Saint Hervé, patron du Menez-Bré

| Ouvrage : Revue Bernadette .

Temps de lec­ture : 11 minutes

En ce temps-là, Hoël II régnait en Petite-Bre­tagne, de par la grâce du ciel… 

Un matin de prin­temps, arri­va, au pays de Léon, un barde étran­ger qui s’en venait de la cour de Chil­de­bert, roi des Francs, et qui cher­chait un vais­seau pour rega­gner sa patrie. 

Son nom était Yvar­nion et il était né là-bas, au-delà du grand océan, dans cette île de Bre­tagne dont il chan­tait, en

s’ac­com­pa­gnant sur la route, les can­ti­lènes mélan­co­liques et les gwerz guer­rières célé­brant les exploits des che­va­liers d’Arthur. 

Mais, las ! Loin du pays natal, il n’est point de joie véri­table pour le cœur et Yvar­nion ne son­geait plus qu’au bon­heur de retrou­ver son île et ceux qu’il y avait lais­sés… À l’aube du jour sui­vant, il allait s’embarquer et, si Dieu per­met­tait un bon vent, promp­te­ment il

aper­ce­vrait les rochers escar­pés bor­dant la côte de l’île de Bre­tagne, ce dont il se réjouis­sait gran­de­ment à l’avance. 

S’é­tant endor­mi pesam­ment, car il était las de tant de che­min par­cou­ru, il eut un songe mer­veilleux : une forme lumi­neuse, sou­dai­ne­ment, se dres­sa au pied de sa couche, et la clar­té qui l’au­réo­lait était tel­le­ment éblouis­sante que le barde ne pou­vait la contem­pler sans cli­gner des yeux…

— Yvar­nion, dit-elle d’une voix plus mélo­dieuse que ruis­se­let cou­lant sous la mousse au prin­temps, il est dans la volon­té du Sei­gneur ton Dieu que tu restes dans ce pays-ci et non pas que tu t’embarques à la fine pointe de l’aube comme c’é­tait ton désir… Tu ren­con­tre­ras, près d’une fon­taine, une jeune fille du nom de Riva­none, tu en feras ton épouse et vous aurez un fils qui édi­fie­ra toute la Bre­tagne par ses rares ver­tus, son savoir et les miracles

qu’il fera… Va, et souviens-toi !

Yvar­nion s’é­veilla gran­de­ment éton­né et, pour tout dire, assez effrayé… Mais, comme il vou­lait retour­ner en son pays, il ne tint pas compte de l’ordre et, s’é­tant vêtu, il s’a­che­mi­na à grands pas vers le rivage. 

Déjà, il aper­ce­vait la mer étin­ce­lante sous la claire lumière de la prime aube et, des­sus, se balan­çant à la houle, le navire qui allait l’emporter, quand, à un coude de l’étroit

sen­tier qu’il sui­vait, der­rière un gros bou­quet d’a­joncs en fleur, appa­rut une fon­taine de pierres grises… 

Auprès, se tenait, une main posée sur sa cruche emplie d’eau lim­pide, une jeune fille qui, immo­bile, sem­blait attendre… 

Et elle était si belle et fraîche, avec ses joues roses, son doux sou­rire et ses yeux sem­blables à l’a­zur du ciel, qu’Y­var­nion s’ar­rê­ta, ébloui…

Il fit un pas vers elle et dit : 

— De quel nom, ma belle enfant, dois-je vous bonjourer ? 

La jeune fille regar­da Yvar­nion qui était jeune et beau aus­si et, bais­sant les yeux, elle murmura : 

— J’ai nom Rivanone. 

— À qui devra s’a­dres­ser celui qui sera dési­reux d’ob­te­nir votre main ? 

Riva­none devint plus rose que la fraîche églan­tine qui

enguir­lan­dait la fon­taine et elle répon­dit presque bas : 

— J’ha­bite là, der­rière ce bou­quet d’arbres, avec mon frère Rivoaré… 

Alors, Yvar­nion lui dit com­ment un ange lui était appa­ru en songe, la nuit pas­sée, et elle avoua que le même ange s’é­tait aus­si mon­tré à elle dans son sommeil.

Et tous deux, la main dans la main, émus et silen­cieux, des­cen­dirent le sen­tier fleuri

qui menait à la demeure de Rivoa­ré… Et ils furent mariés le jour même, ain­si que l’ange l’a­vait ordonné. 

Ce fut non loin de là, au vil­lage de Kéré­rân, que leur naquit un enfant qu’ils nom­mèrent Her­vé… Mais, las ! Le pau­vret entrou­vrit au jour des yeux sans regard… 

Ses pru­nelles, cou­leur de ciel, ne voyaient rien de ce qui l’en­tou­rait et il ne sut de la beau­té du monde que ce que

sa mère ten­dre­ment lui conta. Cepen­dant, Her­vé n’é­tait pas mal­heu­reux, loin de là ! et tout le long du jour, et même dans la nuit, chants joyeux et actions de grâces s’é­pan­daient de ses lèvres en tor­rent har­mo­nieux ; son bon­heur n’é­tait pas de ce monde et son âme lumi­neuse, per­pé­tuel­le­ment ravie en extase, jouis­sait de célestes visions qui sur­pas­saient en clar­té et en magni­fi­cence les plus beaux spec­tacles de lu terre. Sa science et son savoir

émer­veillaient les savants théo­lo­giens et les puis­sants et véné­rés évêques de Bre­tagne aimaient à s’en­tre­te­nir avec cet enfant extra­or­di­naire et pri­vi­lé­gié qui connais­sait toutes choses du monde sans avoir jamais rien vu de ses yeux de chair. 11 gran­dit en science et en sain­te­té et, sans doute ayant héri­té de son père, en même temps que sa voix mélo­dieuse le goût de la libre vie aven­tu­reuse, il se mit à par­cou­rir la Bre­tagne entière, mar­chant au

long du jour, cou­chant le soir dans quelque grange, après avoir deman­dé au nom du Sei­gneur la cha­ri­té d’un mor­ceau de pain, ce que nul ne lui refu­sait jamais. 

Il était accom­pa­gné par son fidèle Gui­ha­ran qui, en tout lieu, le sui­vait et l’ai­mait fort, quoi­qu’il exer­çât sou­ventes fois la patience du bon saint ! et un grand loup gris, dont saint Her­vé avait adou­ci la sau­vage nature par ses chants, le gui­dait comme un chien attentif. 

Cha­cun aimait et révé­rait le pieux barde… Il n’y avait point de fêtes sans lui et, dans les grandes cir­cons­tances, les évêques eux-mêmes recou­raient à ses lumières surnaturelles. 

Vers ce temps-là, Comorre le Tyran, qui com­man­dait au pays de Vannes, cou­ron­na la série de ses épou­van­tables for­faits par un crime plus abo­mi­nable que tous les autres : il mit à mort son épouse.

Cette fois, ç’en était trop, et la voix du peuple s’é­le­va par toute la Bre­tagne, récla­mant le châ­ti­ment du cou­pable. Ce qu’en­ten­dant, les pré­lats déci­dèrent de s’as­sem­bler en Concile, afin de pro­cla­mer solen­nel­le­ment sa condam­na­tion et de retran­cher de l’É­glise ce membre pourri. 

Mais, ou serait pro­non­cée la sen­tence ? Pour ceci, les bons pré­lats n’é­taient pas d’ac­cord. Celui de Tré­guier aurait voulu

que ce fût dans sa cité ; de Quim­per, dans la cathé­drale véné­rable ; d’autres jugeaient que ce ne pou­vait être qu’en la métro­pole de Dole… La dis­cus­sion aurait duré long­temps, si l’un d’eux n’a­vait pro­po­sé de s’en réfé­rer à saint Her­vé, ce que tous approuvèrent. 

Sur l’heure, un cava­lier fut dépê­ché à la recherche du barde errant et il dut faire bien des lieues avant de le décou­vrir, cou­ché de son long

dans un cour­til du ter­roir de Péder­nec, sur un lit de sauges en fleurs, dont les cou­leurs écla­tantes fai­saient paraître plus terne et plus misé­rable sa robe fanée par les pluies et les orages. 

Il dor­mait pro­fon­dé­ment, la tête appuyée contre une ruche d’a­beilles qui buti­naient dili­gem­ment par­mi les fleurs. 

De temps à autre, une des abeilles vol­ti­geant au-des­sus des lèvres entrou­vertes d’Her­vé y lais­sait choir dou­ce­ment une goutte de miel doré…

Mais le saint, sachant par révé­la­tion qu’on avait besoin de lui, s’é­veilla sou­dain et, ayant ouï le mes­sage des évêques, il se leva de sa couche fleu­rie et, éten­dant le bras dans la direc­tion du Ménez-Bré, il dit d’un ton inspiré : 

— C’est là-haut, sur la cime sau­vage du mont où le vent souffle sans trêve ni répit que la sen­tence doit être pro­non­cée Va, et dis à ceux qui t’en­voient que telle est la volon­té du ciel ! 

Ain­si fut fait. Peu de jours

après, le tri­bu­nal, com­po­sé de tous les évêques et pré­lats de Bre­tagne au nombre de six-vingts, se réunit sur le som­met de la mon­tagne et atten­dit qu’­Her­vé, qu’on avait prié d’y assis­ter, arrivât. 

Or, le soleil chauf­fait dur sur la cime dénu­dée, per­pé­tuel­le­ment balayée par un vent violent… Les minutes, les heures pas­saient et Her­vé n’ar­ri­vait pas, ce qui fait que quelques hauts digni­taires com­men­cèrent à murmurer.

Au bout d’un temps qui parut très long à tous, le saint appa­rut enfin au haut de la sente étroite esca­la­dant le ver­sant, sui­vi de Gui­ha­ran, rouge et hale­tant, et pré­cé­dé de son loup fami­lier… Et, sans se pres­ser le moins du monde, il ache­vait de man­ger des mûres cueillies en che­min et qu’il tenait dans un pli de son man­teau déteint et déchi­ré en maints endroits. 

Ce que voyant, l’un des prélats,

plus superbe que tous les autres et qui, sans doute, ne l’a­vait jamais ren­con­tré, de mur­mu­rer dédai­gneu­se­ment à l’o­reille de son voisin : 

— Quoi ! c’est pour ce men­diant aveugle qu’on nous fait attendre, nous, pré­lats de Bre­tagne, sur cette cime dénudée ! 

Her­vé, grâce à son don de divi­na­tion, connut ses paroles et, se tour­nant vers lui, il dit doucement : 

— Mon frère, ne savez-vous

point que nous sommes ce que Dieu a vou­lu pour nous. 

Mais à peine avait-il dit ces mots qu’un hur­le­ment déchi­ra l’air, auquel répan­dirent les cris d’é­pou­vante de l’as­sis­tance… Les yeux du pré­lat orgueilleux, sou­dain, s’é­taient élan­cés hors de leurs orbites et ils pen­daient sur ses joues comme deux globes sanguinolents. 

À cette vue, Her­vé plein de com­pas­sion se pen­cha et

cueillit à ses pieds une poi­gnée de simples comme il en foi­sonne sur la mon­tagne et, l’ayant appli­quée sur les orbites vides il les gué­rit immédiatement. 

Vers midi, la déli­bé­ra­tion ayant pris fin et l’ar­che­vêque de Dol, métro­po­li­tain de Bre­tagne, debout sur le plus haut som­met, ayant pro­cla­mé ta sen­tence qui condam­nait Comorre aux quatre vents de l’es­pace, tous les assis­tants se sen­tirent une soif inex­tin­guible… Mais, où trou­ver de l’eau en ce

lieu aride entre tous ? Point il n’y fal­lait songer !

Cepen­dant, Her­vé sou­riait dans sa barbe embrous­saillée et, ayant éle­vé vers le ciel son grand bâton de chêne, il le plan­ta dans le sol. 

Aus­si­tôt, une onde lim­pide jaillit en bouillon­nant et des­cen­dit en cas­cade nei­geuse le long du flanc de la montagne. 

Depuis lors elle coule et jamais, même par grande séche­resse, ne tarit entre les monts jumeaux du Ménez-Bré…, et les pâtres alté­rés viennent s’y

abreu­ver avec leurs moutons. 

Tout au long de sa longue vie, bien d’autres miracles encore fit le bon saint Her­vé…, jus­qu’au jour où, char­gé d’ans, che­nu et décré­pi, mais ayant conser­vé sa paix sereine et sa connais­sance de toutes choses en ce monde et dans l’autre, il ren­dit son âme à Dieu et s’en alla jouir de l’é­ter­ni­té bien­heu­reuse au para­dis où nous le rejoin­drons tous un jour…

Amen !

Naïc KÉLOCH.

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