Charité envers Dieu
Toute la journée le canon avait tonné sans arrêt, les mitrailleuses n’avaient cessé de crépiter et les balles de siffler.
Il flottait dans l’air une âcre odeur de poudre. Le sang avait coulé, hélas !
Et le soir tombait sur le champ de bataille comme un immense apaisement.
Profitant de la trêve, des brancardiers passaient, ramassant les blessés d’abord, les morts ensuite. Malgré leurs mouvements précautionneux, ils arrachaient des gémissements de douleur aux grands blessés qui gisaient sur le sol, fauchés par la tourmente.
La nuit devenant dense, ils ne virent point un jeune soldat qui restait étendu à la face de Dieu, comme disait Péguy, au milieu d’un champ de blé à demi ravagé par la bataille.
Au milieu des épis blonds couchés sur le sol, il était étendu, sans connaissance, un mince filet de sang coulant autour de sa tête douloureuse, de sa tête énergique de paysan.
Dans le ciel, les étoiles s’allumaient les unes après les autres, semblant veiller ce terrien de vingt ans qui reposait sur la glèbe qu’il avait tant aimée, seul dans la nuit, seul dans la souffrance.
Sa blessure était grave, certes, et la perte de sang continue qu’il subissait l’affaiblissait graduellement. Pourtant, dans la nuit, sous l’effet de la fraîcheur, il reprit connaissance. Sa blessure brûlante lui faisait mal, il avait soif, il était dévoré de fièvre.
Instinctivement, par gestes saccadés, ses mains palpèrent ce qui l’entourait, cherchant un secours. Elles ne rencontrèrent que la terre rude, la paille rude, les épis durs… A ce contact, un sourire passa sur la face du petit soldat.
La terre, cette grande amie qui ne déçoit pas, qui apaise toute souffrance, allait encore se faire maternellement compatissante pour un de ses fils fauché par la rafale meurtrière.
« Maman ! », appela le blessé.
Hélas ! la pauvre maman était loin de son gars. En réponse à son cri, Pierre n’entendit dans la nuit qu’un bruissement tout proche : au-dessus de sa tête, des épis restés debout frémissaient au vent…
Alors, Pierre sentit qu’il était loin de toute présence humaine ; mais il sentit aussi intensément que Dieu vivait en lui, le possédait totalement. Et ce jeune paysan qui s’était habitué dans le calme de ses champs à travailler en pensant à Dieu présent dans son âme toujours, voulut aussi souffrir avec ce même Dieu, le Dieu des martyrs, le Dieu des forts.
Il s’abandonna complètement entre ses mains et sa pensée ne quitta plus le Christ qui avait souffert, seul, entre ciel et terre, qui avait laissé couler son sang, qui avait eu soif, qui avait appelé son Père…
Pierre revoyait sa vie, tranquille, laborieuse, là-bas au pied de son clocher.
Il se souvenait de sa Première Communion, il pensait qu’il avait voulu chrétiennement labourer les terres de chez lui pour que son blé nourrisse l’humanité, continue le sacrifice du Christ. Il avait toujours regardé son beau métier de cultivateur comme un sacerdoce. N’en était-ce pas un puisque son blé devenait hostie ? Honneur immense que lui faisait le Christ en l’appelant à une si haute mission.
Et maintenant Pierre allait mourir ; il le sentait bien ; son sang coulait sur la terre, teintant les épis couchés à côté de lui, sa main droite serrant une petite croix, l’autre caressant le blé mûr.
Et il s’éteignit dans la paix de Dieu.
Autour de lui, les épis s’inclinèrent et le vent murmura avec eux : « Requiescat in pace — qu’il repose en paix ! »
Le lendemain, à l’aube, un brancardier découvrit Pierre, le jeune terrien, qui reposait au milieu des blés mûrs, serrant entre ses doigts la croix. Il ne voulut point le déranger sans avoir appelé l’Aumônier du régiment.
Lorsque le prêtre vit ce visage si calme, ces mains rudes caressant la croix rédemptrice et le blé empourpré de sang, il voulut lui-même relever ce soldat-terrien.
Puis, après avoir béni son lieu de repos, il revint a l’endroit du sacrifice, cueillit respectueusement le blé qui était magnifié pour toujours, et l’emporta précieusement pour le faire transformer en hosties.
Quelques semaines plus tard, le même prêtre montait à l’autel pour offrir à Dieu le Père une hostie immaculée, faite avec les petits grains de blé empourprés du sang de Pierre, une hostie qui allait devenir le Corps même du Christ, le Pain de Vie.
Ainsi, le vœu de Pierre était exaucé ; son sacrifice à lui était intimement mêlé à celui de Jésus, il n’était pas mort en vain, il n’avait pas vécu en vain toute sa vie en vrai chrétien : maintenant il revivait dans la Communion des Saints.
Tous les ans, sur les champs de bataille parsemés de petites croix, les blés mûrissent sous le soleil. Tous les ans, à l’endroit où le sang de Pierre a coulé, les coquelicots fleurissent plus beaux, plus vermeils, pour rappeler aux petits frères de Pierre qu’un sacrifice n’est jamais vain.
L. Demetz.
(Souvenir du champ de bataille de Gravelotte-Rezonville.)
Magnifique !
Très grand merci !
Dieu vous bénisse !
Ce récit est si émouvant que les larmes viennent !
Je l’imprime et le garde précieusement !
Il faut le montrer aux jeunes pour qu’ils voient ce qu’est la VRAIE VIE ! et non les turpitudes qu’on leur enseigne et leur montre non stop !
La VRAIE VIE peut, parfois, demander le SACRIFICE SUPRÊME, comme c’est le cas ici, et du sang de chaque Saint, nait une MOISSON de Chrétiens qui, à leur tour, transmettront la FOI !
BRAVO ET MERCI aux personnes qui ont mis ce récit en ligne (ça nous change des aboiements des journalistes couchés – non au « Champ d’Honneur », mais devant les puissants du jour qui leur assurent gamelle bien pleine !
Recevez mes plus courtoises salutations.
Je vous remercie pour ces aimables commentaires.
Moi aussi, ce texte m’a ému. Il est simple, il est beau. Il remet en perspective le sacrifice pour notre terre, le Sacrifice de l’hostie, le pain des hommes et le Pain Divin. C’est un cours de catéchisme, de philosophie, de théologie en poésie.