Étiquette : <span>Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus</span>

Auteur : Berthon, Maurice | Ouvrage : Lorsque les saintes de France étaient petites filles .

Temps de lec­ture : 27 minutes

(Lire le début)

Peu après la mort de sa femme, mon­sieur Mar­tin liqui­da son com­merce et, pour se rap­pro­cher de son beau-frère, il vint habi­ter une pro­prié­té aux portes de Lisieux, « Les Buissonnets ».

« Les enfants aiment le chan­ge­ment ». Cette remarque de sainte Thé­rèse expli­que­ra le bon sou­ve­nir qu’elle gar­da, ain­si que ses sœurs, de l’ar­ri­vée dans un Lisieux que ses usines ren­daient pour­tant bien terne au len­de­main d’un Alen­çon égayé par les tou­jours coquettes demeures de cette ville si carac­té­ris­ti­que­ment normande.

Mon­sieur Gué­rin, l’oncle qui accueillit la famille Mar­tin, était phar­ma­cien. Avec sa femme, il for­mait un couple affec­tueux qui sut s’at­ta­cher immé­dia­te­ment le cœur des cinq jeunes orphelines.

Sainte Thérèse - Les Buissonnets Lisieux

Puis c’est l’ins­tal­la­tion des Mar­tin aux depuis célèbres « Buis­son­nets ». Non loin de la ville, un rai­dillon sor­tant de la route de Pont-Lévêque esca­lade une col­line, pour mener aujourd’­hui la foule des pèle­rins aux « Buis­son­nets ». Au milieu d’un jar­din abri­té par des sapins et des frênes, c’é­tait, à l’é­poque, la mai­son alors déjà très vieille, rus­tique, mais sym­pa­thique, que nous voyons, bâtisse ample, solide, colo­rée par ses briques rouges qui la ren­daient attrayante.

La chambre que devaient se par­ta­ger Céline et Thé­rèse, don­nait de plain-pied dans le jar­din de derrière.

Aux « Buis­son­nets », Pau­line fut char­gée de l’é­du­ca­tion de Thé­rèse. Cette der­nière n’a­vait-elle pas choi­si sa nou­velle petite maman ? La mala­die, puis la dis­pa­ri­tion de madame Mar­tin, avaient évi­dem­ment fait perdre plu­sieurs mois à l’ins­truc­tion de l’en­fant. Adroi­te­ment diri­gée par son aînée, Thé­rèse délais­se­ra ses jeux pour l’ap­pren­tis­sage de la lec­ture. C’est le mot « cieux » qu’elle sut le pre­mier lire.

En peu de mois, la petite Thé­rèse a bien chan­gé. L’es­piègle s’est trans­for­mée : « Aus­si­tôt après la mort de maman, mon heu­reux carac­tère chan­gea com­plè­te­ment. Moi, si vive, si expan­sive, je devins timide et douce, sen­sible à l’ex­cès, un regard suf­fi­sait pour me faire fondre en larmes ; il fal­lait que per­sonne ne s’oc­cu­pât de moi, je ne pou­vais souf­frir la com­pa­gnie des étran­gers et ne retrou­vais ma gaî­té que dans l’in­ti­mi­té de ma famille ».

Cet adou­cis­se­ment du carac­tère contri­bue à faci­li­ter la tâche de Pau­line. Celle-ci, au lieu de recher­cher pour sa sœu­rette l’oc­ca­sion de satis­fac­tions sus­cep­tibles de lui rendre son sou­rire per­du, ne craint pas au contraire de lui rap­pe­ler les saintes « pra­tiques », mais par­fois elle doit cepen­dant frei­ner l’ar­deur péni­tente de sa cadette.

Un exemple. Après ce jeu, il fait chaud, très chaud. Pau­line et Thé­rèse sont devant une carafe d’une bois­son rafraî­chis­sante, Pau­line s’en verse un verre, en tend un à sa jeune sœur. Thé­rèse refuse. « Oui, j’ai très soif, mais je vais offrir ce sacri­fice à Jésus ! » Pau­line, qui a exac­te­ment la même soif, peut certes appré­cier ce sacri­fice de Thé­rèse, aus­si a‑t-elle pitié de l’en­fant qui ne détache pas ses yeux de ce verre embué de fraî­cheur. « Prends, Thé­rèse, prends cette bois­son ! Jésus a recueilli ton sacri­fice, fais-en un autre, d’o­béis­sance celui-là, en accep­tant de boire ! »

Et la vie se pour­sui­vait aux « Buis­son­nets », vie nor­male, mais vie nor­male qui, dans l’âme de Thé­rèse avait des reten­tis­se­ments inat­ten­dus. Repas­sons quelques images de cette exis­tence d’une enfant de cinq ans.

Le papa a fait cadeau à sa fillette d’une petite ligne pour pêcher. Thé­rèse lance dans la Touque sa petite ligne, quand mon­sieur Mar­tin y va lan­cer sa grande ligne. Le pay­sage est gra­cieux, les pois­sons ne se font pas trop prier pour mordre aux deux lignes. Ce jeu devrait la pas­sion­ner. Tiens, papa vient de prendre un pois­son ! Peut-être va-t-elle en sor­tir un elle aus­si ! Mais oui, elle en attrape jus­te­ment un ! Dieu, que ce doit être amu­sant ! C’est amu­sant pour toutes les petites filles, ce n’est pas amu­sant pour Thé­rèse, dont l’es­prit a déjà d’autres pré­oc­cu­pa­tions, des pré­oc­cu­pa­tions si belles mais si graves que bien­tôt elle aban­donne sa ligne, s’as­sied sur l’herbe et, « là, écri­ra-t-elle plus tard, mes pen­sées deve­naient bien pro­fondes et, sans savoir ce que c’é­tait de médi­ter, mon âme se plon­geait dans une réelle orai­son. J’é­cou­tais les bruits loin­tains, le mur­mure du vent. Par­fois la musique mili­taire m’en­voyait de la ville quelques notes indé­cises, et « mélan­co­li­saient » dou­ce­ment mon cœur. La terre me sem­blait un lieu d’exil et je rêvais du Ciel. »

Cette pen­sée du Ciel est tou­jours la pen­sée domi­nante de Thé­rèse, elle l’ob­sède sans cesse et sous les formes les plus diverses, dont quelques-unes ne manquent pas de naï­ve­té. Elle-même note­ra : « Je me sou­viens que je regar­dais les étoiles avec un ravis­se­ment inex­pri­mable. Il y avait sur­tout, au fir­ma­ment pro­fond, un groupe de perles d’or, (le Bau­drier d’O­rion) que je remar­quais avec délice, lui trou­vant la forme d’un T, et je disais en che­min à mon père ché­ri : « Regarde, papa, mon nom est écrit dans le Ciel ! » Puis, ne vou­lant plus rien voir de la vilaine terre, je lui deman­dais de me conduire, et, sans regar­der où je posais mes pieds, je met­tais ma petite tête bien en l’air, ne me las­sant pas de contem­pler l’a­zur étoilé ».

« La cer­ti­tude d’al­ler un jour loin de mon pays téné­breux, m’a­vait été don­née dès mon enfance. Non seule­ment je croyais d’a­près ce que j’en­ten­dais dire, mais encore, je sen­tais dans mon cœur, par des ins­pi­ra­tions intimes et pro­fondes, qu’une autre terre, une région plus belle, me ser­vi­rait un jour de demeure stable, de même que le génie de Chris­tophe Colomb lui fai­sait pres­sen­tir un Nou­veau Monde ».

Ce soir-là, le temps très sombre se zèbre sou­dain d’une série d’é­clairs. Une fillette ordi­naire aurait peur. Thé­rèse nous gar­de­ra le sou­ve­nir de ce qu’elle res­sen­tait alors. « Je me tour­nais à droite à gauche, pour ne rien perdre de ce majes­tueux spec­tacle. Je vis la foudre tom­ber dans un pré voi­sin, et, loin d’en éprou­ver la moindre frayeur, je fus ravie ; il me sem­bla que le bon Dieu était tout près de moi ».

Et la Sainte fera elle-même le point de cette exis­tence de petite fille pré­des­ti­née : « En gran­dis­sant, j’ai­mais le bon Dieu de plus en plus, et je lui don­nais bien sou­vent mon cœur, me ser­vant de la for­mule que maman m’a­vait apprise (Mon Dieu, je vous donne mon cœur, pre­nez-le s’il vous plaît afin qu’au­cune créa­ture ne puisse le pos­sé­der, mais vous seul, mon bon Jésus !) Je m’ef­for­çais de plaire à Jésus dans toutes mes actions, et je fai­sais grande atten­tion à ne l’of­fen­ser jamais ».

Thérèse de Lisieux et son papa saint Louis Martin

Sur­tout ne pas offen­ser Dieu, même en jouant, sans faire exprès ! La domes­tique Vic­toire, qui men­tit pour amu­ser cette enfant de six ans, s’at­ti­re­ra cette répri­mande : « Vous savez bien, Vic­toire, que cela offense le bon Dieu ! »

La soi­rée aux « Buis­son­nets », on se dis­trayait autour de quelques jeux de socié­té. Tac­tiques, on déplore le vilain hasard qui attri­bue une série de cartes faibles, on remer­cie le bon hasard qui per­met d’é­chap­per de très peu à la pri­son du jeu de l’Oye, on applau­dit au suc­cès, on est tou­jours heu­reux, on a du mal à conte­nir sa joie, tous s’a­musent franchement.

Et, le jeu fini, c’est le retour au calme. Les aînées lisent à haute voix une page d’un auteur sérieux, peut-être trop sérieux pour ali­men­ter la nuit durant l’es­prit d’un enfant de six ou sept ans, aus­si le papa fait-il tou­jours ter­mi­ner la lec­ture par un conte, une bonne his­toire qui fera rire. Lorsque la lec­trice ferme son livre, mon­sieur Mar­tin, sa petite Thé­rèse sur les genoux, chante les mélo­dies qu’aiment ses enfants, mélo­dies qui par­fois s’é­loignent de la douce mélo­pée lorsque, pour amu­ser la douce Thé­rèse, mon­sieur Mar­tin chante d’une grosse voix la ritour­nelle cruelle de Barbe-Bleue.

Puis, c’est fina­le­ment la prière en com­mun et Thé­rèse, age­nouillée à côté de son père, « n’a qu’à le regar­der pour savoir com­ment priaient les saints ». Et, dans son petit lit, Thé­rèse demande à Pau­line de lui faire la cri­tique de sa jour­née : « Est-ce que j’ai été mignonne aujourd’­hui ? Est-ce que le bon Dieu est content de moi ? Est-ce que les petits anges vont voler autour de moi ?» Si Pau­line répond « non », Thé­rèse pleu­re­ra la nuit entière ».

La Fête-Dieu donne à l’en­fant une pre­mière occa­sion de cette joie qu’elle aura plus tard à pas­ser son Ciel à répandre des roses sur la terre. Oui, quelle joie de semer des fleurs sous les pas du bon Dieu ! « Mais, avant de les y lais­ser tom­ber, je les lan­çais bien haut, et je n’é­tais jamais aus­si heu­reuse qu’en voyant mes roses effeuillées tou­cher l’os­ten­soir sacré ! »

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Temps de lec­ture : 8 minutes

Le same­di 6 jan­vier 1849, se pro­dui­sit dans la Basi­lique Saint-Pierre au Vati­can un pro­dige qui a été rela­té par le jour­nal de la Basi­lique et fut confir­mé par le Pape Léon XIII dans un bref daté du 1er octobre 1885.

* * *

Pour bien com­prendre ce qui se pas­sa il importe d’a­bord de se remettre dans le contexte historique.

À cette date, le Bien­heu­reux Pape Pie IX se trou­vait en exil à Gaëte, dans le Royaume de Naples. L’an­née 1848, en effet, avait vu se suc­cé­der des révo­lu­tions dans toute l’Eu­rope. Rome – capi­tale des États de l’É­glise – n’a­vait pas été épar­gnée par le ferment révo­lu­tion­naire et par les troubles. L’exil du pape dura 17 mois. Pen­dant ce temps, de manière assez fré­quente, le cler­gé et les fidèles de Rome orga­ni­saient dans les diverses églises de la Ville Éter­nelle des céré­mo­nies fer­ventes pour deman­der à Dieu la fin des troubles et le retour du Pape.

Il faut savoir (ceux qui sont allés à Rome et ont eu une visite gui­dée de la Basi­lique Saint-Pierre s’en sou­viennent peut-être) que la Basi­lique Saint-Pierre ne ren­ferme pas seule­ment la tombe du Prince des Apôtres, mais qu’au cours des siècles son « tré­sor » a été enri­chi d’im­por­tantes et pré­cieuses reliques au nombre des­quelles on compte une part impor­tante du Bois de la Sainte Croix (ame­né de Jéru­sa­lem par l’im­pé­ra­trice Sainte Hélène), le fer de la lance avec lequel le cen­tu­rion a ouvert le côté du Christ mort (décou­vert grâce à un miracle, en 1099, par Adhé­mar de Mon­teil dans une église d’An­tioche de Syrie où le reli­quaire avait été emmu­ré par crainte des pro­fa­na­tions sar­ra­sines, puis oublié), et le voile de la pieuse femme qui, sur le che­min du Cal­vaire, avait essuyé le visage ensan­glan­té du Christ.

La sainte Face du Christ durant la Passion
L’i­mage de la de Notre-Sei­gneur dif­fu­sée à la suite du miracle du 6 jan­vier 1849 et telle qu’elle est expo­sée dans l”« Ora­toire de la Sainte Face », à

Ce voile avait reçu le nom de « vero­ni­ca », contrac­tion et lati­ni­sa­tion de veron‘ikon, que l’on peut tra­duire par « image véritable ».

La tra­di­tion les dis­tingue bien en effet :
– d’une part, le lin­ceul – actuel­le­ment conser­vé à Turin mais fut véné­ré à Constan­ti­nople jus­qu’au moment de l’o­dieuse mise à sac de la ville par les croi­sés (en avril 1204) – sur lequel se trouve une image en trois dimen­sions, « pro­je­tée » sur le linge, et qui reste tota­le­ment inex­pli­quée dans l’é­tat actuel des sciences ;
– et d’autre part le linge avec lequel cette cou­ra­geuse hié­ro­so­ly­mite, prise de com­pas­sion, essuya la sueur, le sang et les cra­chats mêlés à la pous­sière qui souillaient le visage du Sau­veur. Sur ce voile, il s’a­gis­sait pro­ba­ble­ment d’une empreinte lais­sée par les matières épon­gées lors du contact direct (et non d’une pro­jec­tion). Il s’a­gis­sait de ce fait d’une image « défor­mée ». Vous obtien­drez quelque chose de sem­blable si vous vous bar­bouillez la figure avec de la suie et que vous vous essuyez ensuite avec un linge : en l’ap­pli­quant sur toute la sur­face du visage, vous obtien­drez ensuite votre propre por­trait, mais vos traits seront défor­més par une espèce d’am­pli­fi­ca­tion, puisque tous les contours de ce qui est en relief se retrou­ve­ront déve­lop­pés à plat.

De très anciennes tra­di­tions, dont on ne veut plus tenir compte aujourd’­hui, nous rap­portent que l’empereur Tibère avait enten­du rap­por­ter cer­taines choses sur ce Jésus qui, même au-delà de la mort, recru­tait des dis­ciples et opé­rait des miracles. Alors qu’il se trou­vait très malade et que ses méde­cins étaient impuis­sants à lui rendre la san­té, il avait appris qu’une image répu­tée mira­cu­leuse du Christ était en pos­ses­sion d’une femme, par­mi ses dis­ciples. Il la fit donc recher­cher et venir à son che­vet ; il enten­dit de sa bouche le récit de la du Sau­veur et recou­vra la san­té en contem­plant son image, cette veron‘ikon, dont le nom finit par être don­né à la femme qui avait béné­fi­cié du miracle.

Le voile mira­cu­leux res­ta donc à Rome où il est répu­té demeu­rer aujourd’­hui encore. Il n’est plus guère expo­sé à la véné­ra­tion des foules de nos jours, mais j’ai eu l’oc­ca­sion de ren­con­trer un vieux cor­de­lier qui l’a­vait vu de près sous le règne de Pie XII et m’a expli­qué que l’i­mage figu­rant sur le voile était tel­le­ment estom­pée qu’elle était deve­nue presque imper­cep­tible à l’œil.