Étiquette : <span>Larme</span>

Auteur : Poindron, Georges | Ouvrage : Revue Bernadette .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Conte pour la fête des Mères.

L’HEURE est mati­nale, mais, déjà, deux pro­me­neurs se hâtent dans l’é­troit sen­tier du grand bois. Toute la sylve en éveil semble vou­loir hono­rer ces deux visi­teurs qui lui consacrent les pre­mières heures de leur jour­née. Les vio­lettes, les aubé­pines, toutes les fleurs, grandes et petites, riva­lisent d’ar­deur : comme il est doux, ce par­fum ! Cou­verte de rosée, chauf­fée par les pre­miers rayons du soleil toute la forêt exhale une odeur chaude, à la fois sub­tile et com­plexe. Comme il est gen­til ce petit gar­çon qu’ac­com­pagne son père ! Mais, où diable va-t-il à cette heure ? Pour­quoi a‑t-il quit­té son lit, sûre­ment douillet, pour cou­rir les bois si tôt ? Les genets qui bordent le sen­tier se penchent sur son pas­sage, comme pour vou­loir cares­ser son doux visage rose. Hélas ! il a l’air triste et sérieux, ce visage rose ! Ses grands yeux bleus font pen­ser à des larmes. Atten­tion ! Alerte ! Ils ont par­lé à voir basse, et voi­là le grand mon­sieur qui quitte le sen­tier bru­ta­le­ment, entre dans le bois à tra­vers les buis­sons. Vien­draient-ils tous deux, comme sont venus, un matin d’hi­ver, quelques-uns de leurs sem­blables, sac­ca­ger nos taillis ? Alerte ! La lutte s’or­ga­nise, les ordres sont don­nés. Les armées d’é­pines aiguisent leurs piquants et s’u­nissent pour ne for­mer qu’une bar­rière mena­çante. Les ronces qui ram­paient redressent leurs longues lianes acé­rées et se pré­parent à grif­fer pro­fon­dé­ment les visages et les mains des témé­raires. Non, ils ne pas­se­ront pas, la forêt se défen­dra, la bataille sera rude.

Sou­dain, dans le grand silence, une petite voix se fait dou­ce­ment entendre :

— Lais­sez-les pas­ser ! Lais­sez-les passer !

C’est la voix d’une vio­lette, tapie à l’ombre d’une majes­tueuse épine.