Marie. Nous avons un meilleur trésor.
* * *
Il faisait chaud sur la route. Marie tenait l’Enfant dans ses bras, Joseph portail un panier rempli d’un peu de linge et de modestes provisions. Vers midi, ils s’arrêtèrent, très fatigués, à l’orée d’un bois.
Aussitôt, de derrière les arbres, sortirent de petits anges. C’étaient de jeunes enfants, roses et joufflus ; ils avaient sur le dos des ailerons qui leur permettaient de voleter quand ils voulaient, et qui, le reste du temps, rendaient leur marche facile et légère. Ils étaient adroits et plus vigoureux que ne le faisaient supposer leur âge tendre et leur petite taille.
Ils offrirent aux voyageurs une cruche d’eau fraîche et des fruits qu’ils avaient cueillis on ne sait où.
Quand la sainte famille se remit en chemin, les anges la suivirent. Ils débarrassèrent Joseph de son panier et Joseph les laissa faire. Mais Marie ne voulut pas leur confier l’Enfant.
Le soir venu, les anges disposèrent des lits de mousse sous un grand sycomore, et toute la nuit ils veillèrent sur le sommeil de Jésus.
* * *
Marie rentra donc dans son logis de Nazareth. C’était, dans une ruelle populeuse, une maison blanche à toit plat, avec une petite terrasse couverte où Joseph avait son établi.
Les anges ne les avaient point quittés et continuaient de se rendre utiles en mille façons. Quand l’Enfant criait, l’un d’eux le berçait doucement ; d’autres lui faisaient de la musique sur de petites harpes ; ou bien, quand il le fallait, ils lui changeaient ses langes en un tour de main. Le matin, Marie, en se réveillant, trouvait sa chambre balayée. Après, chaque repas, ils enlevaient rapidement les plats et les écuelles, couraient les laver à la fontaine voisine et les reposaient dans le bahut. Lorsque la Vierge allait au lavoir, ils s’emparaient du paquet de linge, se le distribuaient, tapaient joyeusement sur les toiles mouillées, les faisaient sécher sur des pierres et les reportaient à la maison. Et si Marie, en filant sa quenouille, s’assoupissait par la grosse chaleur, sans la réveiller ils finissaient son ouvrage.