Sainte Anne d’Auray

Auteur : Goldie, Agnès | Ouvrage : Petites Vies Illustrées pour enfants .

Temps de lec­ture : 14 minutes

Yves Nicolazic

, ô bonne mère, 
Toi que nous implorons, 
Entends notre prière,
Et bénis tes Bretons !

Tel était à Rome, le chant de ral­lie­ment de toute la , pen­dant le bre­ton de l’An­née Sainte.

Ce ne sont pas les Bre­tons qui ont choi­si Anne pour patronne ; c’est Dieu lui-même qui a don­né à Sainte Anne la Bre­tagne, et sainte Anne aux Bre­tons. Belle et curieuse histoire.

Il y a fort long­temps, s’é­le­vait au vil­lage de Ker-Anna, (dans l’ac­tuel Mor­bi­han), une cha­pelle dédiée à l’aïeule de Jésus. De cette cha­pelle, détruite vers l’an 700, il ne res­ta dans les siècles sui­vants qu’un sou­ve­nir de plus en plus vague ; des ves­tiges de plus en plus rares, au champ du Bocenno.

Une nuit de l’an­née 1623, Yves , culti­va­teur au vil­lage de Ker-Anna est éveillé par une clar­té qui rem­plit sa chambre. Au milieu de cette grande lumière, il voit une chan­delle allumée.

Six semaines plus tard, même chose ; cette fois au Bocenno.

Sainte Anne d'Auray raconté aux enfants - La chandelle de cire marche à côté de lui
La chan­delle de cire marche à côté de lui

Sou­vent encore, Nico­la­zic trouve sa chambre illu­mi­née par le mys­té­rieux cierge : le plus fort est que, lors­qu’il rentre à la ferme à la nuit tom­bée, « la chan­delle de cire « marche à côté de lui pour éclai­rer son che­min. Plus besoin de lan­terne ! Et, chose curieuse, si le vent balaie la lande, et incline les genêts, la flamme de la chan­delle ne vacille même pas.

Nico­la­zic s’in­quiète. S’il avait bu, rien à cela d’é­trange ; cha­cun sait que le cidre, ça donne des idées… Un brave homme n’a-t-il pas assu­ré avoir ren­con­tré sur sa route une marée de ser­pents. Un peu plus loin, une troupe d’é­lé­phants… en Bre­tagne ! Et que sais-je encore !… Mais Nico­la­zic ne buvait pas ; nul ne l’a­vait vu titu­ber au long des mai­sons et dans les che­mins creux. Chré­tien exem­plaire, il jouis­sait de l’es­time de tous. S’il aper­ce­vait des lumières à la mai­son, aux champs, il n’a­vait pour tant rien d’un illu­mi­né. Alors, que signi­fiait tout cela ?

Si encore il ne fai­sait que voir ; mais il entend : deux fois en cinq semaines, à l’en­droit de l’an­cienne cha­pelle, il a été char­mé par des chants angé­liques accom­pa­gnés d’une musique agréable et d’une intense clar­té qui éclai­rait jus­qu’au vil­lage, à cent mètres de là.

Santez Anna

Un soir, Nico­la­zic s’en va cher­cher ses bœufs au pré de la fon­taine, mais impos­sible de les conduire à l’a­breu­voir, les bêtes refusent d’a­van­cer. Un tel entê­te­ment serait per­mis à des ânes ; com­ment l’ex­pli­quer chez ces bovins dociles à l’ai­guillon ? On sent qu’un obs­tacle les arrête. Nico­la­zic aper­çoit alors une belle dame toute vêtue de blanc ; — Et quel blanc de neige ! et rayon­nant une telle clar­té qu’on y voit comme en plein jour. Elle ne dit rien. Sai­sis, Nico­la­zic et son beau-frère Jean Leroux se sauvent, quittes à reve­nir un peu plus tard cher­cher leurs bêtes qui, cette fois, ne font aucune dif­fi­cul­té pour s’a­breu­ver et ren­trer à l’étable.

Histoire de Bretagne pour les petits - Saisis, Nicolazic et son beau-frère se sauvent
Sai­sis, Nico­la­zic et son beau-frère se sauvent

La Dame Blanche se montre de nou­veau à Yves. Il n’a plus peur. Y a‑t-il là de quoi bou­le­ver­ser un Bre­ton ? Silen­cieux, médi­ta­tif, celui-ci pénètre plus faci­le­ment que d’autres « les réa­li­tés de der­rière le rideau, » ce rideau si épais pour cer­tains, si mince et trans­pa­rent pour d’autres, qui nous cache l’au-delà… rideau qui, pour tous, se déchi­re­ra à la mort comme, à la mort de Jésus, s’est déchi­ré du haut en bas le voile du Temple.

Les signes, les inter­signes, ça connaît les Bre­tons ; encore faut-il savoir ce qu’ils annoncent… Un cierge allu­mé, des clar­tés, des chants, une Dame Blanche silen­cieuse… Nico­la­zic vou­drait per­cer tout ce mys­tère. Au lieu de s’y cas­ser la tête, il prend son cha­pe­let et il prie ; il consulte son confesseur.

Veille de sainte Anne

Par cette belle soi­rée du mois de juillet, le culti­va­teur, grand tra­vailleur, rentre tard chez lui. La hâte de « man­ger la soupe » ne l’empêche pas comme d’ha­bi­tude, de s’ar­rê­ter devant le cal­vaire pour y faire sa prière. C’est telle­ment sa cou­tume que ses voi­sins ont nom­mé cette croix : la croix de Nico­la­zic. Et, pen­dant qu’il prie, sainte Anne lui apparaît.

Il sait bien que c’est elle. Cette fois, il ose la regar­der : frère adop­tif de Jésus, n’est-il pas, lui aus­si, petit-fils de la bonne aïeule ? Elle le traite effec­ti­ve­ment en petit-fils très cher, avec tant de sim­pli­ci­té et de bon­té ! Elle l’ap­pelle par son nom ; elle l’accom­pagne jusque chez lui. Et lui est si ému, qu’il en perd l’ap­pé­tit. Au lieu d’é­cou­ter sa femme qui lui reproche peut-être de lais­ser refroi­dir la soupe dans l’é­cuelle, il va se jeter sur le lit de paille qu’il s’est arran­gé dans la grange pour sur­veiller la récolte de seigle. C’est le pain de demain, le bon pain noir et nour­ris­sant, si savou­reux avec le beurre barat­té par la ménagère.

Pas plus qu’il n’a pu sou­per, Nico­la­zic ne peut dor­mir. Peut-être égraine-t-il encore son cha­pe­let quand, dehors, il entend une troupe de gens, comme une grande mul­ti­tude qui pas­se­rait par le che­min creux. Pour­tant, aujourd’­hui il n’y a point de noce, de ces noces qui groupent tous les habi­tants du pays autour de grands chau­drons de cuivre dans les­quelles mijotent, en plein air, le bœuf bouilli, le bœuf au jus, tan­dis que les femmes fri­cassent le miro­ton… Dans le pré, pla­cées bout à bout, et rele­vées sur le côté, les longues échelles droides qui ser­vi­ront de sièges s’ali­gnent, paral­lèles, des planches basses qui feront tables. Cha­cun appor­te­ra son cou­teau… un verre fera pour deux, et la joie sera pour tous, alors que les contem­po­rains et les contem­po­raines des mariés, (ceux de leur classe), pas­se­ront dans les rangs, pichet en main. Et ensuite on dan­se­ra la ronde… Mais encore une fois, il n’est point de noce, Nico­la­zic eut été invi­té. Si les fian­cés avaient trou­vé la porte close, ils auraient dres­sé contre cette porte un fagot pris dans le tas ; Nico­la­zic aurait compris.

Intri­gué, il sort voir qui sont ces gens qui passent… Rien, per­sonne… Non mais ! Perd-il la tête ? Elle est là pour­tant, bien solide sur ses larges épaules. Un homme de qua­rante ans sait ce qu’il voit et ce qu’il entend. Décon­cer­té, Nico­la­zic rentre à l’é­table et sup­plie Dieu d’a­voir pitié de lui. Il reprend son cha­pelet. — Pas de prière plus apai­sante. — Et en cette nuit de la sainte Anne, il mul­ti­plie les actes de foi, de confiance à la sainte mère, avec un cœur d’en­fant. Là, pas d’illu­sion possible.

La voi­là qui revient à lui et l’in­ter­roge : « Yves Nico­la­zic, n’as-tu jamais enten­du dire qu’il y avait jadis une cha­pelle au Bocen­no ? »

D’é­mo­tion, il ne peut répondre.

Elle conti­nue : « Yves, n’aie pas peur ; je suis Anne, la mère de Marie. Dis à ton Rec­teur, (à ton Curé) que dans cette pièce que vous appe­lez le Bocen­no, il y avait autre­fois, avant même qu’il n’y eut ici un vil­lage, une cha­pelle qui por­tait mon nom. Voi­ci 924 ans et six mois que cette cha­pelle a été rui­née ; je désire qu’elle soit rebâ­tie et que vous pre­niez ce soin parce que Dieu veut qu’on m’y honore ».

La chapelle

Fran­çois d’As­sise aura mis­sion de répa­rer la vieille église de saint Damien, puis la cha­pelle de Notre-Dame des Anges. Nico­lazic, lui, doit faire sor­tir une cha­pelle d’un champ, là où il ne reste que quelques pierres de l’an­cien monu­ment. Stu­pé­fait d’a­voir été choi­si pour cette œuvre, il attend six semaines avant de par­ler, mais sainte Anne revient à la charge, aus­si lumi­neuse, aus­si belle, mais la voix grave comme s’il s’y cachait un reproche. Les grand-mères ne savent pas gron­der ! Sainte Anne se fait encou­ra­geante : « Ne crains pas, Yves Nico­la­zic ; ne te mets pas en peine ; découvre à ton Rec­teur, en confes­sion, ce que tu as enten­du ; parles-en aus­si à quelques hommes pour que vous voyiez ensemble ce que vous pou­vez faire. »

Mon­sieur le Rec­teur prend très mal la chose ; il blâme, se moque, menace… Sainte Anne vient récon­for­ter son fidèle bre­ton : « Ne te fais pas de sou­cis, Nico­la­zic ; accom­plis ce que je t’ai dit et repose-toi sur moi du reste. »

Sept semaines passent, rem­plies de peines et de dif­fi­cul­tés. Nico­la­zic, en bon chré­tien, s’hu­mi­lie sous les paroles dures ; ce n’est pas lui qui tien­drait tête à son Rec­teur et le cri­ti­que­rait ! C’est son devoir à lui d’être pru­dent. (Enfants qui aimez les livres de Madame de Ségur, savez-vous que la paroisse dont dépen­dait Ker-Anna, — la paroisse de Nico­la­zic — était la paroisse de Plu­ne­ret, dans le cime­tière de laquelle reposent la com­tesse de Ségur et son saint fils, Monsei­gneur de Ségur ?)

La confiance de Nico­la­zic redouble quand il s’en­tend dire par la bonne aïeule : « Console-toi ; l’heure approche où ce que je t’ai dit s’ac­com­pli­ra. »

« Vous savez bien, lui répond Yves, les reproches hon­teux qu’on m’a faits » — L’au­­rait-on accu­sé d’a­voir bu ? — « Et puis, je n’ai pas le moyen de bâtir une cha­pelle, encore que je serais bien aise de don­ner pour cela tout mon bien. Me voi­là tout dis­po­sé à faire tout ce que vous vou­drez de moi !

Ne t’in­quiète pas, mon bon Nico­la­zic ; je te don­ne­rai de quoi com­men­cer l’ou­vrage et jamais rien ne te man­que­ra pour l’ac­complir. Je suis assu­rée que Dieu y étant ser­vi, je te four­ni­rai abon­dam­ment ce qui te sera néces­saire… Ne crains pas d’en­tre­prendre au plus tôt la construc­tion de la cha­pelle. »

Le lun­di 3 mars 1625, à la nuit tom­bante, une force invin­cible entraîne le fer­mier vers le Bocen­no. Le champ est toute lumière, des mélo­dies angé­liques rem­plissent l’air. On entend aus­si comme les voix confuses d’une grande mul­ti­tude et le bruit que ferait une foule fran­chis­sant les haies et les fos­sés du clos. Nico­la­zic reste là trois heures, trois heures qui lui semblent une petite demi-heure. Ensuite il ne pour­ra par­ler de ces heures magni­fiques sans pleurer.

Récit pour les jeunes : Sainte Anne d'Auray en Bretagne
Madame sainte Anne se montre encore une fois.

Madame, sainte Anne se montre encore une fois : « Va de nou­veau trou­ver ton Rec­teur, dis-lui, de ma part, que je veux qu’on me bâtisse une cha­pelle sur l’emplacement même de l’an­cienne. On aura bien­tôt des marques cer­taines de ma volon­té. Dans quel­ques jours j’in­di­que­rai l’en­droit du champ où se trouve mon ancienne sta­tue qui était en bois. » Que c’est bon de pen­ser que sainte Anne par­lait ain­si Bre­ton. Elle s’est faite Bre­tonne avec ses Bre­tons, en plein ouest euro­péen, elle qui n’a­vait jamais quit­té sa Pales­tine, à l’ouest de l’Asie.

Mon­sieur le Rec­teur jugea bon de se tenir encore sur la réserve, et accueillit son parois­sien plus froi­de­ment que jamais. Anne revint conso­ler son grand fils : « Mère, faites-les donc des miracles ! Alors au moins, tout le monde connaî­tra votre volonté !

Aie confiance en Dieu et en moi ; vous ver­rez bien­tôt quan­ti­té de miracles et beau­coup de monde venir m’ho­no­rer ici, ce sera le plus grand des miracles. »

La statue

Le ven­dre­di sui­vant, la femme de Nico­la­zic l’ap­pelle toute émue : « Viens donc voir ! » Il accourt : sur la table, des pièces d’argent sont ran­gées en quatre piles : « Oh ! s’é­crie le Bre­ton, sainte Anne avait bien dit qu’elle four­ni­rait aux dépenses de la nou­velle chapelle ! »

Un plus grand allait se produire.

La nuit sui­vante, grande lumière, flam­beau allu­mé, puis appa­ri­tion de la sainte qui lui dit : « Yves, appelle tes voi­sins, emmène-les là où ce flam­beau vous condui­ra ; vous y trou­ve­rez l’i­mage qui te met­tra à l’a­bri des risées ; on connaî­tra enfin la véri­té. » Et elle dis­pa­raît, mais le flam­beau reste. Et main­te­nant, six hommes de Ker-Anna, — dont Nico­la­zic, — suivent le sen­tier qui mène au Bocen­no, pré­cé­dés par le cierge dont la flamme brille comme l’é­toile des Mages. Avec leurs bra­gou-bras, leurs pen­bas, leurs longs che­veux et leurs larges cha­peaux, ils ressem­blent moins aux Rois qu’aux bons ber­gers de Beth­léem che­mi­nant dans la nuit…

L’é­toile s’ar­rête au-des­sus de l’é­table, la chan­delle fit halte en plein champ. Après une légère pause, par trois fois elle s’é­le­va et des­cen­dit. A la troi­sième, elle s’en­fon­ça en terre et dis­pa­rut. Nico­la­zic a vive­ment posé le pied au point indi­qué. Jean Le Roux donne quelques coups de tranche. Dès le qua­trième, l’ou­til ren­contre un objet dur : « On enten­dit un reson qui fit connaître qu’il y avait du bois en cet endroit. » C’é­tait la très vieille sta­tue de sainte Anne, enfouie là depuis bien­tôt mille ans.

Ah ! Sainte Anne avait bien dit qu'elle fournirait aux dépenses.
Ah ! Sainte Anne avait bien dit qu’elle four­ni­rait aux dépenses.

Nico­la­zic n’a donc pas men­ti ; il n’a rien inven­té, Mon­sei­gneur de Ros­ma­dec, évêque de Vannes, s’é­meut ; la cha­pelle s’é­lève, rem­pla­cée depuis par une basi­lique en gra­nit. Capu­cins, Carmes, puis cha­pe­lains, dirigent le pèle­ri­nage, les foules accourent ; beau­coup « péle­rinent » à pied et de très loin. Chaque paroisse vient avec son Rec­teur, ban­nière en tête. Le et le diman­che qui suit, c’est grand Par­don, des évêques pré­sident, toute la nuit des pèle­rins prient, chantent, entendent les messes, reçoi­vent les sacre­ments dans la basi­lique, les enfants dorment, cou­chés sur les bancs. Nico­la­zic ne rêvait donc pas quand il enten­dait les pieds d’une grande foule mar­te­ler le che­min, le son confus des voix. Ces voix qui confondent bre­ton et fran­çais, en des mil­liards d’AVE. .. Qu’est-ce qui peut char­mer sainte Anne plus que ces AVE qui réa­lisent sans fin la gloire de sa fille et de son divin petit-Fils ?

Tan­dis qu’à saint Pierre de Rome[1], le Sou­ve­rain Pon­tife, por­té sur la sédia, regar­dait le dra­peau bro­dé d’her­mine que por­taient quelques Bigou­daines en grand cos­tume, une vieille bre­tonne mur­mu­ra tout émue : « Quel bon grand père ! Comme il aime ses enfants ! »

Si nous pou­vions voir sainte Anne, comme l’a vue Yves Nico­la­zic, sans doute la ver­rions-nous pas­ser toute blanche aus­si, toute bonne et accueillante, bras ten­dus, par­mi ses enfants de Bre­tagne et nous ne sau­rions que dire, comme cette bre­tonne : « quelle bonne grand-mère ! comme elle aime ses enfants ! »

Agnès Gol­die.

Coloriage Sainte Anne d'Auray

  1. [1] A Rome, sainte Anne a une belle grande sta­tue au Pan­théon, là où trô­naient jadis les déesses ido­lâtres.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.