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Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 14 minutes

XII

Là-bas, dans les deux petites mai­sons, à l’a­bri des lau­riers-roses, les enfants, las d’at­tendre le retour de l’Oi­seau-Bleu, se sont endor­mis ; mais maman, Gene­viève et Jacques, se cachant mutuel­le­ment leur angoisse, sont demeu­rés au jar­din, inter­ro­geant à tout ins­tant le ciel de leurs regards inquiets. Les étoiles luisent par mil­liers, sur un fond de velours saphir, dont rien ne peut peindre la pro­fon­deur et la beau­té… C’est une admi­rable nuit d’O­rient, silen­cieuse, enve­lop­pante, belle jus­qu’à l’infini.

Mais, pour ceux qui, ce soir la contemplent, une seule pen­sée domine : sera-t-elle tra­ver­sée bien­tôt du bruit d’un moteur qui approche ? Celui qui a jeté dans ses pro­fon­deurs ces mil­lions d’é­toiles a‑t-il vou­lu sou­te­nir et pro­té­ger l’oi­seau frêle, construit de main d’homme, qui ne rentre pas ?

Les heures se suc­cèdent. De temps à autre, les trois guet­teurs coupent le silence de quelques mots, puis de nou­veau se taisent, devant l’an­goisse de plus en plus envahissante.

Maman égrène son cha­pe­let, on entend les grains se heur­ter sur ses genoux. Jacques, la main dans sa poche, en fait autant. Gene­viève, mal­gré son affreuse inquié­tude, remer­cie Dieu d’a­voir gar­dé près d’elle ses deux petits ; … mais Bernard !

Il est 2 heures du matin et la nuit devient froide.

— Ren­trons, dit Jacques fer­me­ment. Il ne s’a­git pas d’at­tra­per mal. De la mai­son, nous sur­veille­rons aus­si bien. Venez…

Et l’on rentre,… mais pour demeu­rer près de la fenêtre ouverte, le cœur tenaillé par l’angoisse.

Brus­que­ment maman sursaute :

— Cours, Jacques, c’est la son­ne­rie du téléphone !…

Et elle essaye de suivre l’of­fi­cier, tout en se cram­pon­nant aux meubles, pour ne pas tom­ber, tant est atroce son inquiétude.

Elle entend vague­ment : Allo… oui,… puis plus rien. On en dit long à l’autre bout du fil. Alors les deux femmes demandent ensemble, comme mal­gré elles :

— Sont-ils morts ?

D’un signe de la main, Jacques fait signe que non, et demeure l’o­reille ten­due, col­lée au récepteur.

Enfin sa phy­sio­no­mie prend une expres­sion de détente :

— Bien, j’y vais.

Et il rac­croche. Puis, se tour­nant vers maman :

— Rien de grave, j’es­père, une panne inex­pli­cable dans le désert aux envi­rons de Ram­leh. Les offi­ciers anglais ont pré­ve­nu notre centre, qui me donne l’ordre de par­tir à l’ins­tant cher­cher les res­ca­pés. Je file.

— Mais enfin, sont-ils blessés ?

Jacques esquisse un nou­veau geste ras­su­rant, tout en ouvrant la porte :

— Je ne crois pas, les offi­ciers m’ont don­né peu de détails, mais ils m’ont affir­mé qu’il n’y a rien de grave. Lais­sez-moi par­tir, ça presse, et priez bien.

D’un coup sec, la porte se referme.

On devine ce que fut le reste de la nuit, l’in­ter­mi­nable mati­née. Enfin, vers 13 heures, une auto stoppe devant la mai­son. Jacques est au volant, Ber­nard et Jean ouvrent les deux por­tières à la fois, mais l’aî­né, les traits dou­lou­reux, sort dif­fi­ci­le­ment de la voi­ture ; Jean lui aide. Ensuite, dou­ce­ment, pen­chés tous les deux vers l’in­té­rieur, ils cherchent à déga­ger un matelas.

Très len­te­ment, avec le secours de Jacques, ils l’at­tirent au dehors. Colette, qui héroï­que­ment cherche à sou­rire, y est allongée.

Maman a tout vu. En une seconde elle est là, murmurant :

— Ma petite fille ché­rie, qu’as-tu, mon Dieu ? Et puis, où est ton père ?

Mais déjà les jeunes gens ras­surent Papa va ren­trer avec l’oi­seau. Tout va bien. C’est seule­ment Colette qui a un peu mal à la jambe.

— J’ai deman­dé le chi­rur­gien, dit Jacques posé­ment. Jus­qu’à ce qu’il arrive, lais­sons-la éten­due, ici dans le bureau, pour ne pas la remuer inutilement.

Non seule­ment, selon l’ex­pres­sion des gar­çons, Colette avait un peu mal à la jambe, mais bien une frac­ture grave. Pen­dant des jours et des jours elle devrait demeu­rer sur place, allon­gée dans un appa­reil de plâtre, elle, la vivante et alerte Colette, que rien n’ar­rête jamais !

Mais, sachant à quel péril grave tous ont échap­pé, elle ne se plaint pas. Dès qu’elle est assez bien pour « cau­ser », les trois petits entre­prennent de la dis­traire, en se fai­sant racon­ter par le menu cette pas­sion­nante aven­ture. Pas un ins­tant ils ne songent que la dis­trac­tion sera pour eux et que Colette se fatigue vite.

Elle, cher­chant à oublier son mal, se prête au jeu ; et puis, pour tout de bon, son rôle de pro­fes­seur la reprend tout entière, et elle raconte indé­fi­ni­ment. Le mer­veilleux vol de Bey­routh au Caire, les des­crip­tions de l’, entre­mê­lées des détails de la vie de , sa nais­sance, son sau­ve­tage, sa fuite, son retour, les plaies d’É­gypte, l’en­tê­te­ment du Pha­raon… comme c’est cap­ti­vant ! mais ce qui pas­sionne posi­ti­ve­ment les trois petits, c’est le voyage de retour, et cet acci­dent dans le désert des Hébreux.

Jamais les petits yeux noirs de Nicole n’ont brillé d’un plus ardent inté­rêt, tan­dis que, se tré­mous­sant sur sa chaise basse, contre le lit de sa tante, elle dit de sa voix impa­tiente et futée

— Alors, Tate, vous êtes par­tie du Caire de très grand matin ?

— Oui, de très grand matin. L’eau du Nil était ravis­sante, un peu rose et miroi­tante, et, à cause de vous, nous avons volé très bas.

gravure : Les Israélites mangent la Pâque en Égypte

— À cause de nous, pourquoi ?

— Pour tout voir, tout regar­der, afin de bien vous expli­quer au retour.

La veille au soir, papa nous avait lu, dans la Bible, les pages qui racontent la fin de l’his­toire de Moïse. Nous nous sommes mis à en recons­ti­tuer tous les détails, dès que nous avons atteint ce que fut jadis la terre de Gessen.

Nous nous ima­gi­nions là, au des­sous de nous, toutes les tentes et les mai­sons des Hébreux, mêlées aux habi­ta­tions égyp­tiennes, si bien mélan­gées que, pour dési­gner les demeures du peuple de Dieu, il fal­lut les mar­quer d’une croix au moment du pas­sage de l’ange exterminateur.

— Qui c’é­tait l’ange exter­mi­na­teur ? Celui que Dieu avait char­gé de punir les Égyp­tiens, en fai­sant mou­rir leurs fils aînés.

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 12 minutes

XI

— Quand finit ta per­mis­sion, Bernard ?

— Dans quatre jours, mon oncle.

— Que dirais-tu d’une ran­don­née en  ? Il faut que j’aille au Caire. Nous sommes abso­lu­ment sûrs de l’oi­seau désor­mais, et j’ai une envie rouge d’emmener Colette et Jean, qui a deux jours de congé cette semaine. Pour plus de sûre­té, je t’au­rais sous la main… Qu’en penses-tu ?

— Que ça m’enchante.

— Alors nous décol­le­rons demain matin de très bonne heure.

— Enten­du, mon oncle, et merci.

.… .… .… .… .… .… .… .…

Colette, enthou­sias­mée d’être du voyage, s’ins­talle la pre­mière dans l’Oi­seau-Bleu, lequel est un avion der­nier modèle, extrê­me­ment confortable.

Les deux petits assistent au départ, conster­nés. On ne les emmène pas. Nicole pleure, le nez dans un mou­choir trop petit. Les larmes coulent des deux côtés…

— Si Jacques était libre, explique Ber­nard, il serait venu à ma place et vous eût pris avec lui ; mais c’est trop grave d’emmener deux gosses comme vous sans leur papa. Arran­gez-vous pour obte­nir qu’il soit du pro­chain départ.

Là-des­sus, Ber­nard et Jean sautent à leur tour dans la car­lingue et, quelques minutes plus tard, les ailes bleues montent vers le ciel, toutes brillantes de la splen­dide lumière du matin.

— Papa, crie Colette, ne volez pas trop haut. J’ai tel­le­ment pro­mis aux petits de tout regar­der pour leur racon­ter ensuite.

— Au retour, mon­sieur le pro­fes­seur. Pour l’al­ler, nous allons piquer direc­te­ment sur le Caire, en sur­vo­lant la mer. En reve­nant, je te le pro­mets, nous sui­vrons et tra­ver­se­rons la mer Rouge.

— Oh ! mon oncle, réclame Ber­nard, si nous pou­vions faire escale quelques heures à Saint-Jean d’Acre ? Il y a là de tels sou­ve­nirs des Croisés !

— Impos­sible, mon gar­çon, nous n’a­vons pas le temps. Je veux bien sur­vo­ler len­te­ment la ville, c’est tout ce que je puis vous accorder.

L’at­mo­sphère est déli­cieuse. Pas de vent, pas de nuages. L’a­vion file comme une hiron­delle. Un peu plus tard au milieu d’in­nom­brables pal­miers, des mos­quées et des ruines se dessinent.

— Voi­là ! voi­là Saint-Jean d’Acre ! crie Bernard.

Jean et Colette se penchent légè­re­ment pour voir. Hélas ! impos­sible de dis­tin­guer quoi que ce soit. Quel dom­mage ! Ce doit être tel­le­ment pre­nant ces ves­tiges des Croi­sades, ces ruines des vieilles for­ti­fi­ca­tions et ces restes des somp­tueuses demeures de ceux qui, jadis, ont fui jusque-là, pour échap­per aux Turcs !

Ber­nard se résigne, mais en revanche quelle vue d’en­semble ! Saint-Jean d’Acre s’a­vance en pro­mon­toire. Juste en face, le mont Car­mel, et, dans l’anse, la mer, d’une teinte intra­dui­sible. L’eau est tel­le­ment lumi­neuse et pour­tant si pro­fonde, que Colette émer­veillée s’écrie :

— On dirait que les vagues sont faites en ailes de papillons, vous savez ces papillons des Indes qui sont brillants comme du cris­tal et pour­tant bleus, et pour­tant verts… Oh ! que c’est joli !

Mais déjà l’a­vion quitte la côte. Bien­tôt, c’est la pleine mer. L’oi­seau, tout bleu lui-même, vole entre le bleu du ciel et le bleu de l’eau… Per­sonne ne parle, cha­cun est comme gri­sé par cette féerie…

Puis les heures coulent et c’est l’É­gypte,… le del­ta, qui rap­pelle les plaines de Camargue ou de Beauce, sauf qu’i­ci ou là, entre les canaux, de grandes colonnes effon­drées gisent à terre, pro­ve­nant de quelque monu­ment loin­tain, dont les restes dorment là…

La des­cente et l’at­ter­ris­sage se font sans encombre sur le ter­rain d’a­via­tion du Caire. Repas joyeux dans l’un des res­tau­rants extra­mo­dernes, au bord du Nil.

Puis, comme le chef de famille s’en va très vite à ses affaires, Colette demande :

— Où nous retrou­ve­rons-nous, papa ?

— Ici même, ce soir, pour dîner.

La jeu­nesse a donc toute liber­té de flâ­ner à tra­vers la ville, mais avec quelle joie elle revient, quelques heures plus tard, vers la ter­rasse ombrée, au bord de l’eau, car la cha­leur est intense.

Le fleuve immense coule, lent et mou, por­tant une quan­ti­té de bateaux vil­las, véri­tables mai­sons de plai­sance, où viennent cher­cher un peu de fraî­cheur les habi­tants du Caire.

Jean, obser­va­teur et réflé­chi, fait remarquer :

— Quelle drôle de ville ! Des vil­las sur l’eau, des construc­tions anciennes comme des siècles,… des églises et des mos­quées ; des bâti­ments d’un moderne inouï et le vieux quar­tier qui est aus­si sale que mer­veilleux au point de vue artis­tique ; quant au nou­veau, on se croi­rait aus­si bien en France ou en Angleterre…

Colette, les yeux loin­tains, sou­rit à sa pensée :

— Si Moïse reve­nait main­te­nant, que dirait-il ?

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Temps de lec­ture : 14 minutes

X

Colette est inquiète. Elle a trou­vé Maria­nick endor­mie sur sa chaise dans la cui­sine et le visage pâle à mourir.

Dou­ce­ment réveillée, la bonne vieille a sou­ri, de ce sou­rire qui court à peine sur ses lèvres trop minces, pour dire :

— Las ! je ne suis plus bonne à rien, ma jolie !

Et Colette a sur­pris une las­si­tude infi­nie dans les yeux fidèles qui se rivaient aux siens. Alors, elle a effleu­ré d’un bai­ser le front ser­ré dans la coiffe blanche, comme elle eût posé les lèvres sur l’i­mage de quelque vieille sainte, au pays des landes et des genêts, puis elle a répon­du gaiement :

— Tu en fais trop ! C’est de l’or­gueil, vois-tu, de refu­ser tou­jours de l’aide, et je t’a­ver­tis que je suis par­fai­te­ment déci­dée à liguer tout le monde contré toi, pour que tu acceptes un peu de secours. Qu’est-ce qu’on devien­drait sans toi, Maria­nick ! On va te soi­gner, ma vieille, que tu le veuilles ou non. Et tu seras obli­gée de beso­gner encore des années sur cette « pauvre terre », comme tu dis !…

Plai­san­tant ain­si pour cacher son émoi, Colette court cher­cher sa mère.

Il fal­lut cou­cher Maria­nick et, pen­dant quelques jours, la main­te­nir de force à la chambre. Elle répé­tait : C’est‑y pas mal­heu­reux ! Où je vas-t‑y retrou­ver mes pauvres affaires ? Défen­dez tou­jours à Ber­nard de mettre le nez dans l’of­fice, y serait capable de mélan­ger l’huile et le vinaigre dans la même bou­teille ! Hélas ! quand la bonne vieille redes­cen­dit à la cui­sine, elle n’y retrou­va pas Ber­nard, mais un petit Bédouin, avec un visage de demoi­selle, des yeux noirs qui lui pre­naient toute la figure, une robe qui cou­vrait presque ses pieds nus, et des gestes de jeune chat adroit, souple et malin.

Maria­nick faillit en avoir une syncope.

— Que c’est‑y que ce païen-là ? demande-t-elle à maman, qui assiste pru­dem­ment à l’abordage.

— Pas un païen, ma bonne Maria­nick, mais un petit chré­tien, que nous a four­ni le Père rec­teur du col­lège. Il va t’ai­der au ménage, faire tes com­mis­sions, ta vais­selle. Il a bonne volon­té, tu verras.

Un « ara­bi­co » comme celui-là pour l’ai­der, elle, Maria­nick ! On a per­du la tête dans cette mai­son. c’est sûr. Et, sans un regard sur l’in­trus, Maria­nick, les lèvres ser­rées, s’en va droit à son fourneau.

Après déjeu­ner, on com­mente le fait du jour.

— Dieu veuille que Maria­nick sup­porte son asso­cié, dit maman non sans inquié­tude. J’ai bien peur qu’il ne lui fasse bien des sot­tises et qu’il n’en­traîne dans son sillage les deux petits, aux­quels j’ai pour­tant défen­du de jouer avec lui.

Comme pour don­ner rai­son aux craintes mater­nelles, Nicole et Bru­no, rouge de colère et se bous­cu­lant, entrent en tour­billon, se prennent les pieds dans le tapis et culbutent l’un par-des­sus l’autre au beau milieu de l’appartement.

— Qu’est-ce que cela signi­fie ! dit Gene­viève sévèrement.

— C’est Yamil !…

— C’est Yamil !…

— Hé bien quoi, Yamil ?

— Y m’a caché ma pou­pée, crie Nicole.

— Y m’a cas­sé ma trot­ti­nette, gémit Bruno.

— Faut le fouet­ter, conti­nue Nicole à tra­vers ses larmes, comme nous quand on est méchant.

Rete­nant son fou rire, Gene­viève relève ses enfants, essuie les larmes et cherche à savoir le fin mot de l’af­faire, lorsque Maria­nick, la coiffe à l’en­vers, s’en­cadre dans la porte.

Sa voix tremble de fureur contenue :

— Si ce païen-là conti­nue, moi je monte au gre­nier et j’y laisse ma cuisine !

Cette fois, c’est grave. Maman suit Maria­nick en deman­dant des expli­ca­tions, qui sont vite données.

Yamil est natu­rel­le­ment taquin, mali­cieux et d’une sou­plesse inquié­tante. Il joue des tours sans qu’on puisse s’en aper­ce­voir et maman sou­pire à la pen­sée d’un enfant de plus dans la mai­son,… mais quel enfant !

Pen­dant ce temps, les deux petits, avec force gestes, racontent, indi­gnés, les méfaits de Yamil.

Ber­nard trouve cela on ne peut plus amusant.

— Vous savez, les petits Bédouins sont très malins… et il fau­dra du temps pour mettre Yamil à la page. Les enfants juifs ont un tout autre carac­tère, beau­coup plus sérieux et rêveur, ce qui ne veut certes pas dire qu’ils soient sans défauts, mais c’est différent.

— Alors, dit Colette, qui tient avec une incroyable téna­ci­té à son rôle de pro­fes­seur, Yamil ne te ferait pas pen­ser au petit de notre His­toire Sainte ?

— Oh ! pas du tout. Tan­dis qu’à l’es­ca­drille, j’ai à faire à un très jeune Juif, qui convien­drait par­fai­te­ment comme type.

— Quel type ? demande immé­dia­te­ment Nicole, en cli­gno­tant des yeux comme quand elle ne com­prend rien du tout.

Colette répond à ce regard :

— J’au­rais vou­lu me ser­vir du petit Yamil pour vous faire le por­trait de Joseph, dont l’his­toire est tel­le­ment jolie, mais il paraît qu’il n’a pas le type.

Bru­no, de sa petite voix, déclare :

— Yamil est assom­mant. Lais­sez-le tran­quille et raconte l’his­toire, si elle est chic. Qui c’est Joseph ?

— L’un des douze enfants de . Deman­dez à l’oncle Ber­nard de vous dire leurs noms ?

Inté­rieu­re­ment, Colette, fine mouche, espère un peu embar­ras­ser son cou­sin… Douze noms, s’en souvient-il ?

Mais, par­fai­te­ment calme, avec un petit sou­rire iro­nique, Ber­nard qui a com­pris, défile : Ruben, Siméon, Lévi, Jud, Issa­char, Zabu­lon, Dan, Neph­ta­li, Gad, Aser, Joseph et Benjamin.

— Oh ! fait Bru­no, plein d’admiration.

Comme si Colette n’exis­tait plus, Ber­nard conti­nue : Savez-vous, les mioches, que dix de ces gaillards ont été de méchants gar­ne­ments. Ils ont trou­vé moyen d’être jaloux de leur petit frère Joseph ; jamais vous ne devi­ne­riez pourquoi ?

Quatre yeux inter­ro­ga­teurs sont plan­tés dans ceux de Bernard…

Enchan­té de son suc­cès, il poursuit :

— Un beau matin, Joseph très sim­ple­ment avait racon­té à ses frères qu’il avait eu de beaux rêves. Il s’é­tait cru trans­por­té dans un champ de blé, au temps de la mois­son, lorsque les gerbes rele­vées attendent, appuyées l’une contre l’autre, qu’on les trans­porte dans les granges.

Chose étrange, les gerbes des frères de Joseph sem­blaient venir s’in­cli­ner devant la sienne ; et puis, autre songe plus extra­or­di­naire encore : il avait vu dans son rêve le soleil, la lune et les étoiles se pros­ter­ner devant lui.

Nicole se tré­mousse sur sa petite chaise.

— Pour­quoi y fai­sait des rêves comme ça ?

— Joseph devait être char­gé d’une grande mis­sion. Le Bon Dieu se ser­vait de ces songes pour le lui faire com­prendre. Ses frères l’ont bien devi­né et, furieux de pen­ser que Joseph devien­drait peut-être plus puis­sant qu’eux tous, ils déci­dèrent de s’en débarrasser.

— Y vont pas le tuer ? réclame Bru­no tout apeuré.

Joseph vendu comme esclave par ses frères— Crois-tu qu’ils y ont pen­sé ! Ruben, le frère aîné, n’a tout de même pas été assez lâche pour le per­mettre ; mais tous ensemble, ils ont ven­du le petit Joseph comme esclave à des mar­chands égyp­tiens. Je vous assure que la mort eût été moins cruelle, car les fils de Jacob connais­saient l’é­pou­van­table escla­vage de ce temps-là.

— J’es­père que leur papa les a beau­coup. beau­coup punis ? Est-ce qu’il les a mis au cachot noir ?

Ber­nard ne peut s’empêcher de rire.

— Non, Nicole, pour une bonne rai­son, c’est que ces méchants gar­çons ont trom­pé Jacob, leur père. Ils ont tué un che­vreau, trem­pé dans son sang la robe de Joseph et por­té cette robe à Jacob, en lui racon­tant que l’en­fant avait été dévo­ré par les bêtes féroces.

— Ils ont men­ti, dit Bru­no avec un air de dédain. Hé bien ! c’é­taient des vilains monsieurs !