Pierre, soldat de chez nous

Auteur : Demetz L. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Charité envers Dieu

récit héroïque pour les enfants : guerre, bataille, morts et blessésToute la jour­née le canon avait ton­né sans arrêt, les mitrailleuses n’a­vaient ces­sé de cré­pi­ter et les balles de siffler.

Il flot­tait dans l’air une âcre odeur de poudre. Le sang avait cou­lé, hélas !

Et le soir tom­bait sur le champ de bataille comme un immense apaisement.

Pro­fi­tant de la trêve, des bran­car­diers pas­saient, ramas­sant les bles­sés d’a­bord, les morts ensuite. Mal­gré leurs mou­ve­ments pré­cau­tion­neux, ils arra­chaient des gémis­se­ments de dou­leur aux grands bles­sés qui gisaient sur le sol, fau­chés par la tourmente.

La nuit deve­nant dense, ils ne virent point un jeune qui res­tait éten­du à la face de Dieu, comme disait Péguy, au milieu d’un champ de blé à demi rava­gé par la bataille.

Au milieu des épis blonds cou­chés sur le sol, il était éten­du, sans connais­sance, un mince filet de sang cou­lant autour de sa tête dou­lou­reuse, de sa tête éner­gique de .

Dans le ciel, les étoiles s’al­lu­maient les unes après les autres, sem­blant veiller ce ter­rien de vingt ans qui repo­sait sur la glèbe qu’il avait tant aimée, seul dans la nuit, seul dans la souffrance.

Sa bles­sure était grave, certes, et la perte de sang conti­nue qu’il subis­sait l’af­fai­blis­sait gra­duel­le­ment. Pour­tant, dans la nuit, sous l’ef­fet de la fraî­cheur, il reprit connais­sance. Sa bles­sure brû­lante lui fai­sait mal, il avait soif, il était dévo­ré de fièvre.

Ins­tinc­ti­ve­ment, par gestes sac­ca­dés, ses mains pal­pèrent ce qui l’en­tou­rait, cher­chant un secours. Elles ne ren­con­trèrent que la terre rude, la paille rude, les épis durs… A ce contact, un sou­rire pas­sa sur la face du petit soldat.

Histoire d'un soldat mort pour la FranceLa terre, cette grande amie qui ne déçoit pas, qui apaise toute souf­france, allait encore se faire mater­nel­le­ment com­pa­tis­sante pour un de ses fils fau­ché par la rafale meurtrière.

« Maman ! », appe­la le blessé.

Hélas ! la pauvre maman était loin de son gars. En réponse à son cri, Pierre n’en­ten­dit dans la nuit qu’un bruis­se­ment tout proche : au-des­sus de sa tête, des épis res­tés debout fré­mis­saient au vent…

Alors, Pierre sen­tit qu’il était loin de toute pré­sence humaine ; mais il sen­tit aus­si inten­sé­ment que Dieu vivait en lui, le pos­sé­dait tota­le­ment. Et ce jeune pay­san qui s’é­tait habi­tué dans le calme de ses champs à tra­vailler en pen­sant à Dieu pré­sent dans son âme tou­jours, vou­lut aus­si souf­frir avec ce même Dieu, le Dieu des mar­tyrs, le Dieu des forts.

Il s’a­ban­don­na com­plè­te­ment entre ses mains et sa pen­sée ne quit­ta plus le Christ qui avait souf­fert, seul, entre ciel et terre, qui avait lais­sé cou­ler son sang, qui avait eu soif, qui avait appe­lé son Père…

Pierre revoyait sa vie, tran­quille, labo­rieuse, là-bas au pied de son clocher.

image premiere communion - Le blé, l'hostie et la Croix du SacrificeIl se sou­ve­nait de sa Pre­mière Com­mu­nion, il pen­sait qu’il avait vou­lu chré­tien­ne­ment labou­rer les terres de chez lui pour que son blé nour­risse l’hu­ma­ni­té, conti­nue le du Christ. Il avait tou­jours regar­dé son beau métier de culti­va­teur comme un sacer­doce. N’en était-ce pas un puisque son blé deve­nait hos­tie ? Hon­neur immense que lui fai­sait le Christ en l’ap­pe­lant à une si haute mission.

Et main­te­nant Pierre allait mou­rir ; il le sen­tait bien ; son sang cou­lait sur la terre, tein­tant les épis cou­chés à côté de lui, sa main droite ser­rant une petite croix, l’autre cares­sant le blé mûr.

Et il s’é­tei­gnit dans la paix de Dieu.

Autour de lui, les épis s’in­cli­nèrent et le vent mur­mu­ra avec eux : « Requies­cat in pace — qu’il repose en paix ! »

Le len­de­main, à l’aube, un bran­car­dier décou­vrit Pierre, le jeune ter­rien, qui repo­sait au milieu des blés mûrs, ser­rant entre ses doigts la croix. Il ne vou­lut point le déran­ger sans avoir appe­lé l’Au­mô­nier du régiment.

Lorsque le prêtre vit ce visage si calme, ces mains rudes cares­sant la croix rédemp­trice et le blé empour­pré de sang, il vou­lut lui-même rele­ver ce soldat-terrien.

Puis, après avoir béni son lieu de repos, il revint a l’en­droit du sacri­fice, cueillit res­pec­tueu­se­ment le blé qui était magni­fié pour tou­jours, et l’emporta pré­cieu­se­ment pour le faire trans­for­mer en hosties.

Quelques semaines plus tard, le même prêtre mon­tait à l’au­tel pour offrir à Dieu le Père une hos­tie imma­cu­lée, faite avec les petits grains de blé empour­prés du sang de Pierre, une hos­tie qui allait deve­nir le Corps même du Christ, le Pain de Vie.

Ain­si, le vœu de Pierre était exau­cé ; son sacri­fice à lui était inti­me­ment mêlé à celui de Jésus, il n’é­tait pas mort en vain, il n’a­vait pas vécu en vain toute sa vie en vrai chré­tien : main­te­nant il revi­vait dans la .

Tous les ans, sur les champs de bataille par­se­més de petites croix, les blés mûrissent sous le soleil. Tous les ans, à l’en­droit où le sang de Pierre a cou­lé, les coque­li­cots fleu­rissent plus beaux, plus ver­meils, pour rap­pe­ler aux petits frères de Pierre qu’un sacri­fice n’est jamais vain.

L. Demetz.

(Sou­ve­nir du champ de bataille de Gravelotte-Rezonville.)

Coloriage pour la catéchèse - Au paradis avec les saints

3 Commentaires

  1. Jacques a dit :

    Magni­fique !
    Très grand merci !
    Dieu vous bénisse !

    12 novembre 2011
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  2. PINCEMAILLE a dit :

    Ce récit est si émou­vant que les larmes viennent !
    Je l’im­prime et le garde précieusement !
    Il faut le mon­trer aux jeunes pour qu’ils voient ce qu’est la VRAIE VIE ! et non les tur­pi­tudes qu’on leur enseigne et leur montre non stop !
    La VRAIE VIE peut, par­fois, deman­der le SACRIFICE SUPRÊME, comme c’est le cas ici, et du sang de chaque Saint, nait une MOISSON de Chré­tiens qui, à leur tour, trans­met­tront la FOI !
    BRAVO ET MERCI aux per­sonnes qui ont mis ce récit en ligne (ça nous change des aboie­ments des jour­na­listes cou­chés – non au « Champ d’Hon­neur », mais devant les puis­sants du jour qui leur assurent gamelle bien pleine !
    Rece­vez mes plus cour­toises salutations.

    13 novembre 2011
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  3. Le Raconteur a dit :

    Je vous remer­cie pour ces aimables commentaires.
    Moi aus­si, ce texte m’a ému. Il est simple, il est beau. Il remet en pers­pec­tive le sacri­fice pour notre terre, le Sacri­fice de l’hostie, le pain des hommes et le Pain Divin. C’est un cours de caté­chisme, de phi­lo­so­phie, de théo­lo­gie en poésie.

    14 novembre 2011
    Répondre

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