PREMIER TABLEAU
PREMIER ACTE
(Le rideau se tire lentement.)
M. LE CURÉ (debout à droite)
La scène que vous allez voir se passe à Paray-le-Monial, dans un bureau. Vous voyez une immense table couverte de paquets. Ces paquets contiennent les signatures des catholiques du monde entier placées au bas des suppliques qui demandent au Pape d’établir la fête du Christ-Roi. Voici M. et Mme de Noaillat, les promoteurs de la fête. Ils reçoivent de nouveaux paquets de signatures.
(M. de Noaillat est figuré par un enfant sage qui tient très bien son rôle. Madeleine figure Mme de Noaillat. Comme elle est presque aussi grande que sa mère, elle porte une robe de dame, blanche et bleue, très élégante et on a pu faire un chignon avec ses cheveux débordants.)
UN ENFANT (arrive portant des paquets)
Voici les signatures de Paris. Il y en a des milliers. Une dame très vieille est arrivée avec d’autres paquets. Elle va venir.
UN AUTRE ENFANT
Voici les signatures du Portugal. Je viens de Braga. Tout le monde a voulu signer, je veux dire tous les braves gens. (Il pose les paquets et va sortir.)
MADAME DE NOAILLAT
Restez, restez. Nous attendons le Cardinal Laurenti. Il nous a télégraphié son arrivée, et il doit emporter à Rome tous ces livres. A Rome aussi, il paraît qu’il arrive tous les jours des paquets de signatures (À un enfant qui entre.) Et vous, mon ami, d’où venez-vous ?
L’ENFANT
D’Angleterre, Madame. Voici les signatures d’Oxford, de Londres, celles d’Écosse, et aussi celles d’Irlande.
UN AUTRE ENFANT
Et voici la Bavière, la Westphalie. Et Cologne, Bonn, je ne sais plus. Il y en a des milliers.
UN AUTRE
Voici le Canada, Québec, Montréal. Ottava, Toronto ont envoyé directement à Rome leurs signatures.
MADAME DE NOAILLAT
Ne partez pas, restez, restez tous.
UNE SŒUR (avec un panier rempli de paquets)
Je suis bien chargée. Trois énormes paquets. Ce sont les signatures des Couvents de femmes en France.
UN PRÊTRE (la suit)
Voici les pétitions des Séminaires et des Couvents d’hommes, Bénédictins, Jésuites, Carmes, etc., etc.
MADAME DE NOAILLAT
Posez ces livres ici, voulez-vous ? et restez, nous attendons le Cardinal Laurenti.
UNE DAME (entre et tire un paquet d’un grand sac)
Voici les Associations des Mères Chrétiennes.
UNE JEUNE FILLE (la suit)
Et voici celles des jeunes filles, Enfants de Marie, Rosaire, Chanteuses, etc.
MADAME DE NOAILLAT
Restez, mesdames, vous verrez le Cardinal Laurenti tout à l’heure.
(D’autres personnes arrivent, des groupes d’hommes, de jeunes gens. On entend : Voici le Vénézuela, Voici des pétitions de Chine, d’Insbruck. Il y a du brouhaha.)
MADAME DE NOAILLAT
Doucement, et en ordre, Mesdames, Messieurs, je vous en prie. Vous pouvez mettre tous ces livres sur la table, elle est solide.
UN ENFANT
Et voici le Mexique.
MADAME DE NOAILLAT (s’élance)
Mettez au milieu de la table les livres du Mexique. Ils doivent être à l’honneur.
UNE SŒUR
Oh ! non, Madame ! j’ai mis au milieu les signatures des prêtres.
UNE VOIX MÉCONTENTE
Et vous avez mis par terre Oxford et la Bretagne.
D’AUTRES VOIX INDIGNÉES
La Bretagne, si fervente. Oxford un pays protestant. Et par terre aussi les signatures du Vénézuela qui viennent de si loin.
(On se bouscule un peu, quelques paquets se sont renversés. M. et Mme de Noaillat essaient de ramener la paix et l’ordre.)
MADAME DE NOAILLAT
Je vous en prie, mesdames, que signifient ces disputes ? Mais tous ces livres iront à Rome.
UNE DAME (en colère)
Tout à l’heure, quand il entrera, le Cardinal ne verra pas les pétitions qui seront par terre.
UNE AUTRE (même ton)
Il y a toujours des pays favorisés.
MADAME DE NOAILLAT (souriante)
Non, mesdames, ne craignez rien. Ne pensez pas à ces livres, mais à ce qu’ils représentent. Quel respect ne devons-nous pas avoir pour tous ces chers noms ? Arrangez vous-mêmes sur la table tous ces livres.
(Le calme revient.)

UN ENFANT ENTRE (triomphant)
J’apporte tout un petit chariot. Ce sont les pétitions de l’Espagne.
(On l’aide à décharger.)
MADAME DE NOAILLAT
Jamais, jamais, nous n’aurions osé espérer un tel succès.
MONSIEUR DE NOAILLAT (montrant les livres)
Ces pages sont vivantes. C’est comme le frémissement d’une multitude en marche. Il me semble l’entendre. Ils sont des centaines, des centaines de mille qui ont signé cette pétition.
UN HOMME
On ne peut pas les compter, monsieur. Cependant j’ai retenu quelques chiffres : 764 cardinaux, 102 Abbés et Supérieurs d’Ordres religieux, 149 Supérieures et Sœurs de Communautés de femmes.
LA SŒUR (interrompt vivement)
Il y en a beaucoup plus de 149.
L’HOMME (continuant)
— …Et 12 Universités. Quant aux fidèles il faudra des mois pour les dénombrer.
MARTHE DE NOAILLAT
Et quelle rapidité ! Nous sommes en 1925. Et c’est le 13 mai 1920 que l’Évêque d’Autun, Mgr Berthoin, a exprimé la première idée de cette fête à Benoît XV le soir de la canonisation de sainte Marguerite-Marie.
GEORGES DE NOAILLAT
Cinq ans, c’est peu. Et c’est le 6 juin 1921 au Congrès Eucharistique de Paray que s’est émis le vœu de proposer au Saint Siège qu’il daigne instituer la fête du Règne Social du Sacré Cœur de Jésus, à qui la terre appartient.
UN PRÊTRE
Quel beau jour, je m’en souviens ! Mgr Nègre, l’Évêque de Tours, a exposé la thèse doctrinale de la question. Et ensuite vous, Monsieur, vous avez lu votre rapport et fait acclamer ce vœu à quelques pas de la tombe de sainte Marguerite-Marie.
GEORGES DE NOAILLAT
Ce n’est pas moi.
LE PRÊTRE
Si, si, vous avez tellement travaillé, vous et Mme de Noaillat.
GEORGES DE NOAILLAT
Il faut surtout nommer le Père Drevon, M. de Sarachaga, le Cardinal Laurenti, le P. Ledochowski, les Jésuites, les Bénédictins. Il faut parler des Congrès Eucharistiques de Paris, Rennes, des Semaines Sociales de Turin, Insbrück, Lugano, Oxford, Braga. Et au Canada des Congrès des Agriculteurs, des Voyageurs de Commerce, des Sociétés de Saint-Jean-Baptiste, etc., etc.
MARTHE DE NOAILLAT
Certes ! Mais la petite cheville ouvrière qui a fonctionné sans cesse, il ne faut pourtant pas la dédaigner. Cette petite cheville, c’est vous, c’est moi. (Avec enthousiasme.) En avons-nous écrit des lettres ! Vous souvenez-vous de la si belle lettre que j’ai envoyée au Pape le 25 mars dernier ? Et tant d’autres ! partout ! dans tous les pays du monde ! Je crois que j’en ai écrit plus que vous ! J’en suis même sûre. Les femmes vont plus vite. (Avec ferveur.) J’arriverai en Paradis avant vous !
(Bruit au dehors.)
LA FOULE
Le Cardinal ! le Cardinal !
(Le Cardinal arrive. Il est figuré par Marcel. Celui-ci est magnifique de majesté. On le reconnaît à peine. Il n’a plus du tout l’air taquin. Il est tout en rouge avec une robe d’enfant de chœur et un manteau de pourpre. Lorsqu’il entre, tout le monde se lève ou s’agenouille.)
LE CARDINAL LAURENTI
Mes amis, je viens vous annoncer une grande nouvelle. Cette fois nous touchons au but. Sa Sainteté Pie XI, touchée des demandes multipliées du peuple catholique a décidé d’établir cette année même la fête du Christ-Roi. « L’ordre n’est troublé de toutes parts que parce qu’on méconnaît et qu’on nie les droits souverains universels de Jésus-Christ, et le remède est simple : reconnaissez ces droits en proclamant officiellement la Royauté universelle de Jésus-Christ, et le Monde retrouvera la Paix et la Stabilité[1]. »
UN PRÊTRE
Quand, Excellence, se célébrera cette fête ?
LE CARDINAL
Cette année après Noël. Et désormais le dernier dimanche d’octobre a été fixé par le Pape pour la fête du Christ-Roi.
TOUS
Cette année. Oh ! Oh !
GEORGES DE NOAILLAT
Excellence, voici les livres contenant les pétitions.
LE CARDINAL
Tout cela encore ! Nous en avons reçu à Rome des milliers. (Il les feuillette.) C’est comme un immense champ d’épis d’or qui frémit à l’approche du Soleil divin, du Maître, du Moissonneur, du Roi.
GEORGES DE NOAILLAT
Tous les épis de ce champ sont beaux. Ceux du Mexique marquent le champ doré de taches rouges comme des coquelicots.
MARTHE DE NOAILLAT
Tous ces noms il a fallu les conquérir un à un. Cela en suppose des allées et venues, des explications à donner, des cœurs, des noms à conquérir ! Tant d’hommes ont le cœur barré. (Elle fait signe. On s’écarte et on amène Mlle Fliche, une très vieille femme toute branlante et qui pleure. C’est Sabine. Elle s’est si bien mise dans son rôle de vieille que personne ne pense à Sabine, et on croit vraiment voir Mlle Fliche. Elle s’agenouille.)
MARTHE DE NOAILLAT
Excellence, je veux vous présenter une de nos meilleures messagères, Mlle Fliche.
LE CARDINAL (la bénit)
Relevez-la. Faites-la asseoir.
MARTHE DE NOAILLAT
Elle a 77 ans. Elle a fait plus de 150 visites aux Asiles et Hôpitaux de Paris pour expliquer notre pétition et chaque soir elle rapportait des signatures.
Mlle FLICHE
Mes vieilles jambes ne veulent plus me permettre de continuer.
LE CARDINAL
Ce n’est plus nécessaire. Le Pape vous répond et il accepte votre demande.
Mlle FLICHE
Ah ! toutes mes fatigues sont oubliées ! Je suis contente, et pourtant j’aimais bien monter les escaliers. À chaque marche je disais : « c’est pour votre gloire, Jésus ». Et vers les lits des malades j’avais tellement de choses à leur dire sur le Christ-Roi que le soir j’en avais mal à la gorge. Bien souvent ils pleuraient eux !
MARTHE DE NOAILLAT
Excellence, vous bénissez en elle tous nos messagers infatigables, vieux, jeunes, hommes, femmes, cultivateurs, commerçants, mécaniciens, officiers, malades, tous…

LE CARDINAL
Le Seigneur connaît chacun de ces noms, et l’amour de chacun de ces cœurs.
MARTHE DE NOAILLAT
…Voici les signatures de la France. (Elle tourne des pages.) Ici le nom d’un adjudant en garnison dans un fort des Alpes, il met sa signature et celle de ses enfants et fait signer son planton, qui, dit-il, ayant l’âge de voter pour un homme, à plus forte raison a celui de voter pour son Dieu.
MONSIEUR DE NOAILLAT
Voici les signatures de l’Amérique du Sud, celles du Canada, de la Pologne, la Chine. La Hongrie a envoyé plus de cent mille signatures.
LE CARDINAL (après avoir feuilleté les livres s’écarte de la table)
Toutes les nations sont dans l’attente. Cette fête est voulue par les fidèles. Cela devait être ainsi. C’est la foule qui a hurlé à Jérusalem : « Nous ne voulons pas qu’Il règne. » C’est la foule du monde entier qui doit couvrir ces cris d’ingratitude par des cris d’amour.
(Il se tourne vers l’assistance et élève la voix.)
La fête du Christ-Roi que l’Église va célébrer pour la première fois cette année 1925 a été obtenue sous la poussée des catholiques du monde entier, indignés de voir les impies prétendre établir un nouvel ordre social sans la pierre fondamentale qui est le Christ. Nous n’avons pas voulu attrister cette fête par un spectacle douloureux, mais vous avez tous devant les yeux la scène de l’Ecce Homo. Le Christ sanglant, défiguré sous la couronne d’épines, tremblant de faiblesse après la Flagellation, présenté à la foule par Pilate « Voici votre Roi » et la foule insultante : « Nous ne voulons pas qu’il règne ». Notre fête du Christ-Roi est la réplique à ces outrages : « Nous voulons qu’Il règne », nos acclamations couvriront les affronts et les ingratitudes. Il est juste que la première idée de cette fête soit partie de Paray-le-Monial, le lieu où le Sauveur a gémi de l’indifférence des hommes et où il a déclaré « Je régnerai malgré mes ennemis ».
LA FOULE
Vive le Christ-Roi !
LE CARDINAL
Je vous donne rendez-vous à Rome le 31 décembre dans la splendeur de la première fête du Christ-Roi célébrée par sen Vicaire. Vive le Christ-Roi !
TOUS
Vive le Christ-Roi !
(Le rideau tombe.)
- [1] Pie XI, Encyclique Quas primas.↩
Quelle merveille ! Merci de partager ce si beau texte de Jeanne Danemarie, en cette année du centenaire de l’instauration de la fête du Christ-Roi. Soyez bénis pour cette belle initiative !
Merci,
Oui, c’est un livre qui explique de manière assez complète le Christ-Roi aux enfants en cette année d’anniversaire.