
’ÉTAIT en l’année 250. Decius régnait dans Rome, et les légions victorieuses campaient jusqu’à la mer Noire. Des gouverneurs romains faisaient respecter dans toutes les colonies les lois de l’empire et sévissaient avec rigueur contre les moindres tentatives de trouble.
Félix, issu d’une ancienne et noble famille romaine, avait été nommé au gouvernement de l’Arménie. C’était un homme assez habile et qui avait su, par souplesse plutôt que par talent, se faire bien voir des grands de l’empire. Ne pas déplaire aux puissants était sa constante préoccupation, ainsi que le soin de sa fortune. Une seule chose, toutefois, balançait cette pensée intéressée dans son cœur, c’était sa tendresse pour sa fille, Pauline. Mais il faut ajouter que cette tendresse n’aurait pas été assez forte pour le faire renoncer à un profit sérieux.
Et il venait de prouver cette inégalité de ses sentiments un peu avant son départ pour l’Arménie.
Le mariage de Pauline
En effet, le visage et les vertus adorables de Pauline avaient inspiré un profond amour à un chevalier romain, un des plus braves officiers de Decius. Ce chevalier se nommait Sévère. Il avait l’estime générale pour la bravoure et la générosité de son caractère, et toutes les jeunes filles romaines rêvaient de ce beau guerrier. Pauline avait fait comme ses compagnes, et bientôt le respectueux attachement qu’elle sentait pour elle dans l’âme de Sévère lui avait mis au cœur, en retour, une vive tendresse.
Mais Sévère avait peu de fortune. Aussi quand il hasarda sa demande auprès du père de Pauline, reçut-il un refus très sec. Félix ne voulait pas pour gendre de cet officier d’un certain renom sans doute, mais sans guère d’autre bien que son courage. Et pour décourager tout à fait Sévère dans ses espérances, il demanda et obtint le gouvernement d’Arménie. Il se flattait de trouver dans cette riche colonie un parti brillant pour sa fille. Et en effet, à peine arrivée à Mélitène, la belle Pauline se vit recherchée par Polyeucte, un des chefs de la noblesse arménienne et dont la fortune était considérable. Celui-ci demanda la jeune fille en mariage. Félix vit surtout dans cette union la possibilité d’asseoir plus solidement sa propre situation en Arménie, et il accorda sa fille à Polyeucte. Entre temps, la nouvelle de la mort de Sévère était parvenue jusqu’à Mélitène, et Pauline, secrètement, avait gémi sur cette fin de ses premiers rêves. Puis, comme le devoir parlait toujours dans son cœur plus haut que la passion, elle s’était efforcée de ne plus penser qu’à l’époux que venait de lui choisir son père, de ne plus chérir que lui.
Or, Polyeucte était un homme de si haute vertu et d’un cœur si aimable que ce fut chose facile pour Pauline que d’avoir envers lui les sentiments qu’il méritait ; et, en ce jour de janvier où sous le ciel si doux de l’Arménie, sur ses pentes verdies d’oliviers, éclosaient les corolles neigeuses des narcisses, dans une des galeries du palais du gouverneur, Pauline, appuyée au bras de son époux, cherchait à retenir celui-ci auprès d’elle.
— Ne sortez pas, lui disait-elle, non, pas aujourd’hui. J’ai fait un rêve si horrible que j’en suis pas restée toute troublée. Je vous ai vu mort. Quelle douleur ! Ne sortez pas.
Polyeucte plaisanta la jeune femme sur sa croyance aux songes, « divagations sans fondement de l’esprit », selon lui ; mais Pauline ne souriait pas et restait craintive, tout entière aux sombres images qui avaient hanté sa nuit.
À ce moment, un seigneur arménien, ami de Polyeucte, apparut dans la galerie. Il fronça le sourcil en voyant avec quelle ardeur Pauline suppliait Polyeucte de renoncer à sortir et combien Polyeucte paraissait faiblement se défendre contre cette douce tyrannie. Profitant d’un instant où Pauline s’était éloignée pour donner quelque ordre, il en fit la remarque à son ami.
Le baptême de Polyeucte
Néarque était un homme austère qui n’avait d’autre amour que sa croyance en Dieu. Il appartenait à cette religion nouvelle dont les adeptes étaient si fort persécutés. Il avait reçu le baptême des chrétiens, et son premier soin avait été de vouloir convertir ses meilleurs amis. Et comme la grandeur d’âme de Polyeucte le disposait plus qu’aucun autre à vibrer aux principes d’amour et de simplicité de la foi chrétienne, les discours de Néarque l’avaient conduit sans difficulté jusqu’au seuil du baptême.
Or le baptême de Polyeucte devait avoir lieu ce matin même.
C’est pourquoi Néarque, impatient de voir que son ami ébranlé par les prières de Pauline, allait remettre au lendemain cette consécration de sa foi, lui reprocha vivement sa faiblesse.
— Prenez garde, lui dit-il, que le démon ne vous inspire en cette heure, car ce qu’on remet au lendemain n’arrive parfois jamais. Et votre cœur est bien tiède pour son Dieu, s’il se laisse arrêter par les larmes d’une femme. Croyez-moi, partons vite et ne tolérez pas que Pauline vous retienne.
— Dieu défend-il donc tout amour ? demanda Polyeucte.
— Non. Mais c’est lui qui d’abord doit régner dans les âmes, fit Néarque avec chaleur. Que vous êtes donc loin de cette ardeur nécessaire à un chrétien en ces temps où l’on nous persécute ! J’appelle votre baptême de tous mes vœux, car il vous mettra au cœur cette flamme sublime qui fait les martyrs et les saints.
Polyeucte, encouragé ainsi par les paroles pressantes de son ami, sortit avec lui malgré les prières de Pauline.
— Je reviendrai dans une heure, dit-il à sa femme. Une heure ! cela vaut-il la peine que vous pleuriez ?
— Hélas ! dit Pauline à sa suivante Stratonice qui, quoique Arménienne et à son service depuis peu de temps, lui était très attachée, Polyeucte résiste à mes larmes. Il court à sa mort, sa mort que les dieux ont dévoilée à mes yeux, cette nuit.
— Quel fut donc votre songe ? demanda Stratonice qui espérait voir sa maîtresse oublier sa peine en la racontant.
— J’ai vu dans mon sommeil l’homme que j’ai aimé jadis, ce Sévère qui mourut en sauvant la vie de l’empereur Decius, et dont on ne retrouva même pas le corps. Il était vivant et monté sur un char de triomphe. Il m’a reproché mon union avec Polyeucte. Et tandis que sa colère retentissait dans mon cœur, le bouleversant, une troupe de chrétiens s’est saisie de Polyeucte et l’a jeté aux pieds de son rival. J’ai appelé mon père à son secours, mais, horreur ! mon père lui-même a levé son poignard pour en percer mon époux. Ah ! Stratonice, j’ai peur des chrétiens. Mon père les a persécutés depuis qu’il est ici : j’ai peur qu’ils ne se vengent.
Stratonice essaya de rassurer Pauline en lui montrant que les chrétiens n’étaient pas redoutables et se bornaient à souffrir et mourir avec joie, sans jamais s’attaquer même à leurs persécuteurs.
Le retour de Sévère
Mais la jeune femme demeurait triste et tourmentée et la venue de son père, qui arrivait à pas rapides, le regard plein d’angoisse, augmenta encore son trouble.
— Qu’y a‑t-il, mon père ? s’écria-t-elle.
— Ah ! ma fille, dit Félix se laissant tomber sur un siège, ton songe me fait peur en ce que la nouvelle que j’apprends à l’instant prouve une partie de sa réalité. Sévère est vivant, et il vient ici.
— Que dites-vous ? s’écria Pauline joignant ses mains sur son cœur palpitant.
— Albin, mon affranchi, vient de le voir.Il se dirige vers Mélitène entouré de courtisans et d’officiers, car le pauvre officier de naguère est devenu le favori de l’empereur. Il avait sauvé la vie de celui-ci dans ce combat où il passa pour mort, et depuis, il n’est richesse et faveur que Decius ne lui prodigue.
— Mais comment lui-même a‑t-il échappé dans la bataille ?
— Il était blessé grièvement et les Perses l’ont fait prisonnier. Leur roi l’a fait soigner et guérir, puis a offert à Decius de le rendre contre cent captifs. L’échange a été accepté et Sévère a été reçu à Rome en triomphateur. Puis un second combat qui pouvait être fatal pour Rome a eu lieu. Il en a fait une victoire et décidé de la paix. Si bien que l’empereur lui a donné comme récompense mission d’inspecter l’Arménie. Il vient faire dans Mélitène un sacrifice aux dieux pour célébrer la victoire. Mais je crains que ce ne soit là un prétexte. Sans doute il ne sait pas ton union et veut t’épouser. Ah ! continua Félix en hochant la tête, quelle punition pour moi de n’avoir pas su comprendre jusqu’où pouvait aller la fortune d’un tel homme… Mais, ma fille, c’est sur toi que je compte pour adoucir la colère qu’il ne manquera pas de ressentir contre moi quand il saura que tu es perdue pour lui. Tu avais de l’empire sur son cœur…

— Oui, fit Pauline tristement.
— Je vais le recevoir jusqu’au-devant des murs, pour lui faire honneur. Achève de me le rendre favorable par le souvenir de votre amitié.
— Mon père ! s’écria Pauline en tressaillant, quoi, vous voulez me remettre en sa présence ? Mais n’est-ce pas un danger, lorsque je suis la femme d’un autre ?
— Non, j’ai confiance en toi, ma fille, tu sauras trouver les paroles qui l’apaiseront.
Une heure plus tard, au son des trompettes, Sévère faisait son entrée dans Mélitène. Félix et lui s’étaient salués avec une courtoise cérémonie, mais le jeune général ne savait pas encore que celle qu’il était venu rechercher jusque dans la lointaine Arménie s’y était mariée. Aussi est-ce le cœur plein d’espérance d’ivresse qu’il entra dans la galerie d’honneur du palais de Félix.
Fabian, un de ses officiers qui était allé de sa part demander une entrevue à Pauline, l’arrêta alors :
— Seigneur, lui dit-il, vous allez voir Pauline et cependant il vaudrait peut-être mieux pour vous ne point la voir.
Sévère le regarda avec surprise et anxiété.
— Elle est mariée, continua Fabian à voix basse, et elle a voulu vous en voir prévenu avant que de la voir. L’étonnement… la douleur… Elle a craint…
— Je ne suis pas à craindre, fit Sévère d’une voix altérée. J’ai pour elle un respect et un attachement que rien ne détruira. Aucun mot de colère ne sortira de ma bouche… Et quel est son mari ? ajouta le jeune homme en essuyant son front baigné d’une sueur glacée.
— Polyeucte, un des premiers seigneurs d’Arménie, l’a épousée voici quinze jours.
— Heureux Polyeucte ! fit Sévère qui se soutenait avec peine, et que mon sort est affreux ! Cette fortune m’aurait pu venir quinze jours plus tôt… et alors… Regrets superflus. Je vais voir Pauline, et puis je m’en irai mourir. Oh ! j’appelle le danger des champs de bataille…
Sévère s’interrompit avec un gémissement au bout de la galerie, Pauline apparaissait, suivie de Stratonice. Les rayons du soleil doraient les boucles de ses cheveux et sa tunique blanche donnait à sa démarche et à toute sa personne quelque chose de céleste.
Elle s’approcha de Sévère, tremblante mais résolue. Et tout de suite, avec la sincérité coutumière de son âme, elle dit à Sévère et le souvenir profond qu’elle gardait de lui et le nouvel attachement que son devoir d’épouse et les mérites de Polyeucte avaient mis en son âme. Elle évoqua leur tendre et douloureux passé que son devoir de fille obéissante aux volontés d’un père avait fait si court. Et, faisant appel aux sentiments de respect et de soumission que Sévère avait témoignés au moment de leur séparation à Rome, elle le supplia de lui épargner le tourment de le voir et de l’entretenir.
Les pleurs coulaient de ses yeux malgré tous ses efforts et son cœur battait à se rompre.
Sévère la contemplait avec amour et douleur. Il ne pouvait se résoudre à s’éloigner. Il ne ressentait pas de colère mais seulement une tristesse infinie. La vertu de Pauline, son attachement à ses devoirs remplissaient son cœur d’admiration, le ravissaient et le désespéraient à la fois.
— Adieu, fit-il enfin. Je m’en voudrais d’augmenter votre peine, peine qui m’est douce cependant puisqu’elle me montre que votre tendresse pour moi est toujours vivante et que vous n’en rougissez pas, m’en sachant digne. Tout nous sépare encore. Mais je vous quitte sans haine, car je vous vois pleurer. Puissent les jours combler de bonheur — de tout celui qui m’est interdit — Polyeucte et Pauline !
— Ah ! Sévère, fit la jeune femme en sanglotant, la vie est longue encore devant vous. Vous y pouvez être heureux.
Sévère secoua la tête en silence. Il évoquait, comme un baume à sa pensée, les périls divers du combat. Sa seule compagne désormais jusqu’à la mort, ce serait la gloire. Il s’inclina profondément, puis, sans regarder derrière lui, le cœur brisé, l’esprit délirant de douleur, il s’éloigna en hâte du palais.
Pauline se laissa aller dans les bras de Stratonice. Malgré les sentiments tumultueux qui avaient rempli son âme durant cette entrevue, à aucun moment ne s’était effacée pour elle l’image sanglante de son rêve, et toujours Polyeucte assassiné s’était présenté devant elle. Aussi jeta-t-elle un cri de joie en voyant entrer son mari, suivi de Néarque, et qui souriait. Elle se serra contre son cœur.
— Il ne faut plus pleurer, lui dit tendrement Polyeucte. Voyez-vous, je suis vivant.
— La journée n’est pas finie encore, soupira Pauline, et la pensée qu’une partie de mon songe est réalisée, et que Sévère est vivant…
— Je le sais, interrompit Polyeucte, mais il est d’âme trop noble pour que nous puissions rien craindre de lui. J’accourais ici pour lui rendre mes devoirs. Il vous a rendu visite, m’a-t-on dit.
— Il ne reviendra plus, fit Pauline avec gravité, je ne le veux pas. Non que vous puissiez en avoir de la jalousie — ce sentiment ne serait digne d’aucun de nous trois — mais sa vue me peine…
« Je vais renverser les idoles »
La venue d’un serviteur l’interrompit. Félix mandait son gendre au temple où allait avoir lieu le grand sacrifice offert aux dieux, en remerciement des victoires de Decius.
Polyeucte invita Pauline à l’accompagner, mais elle ne voulait pas se montrer aux yeux de Sévère, sans nécessité, et elle préféra demeurer au palais. Polyeucte s’éloigna en entraînant Néarque, bien que celui-ci eût essayé de résister.
— Vous allez donc au temple ? s’écria Néarque quand ils furent à l’abri des oreilles indiscrètes. Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien, pour aller honorer des idoles ?
— Je ne vais pas les honorer, fit doucement Polyeucte, je vais les renverser de leurs autels.
Néarque, muet de surprise, le contempla avec sorte de terreur.
— Oui, reprit Polyeucte, j’ai fait ce voeu dans le moment sacré de mon baptême et je bénis Dieu qui me donne si tôt l’occasion de proclamer sa gloire et ma foi.
— Mais, fit Néarque en frissonnant, vous trouverez la mort, les supplices…
— Je le sais, mais au ciel déjà m’est préparée la palme du martyre.
— Vivez saintement sans chercher à mourir, s’écria Néarque en saisissant les mains de son ami, vivez pour protéger les chrétiens dans Mélitène.
— Leur plus grand secours sera mon exemple, fit Polyeucte avec sérénité. Mais vous qui saviez trouver tant d’éloquente ardeur pour me convertir, d’où vient, Néarque, que la pensée de servir Dieu avec plus d’éclat vous laisse aussi hésitant ?
Néarque baissa la tête.
— Allons, mon cher Néarque, s’écria Polyeucte avec enthousiasme, allons briser les faux dieux, allons montrer à ce peuple l’abîme de son erreur.
Ces mots semblèrent rayonner pour Néarque en traits de feu. Son visage s’éclaira, ses yeux se rem-plirent d’une surhumaine extàse. Il saisit le bras de son compagnon, et, saintement joyeux, l’entraînant à son tour :
— Allons ! dit-il…
Quand les deux amis parvinrent au temple, tout le peuple de Mélitène y était assemblé. La noblesse romaine et arménienne occupait les premiers rangs. Sévère, pâle du chagrin de son cœur, se tenait à côté du gouverneur, au pied de la statue de Jupiter. Le grand prêtre était à l’autel, à genoux, les bras étendus vers l’Orient.
La cérémonie commença. La solennité du sacrifice avait redoublé la pompe du culte habituel, et chacun montrait, par son respect et son silence, l’importance de cette fête.
Aussi, lorsque Polyeucte et Néarque se mirent à rire hautement des rites consacrés, des mystères, des dieux, y eut-il chez tous les assistants un moment de stupeur inouïe et telle, que ni Félix, ni ses gardes n’eurent la pensée de s’emparer des blasphémateurs.
Ils redoublèrent leurs sarcasmes et Polyeucte, dressé de toute sa taille, cria à la foule d’une voix éclatante :
— Malheureux insensés, pouvez-vous adorer ces débris de pierre et de bois, ces dieux monstrueux que vous enfermez dans un Olympe borné et à qui vous prêtez tous les défauts et les laideurs de vos âmes ? II n’est qu’un Dieu sur la terre et dans le ciel : celui que les chrétiens adorent, le Dieu de Polyeucte et de Néarque ! C’est à lui qu’appartient l’univers ! C’est lui qui créa les choses et les coeurs. Il en est le principe éternel, il en est la souveraine fin, et la nature entière ne respire que par lui ! Adorez-le ! Il est votre maître et votre père ! Aucune main, aucune colère ne peuvent l’atteindre, tandis que vos faux dieux vont briser sur le sol leurs foudres impuissants !
En prononçant ces derniers mots, Polyeucte bondit vers la statue de Jupiter et d’une poussée robuste, il l’envoya rouler à terre, tandis que Néarque piétinait les vases de vin et d’encens.
Une clameur épouvantée retentit ; le peuple se ruait sur les portes du temple, s’attendant à voir s’entrouvrir le ciel et crouler les murs. Félix, cloué au sol, de colère et de stupeur, ne prononçait pas un mot, et les deux chrétiens auraient pu cent fois s’échapper. Mais ils n’y songeaient pas : appuyés l’un à l’autre, ils glorifiaient l’Éternel et, d’avance, souriaient au martyre. Enfin, Félix put arracher de sa gorge quelques mots entrecoupés, les soldats entourèrent Polyeucte et son ami qui tendaient leurs mains aux chaînes, avec, au fond des yeux, une immense allégresse. Et le peuple, hurlant toujours, semblait autour des prisonniers les flots désordonnés d’une mer orageuse.
Stratonice avait fui l’une des premières, à demi morte de frayeur. Elle courut jusqu’au palais du gouverneur, et, quand elle apparut devant Pauline, les yeux hagards et la poitrine haletante, la jeune femme eut un cri de désespoir.
— C’est fini ! dit-elle.
À voix hachée, Stratonice lui contait la scène, les blasphèmes, les colères, la statue du divin Jupiter brisée sur le sol et Polyeucte chargé de liens et souriant.
— Dieux ! fit Pauline, les chrétiens de mon songe ! Et tous, tous, et Sévère et mon père s’unissant contre lui ! Fatale erreur de l’esprit de Polyeucte qui se laisse abuser par les chimères grossières de cette secte, qui peut-être va payer de sa mort sa trop confiante amitié ! Voilà donc où, ce matin, le conduisait Néarque ! Au baptême ! Mais mon père, que dit-il ?
— Le voici !
(à suivre)
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