Série : <span>À la découverte de la liturgie</span>

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : À la découverte de la liturgie avec Bernard et Colette .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Liturgie expliquée aux enfants - Colette et le père Pierre

Chapitre I

Clac ! Clac !

Les gros sabots de père Pierre et les petits sabots de Colette font une musique d’ensemble sur la route gelée.

Les deux amis (car Colette aime beau­coup le père Pierre et le père Pierre aime beau­coup Colette), les deux amis luttent silen­cieu­se­ment contre l’âpre bise du vent d’est. Le cha­peau rabat­tu sur les yeux, le cache-nez tor­du autour du cou, le fer­mier marche sans hâte, de cette allure régu­lière et pai­sible du « ter­rien ». Colette, enfouie dans un grand man­teau, la tête ser­rée par le capu­chon, trotte à son habi­tude, sans sou­ci de l’heure tar­dive ni de l’ombre que perce à peine la lueur de la lan­terne por­tée par son compagnon.

Devant la grille du jar­din, qu’on devine à tra­vers la brume gla­cée de cette soi­rée de novembre, on s’arrête.

— Bon­soir, père Pierre, à demain et merci.

— Bon­soir ma petite demoi­selle. Demain, y se pour­rait ben que ça glisse ! Fau­dra faire atten­tion à ne pas cou­rir sans y regarder !

Déjà, de son pas posé, le fer­mier s’éloigne. Colette vive­ment pousse la grille, elle saute les trois marches du per­ron, ouvre et ferme dans un éclair la porte d’entrée, pose ses sou­liers dans un coin, accroche son man­teau au por­te­man­teau, et leste, sur ses petits chaus­sons, entre en dan­sant dans le bureau, où maman et Pier­rot tra­vaillent côte à côte, au coin du feu.

— Tu n’es pas gelée, ma ché­rie ? ques­tionne la voix maternelle.

Colette ras­sure sa mère d’un bai­ser et s’assied sur un petit tabou­ret, tout contre la vieille che­mi­née. Elle tend les mains à la flamme, car on n’a pas encore son­gé à rem­pla­cer les bûches qui pétillent par le poêle morne et sans clarté.

— Ce qu’il fait bon ici, maman !

— Oui, mais cela nous change de la tem­pé­ra­ture de Beyrouth !

— Oh ! tant pis ! Je ne le regrette pas. Comme dit Pier­rot : « on est chez nous, » cela vaut tous les soleils.

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Temps de lec­ture : 9 minutes

Chapitre II

Non, petit Pierre ne per­dra rien pour attendre. Il s’en doute bien et il est aux aguets. Ce petit homme est par­ti­san du moindre effort. Il n’ignore pas que maman ne varie jamais dans ses déci­sions et qu’il fau­dra, bon gré mal gré, écou­ter un jour ou l’autre les expli­ca­tions pro­mises à sa sœur ; aus­si tend-il l’oreille pour sur­prendre sa ren­trée. Quand il entend les petits sabots cla­quer, il trouve un pré­texte pour quit­ter le bureau où il vient de ter­mi­ner ses pro­blèmes et va offrir ses ser­vices à Marianick.

— Qu’est-ce qui te prend ? dit, soup­çon­neuse, la bonne vieille Bre­tonne. Pour­quoi viens-tu m’encombrer une demi-heure avant le dîner ? La cui­sine n’est pas si grande et tu vas te trou­ver en tra­vers de tout ce que j’ai à faire. C’est ta maman qui t’envoie ?

Pier­rot est pares­seux, mais il ne ment jamais.

— Non, c’est moi qui viens tout seul, pour t’aider.

— M’aider ! Bonne sainte Anne ! Tu veux dire me faire enra­ger ! C’est l’heure pour toi d’être au bureau ; vas‑y.

Maria­nick ne plai­sante pas quand elle parle sur ce ton, et Pier­rot réflé­chit avec peine que la cui­sine et le bureau sont les deux seules pièces chauf­fées pour le moment ; alors ?…

L’oreille basse, il regarde le coin du feu, près duquel Colette a repris place, sur le petit tabou­ret qu’elle affec­tionne particulièrement.

Maman ne semble pas s’apercevoir de la mine décon­fite de son benjamin :
 — Nous allons faire un peu de litur­gie, Colette, comme je te l’ai pro­mis hier. Mais les débuts, je t’en pré­viens, te sem­ble­ront beau­coup plus dif­fi­ciles que tu ne l’avais pensé.
Tu es cou­ra­geuse. Mets‑y toute ton atten­tion et, à mesure que nous avan­ce­rons, tu ver­ras à quel point tu seras inté­res­sée. Je vais com­men­cer par te poser une ques­tion à laquelle tu ne t’attends cer­tai­ne­ment pas. Te sou­viens-tu de notre audience au Vatican ?

— Certes, oui. Mais quel rap­port cette audience peut-elle avoir avec la liturgie ?

— N’as-tu pas vu com­ment nous nous sommes sou­mis, tous, à l’étiquette, aux marques de res­pect, de véné­ra­tion, indis­pen­sables, quand nous avons été reçus par le Saint-Père ? Réflé­chis un peu. Pour­quoi tant de cérémonies ?

Colette hésite, puis répond :
 — Je crois, maman, que vous vou­lez me faire remar­quer qu’on ne peut par par­ler au Pape, aux rois, aux grands de ce monde sans se sou­mettre à cer­taines règles de poli­tesse particulières.

Pier­rot, qui s’est dis­si­mu­lé sous la table, doit écou­ter sans en avoir l’air, car il raille tout à coup :
 — Tiens, belle trou­vaille ! Penses-tu qu’on les approche le cha­peau sur la tête ?

Colette hausse les épaules. Mais maman continue :
 — Et puis, en par­cou­rant ton his­toire, n’as-tu pas remar­qué qu’on entoure sou­vent de signes sym­bo­liques ceux qu’on veut hono­rer ? Ain­si on offre au Pape les clefs de saint Pierre. Qu’est-ce que cela signifie ?

— Qu’il a le pou­voir d’ouvrir et de fer­mer les portes du Ciel.

— Exac­te­ment. Com­ment tous les sym­boles, ces clefs sont une image. Nous ne voyons pas le pou­voir du Pape, mais nous voyons les clefs, qui y font penser.
Jésus nous indique le chemin du ciel par sa liturgieMain­te­nant, ajou­tons sim­ple­ment que, s’il est une éti­quette à obser­ver devant les grands de ce monde, com­ment ne pas gar­der devant Dieu une tenue plus res­pec­tueuse encore, en nous sou­met­tant aux règles que l’É­glise nous impose pour cela ; de plus, il est une manière sym­bo­lique d’exprimer ain­si à Dieu nos prières et notre ado­ra­tions, et cela, vois-tu, c’est de la litur­gie.

— Comme c’est clair !

— Oui, mais ce n’est pas complet. 

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Temps de lec­ture : 12 minutes

Chapitre III

Jeu­di ! Jour de congé !

Voi­là qui met­trait en liesse l’humeur non­cha­lante de Pier­rot, s’il ne contem­plait, le nez col­lé à la fenêtre, les feuilles mortes qui tourbillonnent.

À les voir dan­ser, voler, retom­ber, sous les rafales du vent du nord, Pier­rot devient mélan­co­lique. Il monologue :
 — Par ce froid de canard, maman me per­met­tra-t-elle d’aller jusqu’au vil­lage ? C’est assom­mant de n’avoir plus ici ni frère ni cou­sin. Colette est bonne fille, mais ce n’est jamais qu’une fille et ça ne peut pas valoir la moi­tié d’un garçon.

Cette consta­ta­tion eût sans doute plon­gé petit Pierre dans un monde de pen­sées toutes plus déso­lantes les unes que les autres, quand un magis­tral coup de son­nette lui fait pous­ser un hour­rah « for­mi­dable », selon le lan­gage de son temps.

Adieu le vent du nord, les feuilles mortes et l’insuffisance des filles ! Voi­ci paraître, à la grille du jar­din, M. le curé avec le petit André. Du coup, la vie est belle, et Pier­rot se sent l’enfant le plus heu­reux du monde.

Maman, en revanche, est fort inquiète de l’imprudence de son vieil ami :
 — Oh ! mon­sieur le curé, quelle folie ! Com­ment êtes-vous venu par un temps pareil ?

— Bah ! j’en ai vu bien d’autres, et je ne m’en porte pas plus mal. Et puis, c’est jeu­di ; André a de bonnes notes ; je pense que celles de Pier­rot sont bonnes aus­si : il faut récom­pen­ser ces enfants-là.

Hum ! Pier­rot se sent tout à coup rede­ve­nir malheureux.

— Regar­dez cette tête, mon­sieur le curé, et dites-moi si vous croyez que ce jeune homme a de bonnes notes ?

Le vieux prêtre passe la main en sou­riant sur les che­veux frais coupés :
 — Tu n’as pour­tant plus tes boucles de bébé, mon bon­homme, et il fau­drait son­ger à tra­vailler, comme un grand. Que dira papa quand il revien­dra pour Noël ?

Papa ! La pen­sée du reproche pater­nel met une larme contrite au coin des yeux de Pier­rot, et son vieil ami s’en contente.

— Va, si maman per­met, emmène André ramas­ser du bois mort au bord du petit bois. Cou­vrez-vous bien, et rapportez‑m’en deux gros fagots pour mes pauvres.

Un coup d’œil à maman pour voir si elle approuve, et puis les deux petits s’envolent, tout trace de sou­ci de nou­veau disparue.

— Cette paresse de Pier­rot m’inquiète, mon­sieur le curé, je vous assure, dit maman en repre­nant son tricot.

— Il a du cœur et c’est un bon petit. Il faut seule­ment sti­mu­ler sa volon­té. Le bon Dieu vous y aide­ra. Voyez Yvon : il était bien un peu « flemme » aus­si jadis, comme ils disent.

— Tiens, au fait, c’est vrai ! Je l’avais bien oublié. Il s’est tel­le­ment trans­for­mé ! À pro­pos d’Yvon, mon­sieur le curé, Colette m’a témoi­gné le désir de s’associer davan­tage à la voca­tion de son cou­sin par une étude, abré­gée évi­dem­ment, mais pour­tant sérieuse, de la litur­gie. Nous avons com­men­cé un peu ces soirs der­niers. Colette met l’entrain que vous devi­nez, mais Pier­rot nous a fait une tête impos­sible, à laquelle d’ailleurs j’ai sem­blé ne prê­ter aucune atten­tion. Mon bon­homme en a pro­fi­té pour se dra­per dans une atti­tude d’indifférence, et puis il s’est lais­sé prendre au jeu, il m’a ques­tion­né. Fina­le­ment, je le sens déjà inté­res­sé. Reste à savoir si cela dure­ra, car évi­dem­ment c’est un peu aus­tère pour son âge.

— Pas tant que cela. Vous ver­rez qu’il y pren­dra goût, sur­tout quand vous lui aurez annon­cé que, s’il bataille avec sa paresse, nous le pré­pa­re­rons à sa pre­mière com­mu­nion, de manière à ce qu’il la fasse le jour où Yvon dira sa pre­mière messe ici.
En atten­dant, si vous appe­liez Colette, je répon­drais à ses ques­tions, tan­dis que notre pauvre pares­seux court les bois.

Dix minutes après, Colette avait repris sa place sur le petit tabou­ret et la leçon bat­tait son plein.

— Mon­sieur le curé, maman m’a dit que la langue de l’É­glise était le latin. Pour­quoi ?

Chants liturgiques au lutrin par un choriste de la Maîtrise
C’est le chant qui donne à la langue litur­gique sa forme la plus expressive.

— Parce que 

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Temps de lec­ture : 10 minutes

Chapitre IV

Cette fois, il neige. Les flo­cons tombent ser­rés, gelés, et bien­tôt couvrent tout. Ils craquent sous les pieds de Colette, qui quitte l’école en hâte pour cou­rir au pres­by­tère, où, ce jour-là, le père Pierre doit venir la cher­cher. Quand elle entre, tout essouf­flée, dans la cui­sine, elle y trouve mon­sieur le curé qui récite son bré­viaire et André étu­diant ses leçons.

Dans l’âtre, quelques humbles mor­ceaux de bois se consument. Le vieux prêtre les rap­proche en hâte.

— Viens te chauf­fer, ma petite fille. Tu as une demi-heure d’avance sur le père Pierre et j’en conçois du sou­ci. Il est allé pour un mar­ché, au hameau des Grands-Chênes ; il m’a pré­ve­nu qu’il serait en retard, et par cette neige, je n’aime guère à pen­ser que tu seras au grand noir à cou­rir par là sur les routes.

Colette a un rire léger, qui fuse sous son grand capuchon.

— On trot­te­ra ferme, et le père Pierre me racon­te­ra des légendes du temps des loups, quand les landes au bord de l’étang étaient des forêts sau­vages… Je suis folle de ses vieilles his­toires ! Il les raconte avec une voix lente, en bran­lant sa lan­terne dont les verres sont rouges, et qui pro­jettent sur la route des lueurs fan­tas­tiques. Ce soir, sur la neige, ce sera délicieux.

— En atten­dant, regarde ce que Bri­gitte t’apporte.

— Oh ! Bri­gitte, ma vieille Bri­gitte, que vous êtes bonne ! Du lait chaud et des châ­taignes ! Je ne pour­rai dîner ce soir à la mai­son. Mais, en atten­dant, ce que ça va être exquis !

* * *

Et Colette épluche les châ­taignes avec une joie d’enfant, pour les faire tom­ber une à une dans le bol de lait fumant. Mais son esprit n’en court pas moins au hasard de ses pen­sées, et voi­là qu’elle dit brusquement :
 — Vous savez, Mon­sieur le curé, vous m’avez lais­sée en panne l’autre soir, après l’équipée des garçons.

— Com­ment cela ?

— Mais oui ! vous êtes par­ti, sans m’avoir expli­qué quelles sont les prières qui com­posent l’Office divin.

— Tiens, c’est vrai. Rien de plus simple que de com­plé­ter à l’instant. Tu t’es cer­tai­ne­ment ren­du compte, en sui­vant les offices, que les psaumes y tiennent une grande place. As-tu remar­qué com­bien on sent pas­ser, à tra­vers ces psaumes, tous les sen­ti­ments de repen­tir, de louange, d’amour de Dieu ?

— Je ne suis pas sûre d’y avoir fait grande atten­tion. Je sais pour­tant par cœur 

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Temps de lec­ture : 9 minutes

Chapitre V

Quel triste mois de décembre !

Un fin brouillard a tout revê­tu d’un man­teau humide et sombre. On n’y voit pas à cin­quante mètres. A la mai­son, les murs eux-mêmes sont humides, et Pier­rot déclare avec dégoût que la rampe de l’escalier lui « colle aux mains », ce qui lui évite de s’en servir.

Mais que les récréa­tions sont longues ! Il faut une patience à maman, comme à Maria­nick, pour sup­por­ter les ques­tions, les sou­pirs, les lamen­ta­tions ou, ce qui est pire, les inven­tions de Pierre !

Pour le moment, il s’est glis­sé dans le coffre à bois et se met en devoir d’en rabattre le cou­vercle, avec des ruses de sau­vage, non sans lais­ser un petit pas­sage d’air frais, quand, si enfoui qu’il soit, il croit entendre à la grille un vague coup de son­nette ; oubliant toute pru­dence, Pier­rot bon­dit hors du coffre, comme un diable hors d’une boîte, au risque de faire éva­nouir Maria­nick, et s’engouffre dans le jar­din par la porte de la cuisine.

Avant que la vieille Bre­tonne ait retrou­vé la parole, Pier­rot rentre triom­phant, une dépêche à la main.

— Qu’est-ce que c’est encore que cette affaire là ? s’exclame la cui­si­nière. Pour­vu que ta pauvre maman n’en ait pas d’ennui ! Donne-moi ça, que je lui porte ; tu lui tour­ne­ras les sangs avec tes manières impossibles !

Pier­rot sur les talons, car il brûle de savoir le conte­nu de ce mys­té­rieux papier bleu, Maria­nick porte la dépêche au bureau, où maman l’ouvre avec une cer­taine émo­tion. Mais son visage s’éclaire d’un joyeux sou­rire, la dépêche contient ceci : « Hour­rah ! Col­lège licen­cié, arri­ve­rons ce soir, affec­tueu­se­ment. Cou­sin Bernard. »

Ce que peut être cette fin de jour­née, cha­cun le devine. Pier­rot a essayé tous les matelas,