Catégorie : <span>Revue Bernadette</span>

Ouvrage : Revue Bernadette

En ce temps-là, Hoël II régnait en Petite-Bre­tagne, de par la grâce du ciel… 

Un matin de prin­temps, arri­va, au pays de Léon, un barde étran­ger qui s’en venait de la cour de Chil­de­bert, roi des Francs, et qui cher­chait un vais­seau pour rega­gner sa patrie. 

Son nom était Yvar­nion et il était né là-bas, au-delà du grand océan, dans cette île de Bre­tagne dont il chan­tait, en

s’ac­com­pa­gnant sur la route, les can­ti­lènes mélan­co­liques et les gwerz guer­rières célé­brant les exploits des che­va­liers d’Arthur. 

Mais, las ! Loin du pays natal, il n’est point de joie véri­table pour le cœur et Yvar­nion ne son­geait plus qu’au bon­heur de retrou­ver son île et ceux qu’il y avait lais­sés… À l’aube du jour sui­vant, il allait s’embarquer et, si Dieu per­met­tait un bon vent, promp­te­ment il

aper­ce­vrait les rochers escar­pés bor­dant la côte de l’île de Bre­tagne, ce dont il se réjouis­sait gran­de­ment à l’avance. 

S’é­tant endor­mi pesam­ment, car il était las de tant de che­min par­cou­ru, il eut un songe mer­veilleux : une forme lumi­neuse, sou­dai­ne­ment, se dres­sa au pied de sa couche, et la clar­té qui l’au­réo­lait était tel­le­ment éblouis­sante que le barde ne pou­vait la contem­pler sans cli­gner des yeux…

— Yvar­nion, dit-elle d’une voix plus mélo­dieuse que ruis­se­let cou­lant sous la mousse au prin­temps, il est dans la volon­té du Sei­gneur ton Dieu que tu restes dans ce pays-ci et non pas que tu t’embarques à la fine pointe de l’aube comme c’é­tait ton désir… Tu ren­con­tre­ras, près d’une fon­taine, une jeune fille du nom de Riva­none, tu en feras ton épouse et vous aurez un fils qui édi­fie­ra toute la Bre­tagne par ses rares ver­tus, son savoir et les miracles

qu’il fera… Va, et souviens-toi !

Yvar­nion s’é­veilla gran­de­ment éton­né et, pour tout dire, assez effrayé… Mais, comme il vou­lait retour­ner en son pays, il ne tint pas compte de l’ordre et, s’é­tant vêtu, il s’a­che­mi­na à grands pas vers le rivage. 

Déjà, il aper­ce­vait la mer étin­ce­lante sous la claire lumière de la prime aube et, des­sus, se balan­çant à la houle, le navire qui allait l’emporter, quand, à un coude de l’étroit

sen­tier qu’il sui­vait, der­rière un gros bou­quet d’a­joncs en fleur, appa­rut une fon­taine de pierres grises… 

Auprès, se tenait, une main posée sur sa cruche emplie d’eau lim­pide, une jeune fille qui, immo­bile, sem­blait attendre… 

Et elle était si belle et fraîche, avec ses joues roses, son doux sou­rire et ses yeux sem­blables à l’a­zur du ciel, qu’Y­var­nion s’ar­rê­ta, ébloui…

Ouvrage : Revue Bernadette


Un lièvre qui, à l’ex­tré­mi­té de l’im­mense Asie, semble dres­ser ses oreilles et regar­der vers nous, telle nous appa­raît la Corée, sur­nom­mée par les Chi­nois « le pays du matin calme ». 

Sépa­rée de la Mand­chou­rie, au Nord, par le fleuve Yalou ou du « canard vert », elle s’é­tend sur 1 700 kilo­mètres de long et 700 de large, entre la mer Jaune et la mer du Japon. 

Tour à tour annexée par les Chi­nois et les Japo­nais, la Corée devint soi-disant indé­pen­dante en 1945. Son ter­ri­toire fut alors divi­sé en deux par­ties par cette fameuse ligne de démar­ca­tion qui s’ap­pelle le 38° paral­lèle : soit 10 mil­lions d’ha­bi­tants au Nord et 20 au Sud. 

Et, depuis plus de deux ans 1, une guerre à la fois fra­tri­cide et inter­na­tio­nale ravage le pays.

Voi­là ce qu’est deve­nu « le pays du matin calme » !

Ber­na­dettes2, cette situa­tion tra­gique ne peut vous lais­ser indif­fé­rentes. Pour­quoi ? Mais parce que les Coréens sont des hommes comme nous ! Mais parce qu’ils souffrent ! Mais parce qu’ils ont une âme comme vous !

Et quels hommes ! Un mis­sion­naire qui les connaît bien a dit que dès le pre­mier contact on est en sym­pa­thie avec eux !

Ils sont tra­vailleurs, patients, géné­reux dans l’hos­pi­ta­li­té. Et pour­tant, la mai­son coréenne n’est qu’une chau­mière sans fenêtre : toit de paille sur quatre poteaux de bois et cloi­sons de terre pétrie, deux com­par­ti­ments : l’un pour les femmes, l’autre pour les hommes. 

La Corée, conti­nue le mis­sion­naire, est le pays du cou­rage simple et quo­ti­dien. Les enfants mêmes ne pleurent pas quand ils sont malades ou quand on les punit, et sur les joues des petites filles, les larmes coulent rarement.

Il est vrai que pour eux l’ap­pren­tis­sage du cou­rage com­mence très tôt. 

Tan­dis que les filles aident leur maman en por­tant le petit frère sur le dos, en tra­vaillant dans les champs, en fai­sant la les­sive, même en hiver dans l’eau gla­cée, les gar­çons rap­portent sur leur dos de lourdes charges. 

La Corée est le pays de la sim­pli­ci­té. Comme dans tous les pays du monde, les enfants jouent aux billes et au cerf-volant, et les jeunes gens tirent à l’arc. Mais le jeu natio­nal est la balan­çoire. Une planche posée sur une grosse pierre ou sur un rocher, et voi­ci grands et petits ravis de plai­sir. La fête de la balan­çoire, chaque année, ras­semble jeunes et vieux dans la joie.

Ouvrage : Revue Bernadette | Auteur : Poindron, Georges

Conte pour la fête des Mères.

L’HEURE est mati­nale, mais, déjà, deux pro­me­neurs se hâtent dans l’é­troit sen­tier du grand bois. Toute la sylve en éveil semble vou­loir hono­rer ces deux visi­teurs qui lui consacrent les pre­mières heures de leur jour­née. Les vio­lettes, les aubé­pines, toutes les fleurs, grandes et petites, riva­lisent d’ar­deur : comme il est doux, ce par­fum ! Cou­verte de rosée, chauf­fée par les pre­miers rayons du soleil toute la forêt exhale une odeur chaude, à la fois sub­tile et com­plexe. Comme il est gen­til ce petit gar­çon qu’ac­com­pagne son père ! Mais, où diable va-t-il à cette heure ? Pour­quoi a‑t-il quit­té son lit, sûre­ment douillet, pour cou­rir les bois si tôt ? Les genets qui bordent le sen­tier se penchent sur son pas­sage, comme pour vou­loir cares­ser son doux visage rose. Hélas ! il a l’air triste et sérieux, ce visage rose ! Ses grands yeux bleus font pen­ser à des larmes. Atten­tion ! Alerte ! Ils ont par­lé à voir basse, et voi­là le grand mon­sieur qui quitte le sen­tier bru­ta­le­ment, entre dans le bois à tra­vers les buis­sons. Vien­draient-ils tous deux, comme sont venus, un matin d’hi­ver, quelques-uns de leurs sem­blables, sac­ca­ger nos taillis ? Alerte ! La lutte s’or­ga­nise, les ordres sont don­nés. Les armées d’é­pines aiguisent leurs piquants et s’u­nissent pour ne for­mer qu’une bar­rière mena­çante. Les ronces qui ram­paient redressent leurs longues lianes acé­rées et se pré­parent à grif­fer pro­fon­dé­ment les visages et les mains des témé­raires. Non, ils ne pas­se­ront pas, la forêt se défen­dra, la bataille sera rude.

Sou­dain, dans le grand silence, une petite voix se fait dou­ce­ment entendre :

— Lais­sez-les pas­ser ! Lais­sez-les passer !

C’est la voix d’une vio­lette, tapie à l’ombre d’une majes­tueuse épine.