Pénitence.
Non, pour sûr, ils ne l’auront pas ! Elle est à nous : nous la garderons ! affirment les gens de Durhaut en descendant la côte.
— Non, pour sûr, ils ne l’auront pas ! clament les gens de Durbas en montant la côte.
Depuis vingt ans, les deux villages se disputent la possession d’un grand menhir roux, planté aux confins des deux territoires. Jamais ils n’ont pu s’arranger. Aujourd’hui, pour la dernière fois, ils vont s’assembler autour de cette trop fameuse Roche-Brune pour essayer de régler le litige : ainsi l’ont demandé maires et curés dans les deux villages. Mais, en route, les vieilles rancunes se raniment.
— Ceux de Durbas nous ont traités de voleurs, de canailles ! Les voleurs, ce sont eux qui veulent nous prendre le menhir ! ronchonnent les Dur-hautains.
— Plutôt ! explosent les Durbassiens. Ils vont voir de quel bois nous nous chauffons, ces Dur-hautains, ces malotrus, voleurs de rochers ! Ah ! on va voir ce qu’on va voir !…
Hélas ! « on va voir » certainement des choses tristes et laides…
Les délégués des deux communes se rangent au-tour du menhir. Durhant au-dessus ; Durbas en dessous.
— Roche-Brune est à nous !
— Mensonge ! elle nous appartient !
— Voleurs !
— Canailles !
— Vous nous paierez ces insultes !
— Nous irons devant le juge. Il nous donnera raison !
— Il vous condamnera, ce sera bien fait !
Le ton monte, les poings se crispent : vont-ils se battre pour cette grande pierre rousse qu’ils donneraient pour deux liards au premier venu. Au premier venu ? oui ; mais pas pour un million à ceux d’en face. Ah ! non. Car ceux d’en face ont dit qu’elle est à eux alors qu’elle est à nous, il nous ont insultés, ils ne l’auront jamais, jamais, jamais !
Ainsi pensent et ruminent les Durbassiens par-devant.
Ainsi ruminent et pensent les Durhautains par-derrière.
Quand soudain un vieux paysan s’avance entre les groupes hostiles.
— Mes amis, dit-il, je me suis toujours efforcé de vous réconcilier. Je n’ai pas réussi. Aujourd’hui, nous allons prendre une décision. Je n’ai plus qu’une chose à vous demander : nos aïeux commençaient toute entreprise sérieuse par la prière : suivons leur exemple, récitons ensemble un Pater.
La stupeur les cloue sur place. Il ôte sa casquette et commence. Les autres suivent, trop surpris pour protester. Mais à mesure que les mots sacrés passent sur leurs lèvres, les cœurs sentent que le vieux a raison ; leur prière se fait plus sincère, leurs voix plus ardentes autour de celle qui les mène.
— Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien…
Le vieux paysan s’est arrêté une seconde :
— Pardonnez-nous nos offenses…
Les mots tombent, un à un, lents, graves, lourds. Les deux parties ont levé les yeux, inquiets de cette soudaine insistance.
— Pardonnez-nous… comme nous par-don-nons…
Il s’est tu.
Il promène son regard clair au-dessus du menhir sur les gens de Durhaut ; en dessous, sur ceux de Durbas. Les uns et les autres courbent le front. Comment iraient-ils demain chercher le pardon de Dieu, s’ils gardent cette rancune sur le cœur ?
— Pardonnez-nous… comme nous pardonnons…
* * *
— Il a raison, dit enfin le maire de Durbas. Nous devons pardonner.
Dans la même seconde, le maire de Durhaut murmure :
— C’est vrai !
Les deux chefs se sont avancés. Ils se tendent la main.
— Les injures pardonnées, que reste-t-il pour nous séparer ?
— Roche-Brune ne vaut pas une dispute…
— Mettons que cette roche servira de borne à nos territoires respectifs : moitié à vous, moitié à nous. D’accord ?
Le maire de Durbas réfléchit :
— Faisons mieux : de cette pierre de discorde, faisons une pierre d’amitié.
C’est ainsi que depuis lors, à chaque Saint-Jean, se rassemblent gens de Durbas et gens de Durhaut tout autour de Roche-Brune pour y chanter un Pater à la lueur du feu de joie brûlant toutes les discordes. Et, le lendemain, ils s’en viennent allègrement chercher le pardon que Dieu leur donne tout comme eux ils l’ont donné.
Rose Dardennes
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