La vie était toujours très gaie dans la famille Dumas. Cela ne peut être autrement dans une maison où habitent quatre enfants, tous en bonne santé. Léon, qui était en cinquième classe, aimait à siffler, ou à crier. Suzette, fillette de dix ans, sautait et chantait toute la journée. Et les deux autres, les petits, un frère de deux ans et une sœur de cinq semaines, faisaient du bruit aussi, à leur façon.
* * *
Un jour tout se trouva calme dans la maison, bien que, personne ne manquât. Y avait-il quelqu’un de malade ? Pas précisément, mais depuis quelques jours déjà, Léon était de mauvaise humeur ; il avait mal aux dents. Depuis hier, il avait une joue enflée, et son humeur allait de mal en pis. On n’aurait su dire ce qui le tourmentait le plus : ses dents, ou ce que sa maman avait ordonné : aller chez le dentiste. Ah ! on n’aime pas y aller, chez le dentiste !
Mais Suzette, pourquoi était-elle penchée sur son livre, toute silencieuse ? Il y avait sûrement quelque chose qui n’allait pas. Elle n’était pas à son affaire. Distraite, elle regardait toujours la même page, sans pourtant la lire. Était-ce compassion envers son frère ? — Avait-elle mal, elle aussi ?
Oui, Suzette avait mal ; pas aux dents. Suzette avait mal dans son cœur, qui battait fort et drôlement, surtout le soir, quand elle ne pouvait pas dormir. Suzette avait peur de la confession.
Vous êtes étonnés, mes enfants, n’est-ce pas ! Pourquoi avoir peur de la confession ! Ce n’est pas une chose si terrible ! Aussi, Suzette n’en avait-elle pas eu peur non plus, la première fois. A l’approche de Noël, elle avait compté les jours, non seulement à cause des cadeaux qu’elle recevrait, mais parce qu’elle pourrait aller se confesser pour la première fois. Non, pour la première confession elle n’avait pas eu peur, au contraire, elle s’était réjouie !
Mais, cette deuxième confession, elle la craignait ! Ces jours derniers, M. le Curé avait dit : « Mes enfants, la semaine prochaine vous pouvez de nouveau vous confesser. Vous le ferez aussi bien que la première fois ». Alors, Suzette effrayée avait tenu les deux mains sur son cœur, qui paraissait vouloir sauter, tellement il battait vite et fort.
Pauvre Suzette ! Qu’as-tu fait ? — L’enfant avait volé ! — En faisant des commissions pour maman, elle avait gardé quatre sous pour elle. Pendant quelques jours, elle les avait cachés dans un tiroir, se demandant si maman les découvrirait. Puis elle s’en était allée acheter des bonbons.
Comme elle avait honte maintenant ! Elle avait honte d’elle-même, devant Jésus, si bon ! Elle aurait voulu faire n’importe quoi pour lui faire plaisir, en préparation à sa première communion. Elle avait aussi peur de maman. Elle l’évitait. Si le grand frère n’avait pas eu mal aux dents, maman aurait remarqué depuis longtemps que quelque chose n’était pas en ordre chez sa petite.
Suzette enviait presque le grand frère. Lui pouvait aller chez le dentiste avec maman. Si elle pouvait faire la même chose, ouvrir la bouche, que tout soit passé et le péché enlevé ! Ce serait beau ! Elle aurait bien voulu avoir un peu mal pour être de nouveau heureuse et en paix.
Une heure à peine s’était écoulée, Léon était de retour avec sa maman. La vilaine dent avait été enlevée ; triomphant, Léon la montrait à tout venant. Il avait retrouvé sa bonne humeur. Pendant le souper, il se vanta un peu de sa vaillance croyant être un héros. « Je n’eus qu’à ouvrir la bouche toute grande, racontait-il, et d’un coup, le dentiste m’enleva la dent, sans me faire trop mal. »
« Quand notre Léon aura de nouveau mal aux dents, il ira chez le dentiste beaucoup plus tôt », ajouta maman. Et Léon approuva.
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Au jour si appréhendé de la confession, les enfants se préparaient à recevoir le sacrement de pénitence. Les uns cachaient leur visage dans les mains pour trouver leurs péchés sans être dérangés, les autres lisaient dans leur livre ; Suzette, énervée, faisait tantôt l’un, tantôt l’autre. Elle était encore tourmentée par la peur. Une voix lui disait : « Ne le dis pas ! Toi, la première de ta classe ! Tu ne peux confesser une chose pareille. Que penserait de toi M. le Curé ? »
Ce n’était pas une bonne voix, ni un bon conseil. Il n’y a que le diable qui puisse parler ainsi. Il envie les hommes qui peuvent se confesser, car lui-même n’a pu le faire, il a été immédiatement condamné à l’enfer à cause de sa faute. Comme il est faux quand il conseille les hommes ! Avant le péché il dit : « Fais cela ! Ce n’est pas si grave ! Ceux-ci ou ceux-là le font aussi ! Et puis, tu peux t’en confesser après. Qu’est-ce que cela fait ! » Mais quand le péché est commis, il fait voir la faute si grave, et en fait un tel fardeau, qu’on n’ose pas l’apporter au confessionnal.
Suzette entendait aussi une autre voix, celle qui lui voulait du bien : « Dis-le tranquillement. Oui, dis-le en premier, pour que le pire soit passé. Ce sera comme avec Léon chez le dentiste, et tu seras si contente après. »
C’était l’ange gardien qui parlait ainsi. Il aurait aimé veiller de nouveau sur une bonne enfant. Cette même voix rappelait à Suzette les paroles entendues au sermon : « Si on à peur de quelque chose, if faut agir comme un petit enfant, qui, dans tous les dangers, court auprès de sa maman et se cramponne à elle jusqu’à ce que le danger soit passé. C’est ainsi que nous, pauvres pécheurs, nous devrions aller à la Sainte Vierge et nous tenir fortement a elle. »
Toutes ces idées trottaient dans la tête de Suzette. Elle jeta un long regard confiant sur la statue de la Sainte Vierge qui se trouvait tout près. Elle regarda encore uns fois la Vierge avant d’entrer au confessionnal.
Tout se passa très bien ! Suzette connaissait depuis, longtemps la bonté de M. le Curé, mais jamais elle ne l’avait sentie autant qu’au moment où il lui dit : « Ce vol t’a fait beaucoup de chagrin, n’est-ce pas, mon enfant ? C’est pourquoi tu l’as confessé au commencement. Le bon Dieu a vu ta contrition, il te pardonne. Il a plaisir que tu aies confessé ta faute si franchement. Voler de l’argent ce n’est pas beau ; tu vas réparer ce vilain péché en étant très gentille à la maison. Ce n’est pas un péché grave, mais tu feras attention que cela n’arrive plus. Le cœur pur d’un enfant doit être comme une belle église pour Jésus ».
Ces bonnes paroles de M. le Curé, Suzette ne les a plus oubliées. Plus tard, elle a tout raconté à sa maman.
* * *
Comme elle était gaie, Suzette en rentrant à la maison ! Le soleil riait, Suzette riait et Fredi, le voisin, riait aussi. Car lui aussi s’était confessé, et il avait l’air d’en être heureux. Au milieu de chemin, il fît une grande culbute qui amusa beaucoup Suzette. Elle eut envie d’en faire autant Mais, les fillettes ne peuvent pas toujours faire ce que font les garçons ! Pour la première fois, Suzette regretta de ne pas être un garçon.
Le soir, en allant se coucher, Suzette était encore toute radieuse. Quand sa maman se pencha sur elle pour lui dire bonne nuit, elle l’entoura bien fort de ses deux bras, l’attira vers elle, et, tout émue, lui avoua son vol. Les quatre sous appartenaient à maman, et Suzette n’avait pas d’argent pour les restituer.
L’enfant savait que c’était bien de se donner soi-même encore une pénitence après la confession ; voilà pourquoi elle s’était imposée d’avouer son vol à sa maman,
A cet aveu, la maman parut d’abord contrariée ; sa fillette serait une voleuse ? … Elle aurait pris de l’argent ? … Non, ce n’est pas possible ! Mais quand elle vit le repentir de son enfant, elle ne put s’empêcher de la regarder avec amour et de lui pardonner. Elle savait que son enfant ne commettrait plus jamais cette vilaine action.
Comme sa maman la serrait sur son cœur, Suzette comprit qu’elle lui pardonnait, comme Jésus l’avait fait dans la confession.
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