Catégorie : <span>Et maintenant une histoire I</span>

Ouvrage : Et maintenant une histoire I

Tan­dis que le tam-tam résonne sur la place du vil­lage, accom­pa­gnant la danse des Noirs, Boga contemple une petite ron­delle de métal que le Père lui a don­née ce matin.

Les nègres peuvent s’a­gi­ter et mener leur ronde infer­nale autour du grand feu de bois, il n’y attache aucune impor­tance ; toute son atten­tion est fixée sur la petite médaille blanche.

Médaille de baptêmeSou­dain, der­rière lui, quel­qu’un a sur­gi, curieux.

« Qu’est-ce que tu tiens donc de si précieux ? »

Boga se retourne inquiet et son visage s’é­claire en recon­nais­sant son cama­rade Kéké.

« Tu vois, quand tu seras bap­ti­sé le Père te don­ne­ra une belle médaille comme cela. »

Kéké pousse un grand soupir :

« Tu sais bien que mes parents ne vou­draient jamais me lais­ser suivre les ins­truc­tions du Père. Et puis M’goo l’a dit, M’goo le féti­cheur l’a dit : Tous ceux que le Père fait chré­tiens deviennent des jeteurs de sort !

— Voyons, com­ment peux-tu croire de telles his­toires ; c’est que M’goo a peur que le Père lui ravisse son influence.

— Tais-toi, Boga, si le féti­cheur t’entendait ! »

Au même ins­tant, un bruit de clo­chettes se fait entendre et une sil­houette appa­raît. L’homme, qui dans chaque main agite un sistre, pousse des cris stridents.

Boga, indif­fé­rent, contemple la scène tan­dis que son ami se serre crain­ti­ve­ment contre lui. M’goo est pas­sé ; mais aurait-il enten­du les paroles de Boga ? Le voi­là qui se retourne et ricane effroya­ble­ment, et ses yeux fixent avec une joie cruelle Boga qui, à son tour, plonge ses pru­nelles claires dans celles du féticheur.

Quelques jours plus tard, Ako, la sœur de Kéké, attend Boga sur le che­min de la mis­sion ; dès qu’elle le voit, elle court vers lui.

« Qu’y a‑t-il ? »

La fillette éclate en sanglots.

Ouvrage : Et maintenant une histoire I | Auteur : Reggie, Marie

Premier commandement[1]

À l’ombre des monts Atlas, juste à l’en­droit où ils se ren­contrent avec les flots bleus, Sal­sa naquit. Certes, l’é­vé­ne­ment pas­sa bien inaper­çu dans la grande ville ; la tri­bu ber­bère elle-même n’y prê­ta pas grande atten­tion ; seule la maman, pen­chée sur le petit être qui venait d’ou­vrir ses yeux sur le monde, cher­chait à per­cer le mys­tère de cette vie com­men­çante : que devien­drait Sal­sa ? que ferait-elle ?

* * *

Ruine de la basilique Sainte Salsa à Tipiasa

Nous sommes aux pre­miers siècles du chris­tia­nisme. Après de nom­breuses per­sé­cu­tions, une ère de paix règne enfin ; les apôtres du Christ par­courent le pays en tous sens, prê­chant et ensei­gnant à tous la dou­ceur de la loi de cha­ri­té. Peu à peu, les temples ont été délais­sés, les faux dieux aban­don­nés, et main­te­nant tout cela s’a­mon­celle en un immense tas de ruines ; le culte de l’Em­pe­reur lui-même a été aban­don­né. À de rares excep­tions près, la popu­la­tion ne vou­lait rendre hom­mage qu’au seul vrai Roi du monde le Christ Jésus.

Mais si les yeux se por­taient sur les monts qui entou­raient la cité, ils pou­vaient encore y voir un temple éle­vé à la gloire d’un dra­gon d’or qui comp­tait, au sein des tri­bus ber­bères de la ville, de nom­breux ser­vi­teurs, par­mi les­quels se pla­çaient les parents de la petite Salsa.

* * *

  1. [1] Pre­mier com­man­de­ment : Un seul Dieu tu aime­ras et ado­re­ras par­fai­te­ment.
Ouvrage : Et maintenant une histoire I | Auteur : Le Douaron, Père Guillaume

J’é­tais à peine arri­vé depuis trois semaines en mis­sion que mon Supé­rieur m’en­voya bap­ti­ser un vieux dans le vil­lage d’A­déane, situé à douze kilo­mètres. J’é­tais heu­reux, je vous l’a­voue. Une dif­fi­cul­té sur­git sou­dain : com­ment ins­trui­rai-je cet homme ?

« Il est bien dis­po­sé, me dit le Père ; je l’ai ins­truit des véri­tés néces­saires ; d’ailleurs, Céles­tin pour­ra les lui rap­pe­ler. Quant au che­min, sui­vez la ligne du télégraphe. »

Croi­rait-on qu’une ligne télé­gra­phique tra­ver­sât la brousse ? Mais sans aucun avan­tage pour le brous­sard, car elle fai­sait cent kilo­mètres sans lais­ser tom­ber le moindre écho du monde civilisé.

Missionnaire et son guideJe me mis en route sous la conduite de Céles­tin, mon guide. Pour pro­vi­sions, un misé­rable pois­son et quelques bis­cuits. Il était sept heures. Quelle marche pénible à la queue leu leu dans ces sen­tiers de brousse aux mille détours, sous un soleil acca­blant, et avec le sou­ci de ne pas poser un pied sans regar­der aupa­ra­vant, car il est facile de trébucher.

* * *

Nous mar­châmes long­temps sans inci­dent. La brousse, les champs de riz, les espaces incultes que tra­ver­saient les biches, les coins de forêt où piaillaient et sif­flaient des mil­liers d’oi­seaux aux plu­mages les plus variés, tout me fas­ci­nait, moi, jeune brous­sard, au point que j’en oubliai la route…

« La ligne ! dis-je à Célestin.

— Nous la retrou­ve­rons là-bas, mon Père. »

Et l’on mar­cha long­temps encore. Le soleil deve­nait bien chaud, quoi­qu’on fût au mois de décembre.

« Onze heures. Voyons, Céles­tin, nous avons dépas­sé le village ?

— Non, mon Père. », me répon­dit-il avec l’air tran­quille de quel­qu’un qui ne s’en fait pas pour quelques kilo­mètres de plus ou de moins. Les Noirs sont d’en­dia­blés marcheurs.

Ouvrage : Et maintenant une histoire I | Auteur : Dardennes, Rose

La mitraille cré­pite, les obus pleuvent ; sœur Julie doit crier très fort pour se faire entendre de ses bles­sés par-des­sus le fra­cas de la bataille. Dans la grande chambre dont les murs tremblent à chaque explo­sion, elle porte des tisanes, fait une piqûre, redresse un oreiller, écrit une lettre sous la dic­tée d’un mou­rant, ras­sure un fié­vreux. Le visage calme sou­rit dans l’en­ca­dre­ment de la cor­nette des sœurs de Saint-Charles.

Soeur infirmière à l'hopital soignant les soldats blessés« Bois ça, mon petit, ça te fera du bien. »

Le gars ne sau­ra pas si le cœur de la sœur tremble en dedans : reli­gieuse de Saint-Charles, pour se pen­cher sur toute souf­france, elle accom­plit sa mis­sion sans défaillance. Hier dans le calme, aujourd’­hui dans le péril, tou­jours comme Dieu voudra…

Dans la salle, des hommes discutent :

« Tu parles d’une bagarre, ça « mar­mite » dur !

— Tout à l’heure on va y pas­ser aussi. »

Mais la sœur inter­vient, tendre et bourrue :

« Pas tant de dis­cours, vous autres ; vous allez me faire de la tem­pé­ra­ture. Et puis ne vous en faites pas mes petits, le Bon Dieu nous protège. »

Ba-a-a-aoum ! ! ! La mai­son tremble jus­qu’en ses fon­da­tions, la reli­gieuse se signe et ferme les yeux ; mais, comme la mort ne vient pas, elle les rouvre, juste pour voir le petit Chau­met qui sort sa tête de ses cou­ver­tures ; alors, son rire mater­nel monte en une envo­lée d’hé­roïsme, plus haut que le cré­pi­te­ment des mitrailleuses, raillant et ras­su­rant le « petit » à la fois.

« Ce n’est pas pour nous, va, mon gars. »

Ouvrage : Et maintenant une histoire I

Eucharistie.

Onze gars du vil­lage de Rivouard, blot­ti au fond de la val­lée, sont par­tis avec leur vicaire par une belle soi­rée de décembre pour esca­la­der la Roche Brune. C’est la courte ascen­sion clas­sique des débu­tants et, mal­gré le petit vent nord-est qui sou­lève par­fois la neige dans un impal­pable pou­droie­ment argen­té, ils ont atteint avant la nuit le refuge de La Pla­cette situé à 2.000 mètres.

A la lueur cli­gno­tante des bou­gies, on s’ins­talle par­mi les rires et les chan­sons. Mais chut ! il faut dor­mir bien vite afin d’être en forme pour l’es­ca­lade du lendemain.

Au réveil, Mon­sieur le Vicaire a déjà pré­pa­ré son autel por­ta­tif sur l’u­nique table du refuge. Dehors, le ciel est tou­jours clair, et la tem­pé­ra­ture s’est même radou­cie. Un peu de gym­nas­tique pour éprou­ver les muscles… quelques bonnes blagues… et les gars ayant sor­ti des sacs leurs mis­sels, se groupent autour du prêtre qui a revê­tu les orne­ments sacerdotaux.

La messe com­mence ; voi­ci l’É­van­gile, l’Of­fer­toire. Dans quelques ins­tants, l’Hos­tie consa­crée rayon­ne­ra dans le refuge. C’est alors que se pro­dui­sit l’im­pré­vi­sible. Un gron­de­ment, d’a­bord loin­tain et sourd, mais qui s’am­pli­fie comme un ton­nerre, fit brus­que­ment lever toutes les têtes. Pas un cri, pas une parole, mais une pen­sée com­mune vient de jaillir : l’avalanche !