Pourquoi les enfants préparent la fête du Christ-Roi

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 9 minutes

I

MONSIEUR le Curé est venu me voir il y a quelques jours ; il vou­drait que je l’aide à pré­pa­rer une belle fête du pour les enfants. 

— C’est une fête nou­velle, il faut l’ex­pli­quer. Vou­lez-vous col­la­bo­rer avec moi ? 

— Volon­tiers, M. le Curé, et je suis fière de votre confiance. Que dési­rez-vous exactement ? 

— Je vou­drais que cette fête serve un double but : 1° faire com­prendre l’in­ten­tion de l’É­glise, et 2° être un hom­mage au Christ-Roi. Il faut qu’Il règne, il faut faire rendre, non pas aux âmes indi­vi­duelles seule­ment, mais à la famille et enfin aux socié­tés, l’hom­mage de la sujé­tion au Roi des rois. 

Je repris.

— Et vous vou­lez en même temps que ce soit une fête d’enfants ? 

— Oui, il faut com­men­cer par eux. Avoir l’air de s’a­dres­ser à eux. Mais les fêtes de l’É­glise sont le caté­chisme des grands enfants que sont tous les hommes [1].

— Eh bien, M. le Curé, je vais essayer de réa­li­ser votre désir. Je ferai de mon mieux !

Après réflexion, j’ai déci­dé d’ap­pe­ler autour de moi des enfants ; avec eux je tra­vaille­rai plus effi­ca­ce­ment. J’ai choi­si d’a­bord Made­leine, le boute-en-train ; elle a aujourd’­hui onze ans, elle est grande, épa­nouie, la joie de vivre conti­nue à débor­der en elle, et sa fer­veur est rayonnante. 

Puis j’ai appe­lé aus­si sa sœur Sabine ; elle a gran­di, min­ci, dans ses yeux on lit la bon­té mais aus­si la malice ; elle voit tout et ne passe rien aux autres. 

Et sur­tout j’ai vou­lu l’aide d’An­dré, leur cou­sin. C’est un grand gar­çon de douze ans, trop grand, trop pré­coce en tout. Il a dû inter­rompre ses études sur l’ordre du doc­teur, il est en vacances for­cées, ce qu’en­vient ses cou­sines mais ne l’en­chante pas lui-même. M. le Curé a devi­né chez André une âme toute fré­mis­sante, et avec soin il la cultive. 

J’ai convo­qué aus­si son frère Mar­cel, un gosse de dix ans, far­ceur, gai, adroit, un cœur d’or. 

Enfin Bru­no s’est ajou­té de lui-même à notre groupe ; c’est un autre cou­sin de six ans, petit, menu, éton­nam­ment éveillé. Made­leine, très mater­nelle l’a­dore et lui fait ses confidences. 

J’ai expli­qué à mon petit état-major le désir de M. le Curé : trou­ver une manière à eux de fêter le Christ-Roi. Je leur ai racon­té l’o­ri­gine de la fête, les péti­tions par­ties de Paray-le-Monial, puis du monde entier pour la deman­der au Pape. Je leur ai par­lé du Mexique, des mar­tyrs mou­rant au cri de Vive le Christ-Roi.

Monsieur le curé explique aux enfants ce qu'est le Christ-Roi

Enfin je les ai grou­pés dans mon jar­din et j’ai prié M. le Curé de venir leur expli­quer lui-même la place du Christ dans la Création.

Le temps est beau, mon jar­din est exquis, les oiseaux chantent dans les arbres tout jeunes sous leurs feuilles nouvelles. 

Made­leine arrive la pre­mière, elle s’a­gite ; elle aime gou­ver­ner et trou­ve­rait natu­rel d’être seule Grande Maî­tresse des Céré­mo­nies. Sage­ment elle accepte des adjoints, mais je devine qu’elle garde une arrière-pensée. 

Voi­ci André et Mar­cel, le plus jeune guide l’aî­né qui s’ap­puie sur une canne ; il l’ins­talle gen­ti­ment dans un fau­teuil aidé de Made­leine. Sabine et Bru­no arrivent en cou­rant et pres­qu’en même temps, voi­ci M. le Curé. 

M. LE CURÉ 

Avant tout nous allons adres­ser une prière au Saint-Esprit. 

MADELEINE (approu­vant)

Oui, c’est ça. 

SABINE (moqueuse )

M. le Curé n’a pas besoin que tu l’approuves.

M. LE CURÉ 

(M. le Curé s’as­sied après la prière.)
Savez-vous pour­quoi je veux une très belle fête du Christ-Roi ?
( Un silence.) 

Le Christ couronné d'épine, avec la cape rouge et le roseau en guise de sceptre

SABINE (hési­tant)

… Parce que, on ne la connaît pas encore très bien.

M. LE CURÉ 

Oui, jus­te­ment. Voyez, les hommes sont très igno­rants de la reli­gion et l’ou­blient. Mais les fêtes frappent leur ima­gi­na­tion. Une fête est la défi­ni­tion la plus claire d’une véri­té : Noël leur rap­pelle l’In­car­na­tion, le Ven­dre­di-Saint la Rédemp­tion et sans la belle Fête-Dieu bien des hommes oublie­raient la pré­sence réelle du Christ dans l’Eucharistie.

MADELEINE

C’est vrai.

M. LE CURÉ

Alors pour rap­pe­ler le règne du Christ sur les hommes, il faut une fête qui frappe aus­si leur imagination.

MARCEL

Il fau­drait avoir par­tout une immense sta­tue du Christ-Roi comme aux Houches.

ANDRÉ

M. le Curé, expli­quez-nous quelque chose : vous dites Noël c’est l’In­car­na­tion, le Ven­dre­di-Saint c’est la Rédemp­tion, mais le règne du Christ qu’est-ce que cela peut signi­fier exactement ?

M. LE CURÉ

Vous avez rai­son de me poser cette ques­tion. je crois que vous êtes assez grands pour com-prendre. Écou­tez bien : La terre, le soleil, les fleurs, l’eau, le ciel, qui a fait cela ?

TOUS

Dieu.

M. LE CURÉ

Pour­quoi ?
(Silence.)

M. LE CURÉ

Cher­chez bien.

MARCEL

Parce que ça lui a fait plaisir.

M. LE CURÉ

Oui, Mar­cel, c’est cela. Dieu a créé par joie, par amour. Quand vous êtes contents, très contents, vous vou­lez le mani­fes­ter, vous vou­lez que les autres soient contents avec vous.

MADELEINE

Oui, bien sûr.

M. LE CURÉ

Eh bien, la créa­tion c’est le jaillis­se­ment d’a­mour du Dieu qui veut être aimé. Le Christ son fils est le chef-d’œuvre, le som­met de cette créa­tion d’a­mour. La terre a été créée pour Lui. Vous com­pre­nez cela ?

LES ENFANTS

Oui.

M. LE CURÉ 

Sui­vez-moi bien. Le Fils de Dieu, le Verbe, à son tour veut rendre à son Père amour pour amour : alors il demande les Anges aux légions innom­brables, les hommes aux géné­ra­tions suc­ces­sives. L’a­mour que ces créa­tures auront pour Dieu sera la mesure de leur per­fec­tion pen­dant l’é­preuve et de leur bon­heur pen­dant l’é­ter­ni­té. Comprenez-vous ?

ANDRÉ

Oui, M. le Curé. Le Père qui a créé le monde, l’a créé par amour. Le Fils de Dieu est le som­met de cet amour, et les créa­tures n’existent que pour aimer Dieu, faire triom­pher le Christ dans la créa­tion, par amour.

M. LE CURÉ

Oui. C’é­tait le plan divin. Le péché l’a tra­ver­sé, détour­nant les hommes de l’a­mour de Dieu, les arra­chant à leur bon­heur éter­nel. Alors pour réta­blir ce plan divin, le Christ renonce au triomphe ter­restre, se fait Rédemp­teur de l’homme dans l’hu­mi­lia­tion et la souf­france. Et par amour pour les hommes le Père accepte le sacri­fice de son Fils… Est-ce trop dif­fi­cile à comprendre ?

ANDRÉ

Oh non, M. le Curé. J’ai com­pris. Et alors, nous les hommes, nous ne vou­lons plus que le Christ conti­nue à être humi­lié pour nous. Et mal­gré les méchants et parce que nous l’ai­mons, nous vou­lons lui rendre sur la terre même toute la gloire possible.

M. LE CURÉ

C’est bien, André, tu as compris.

MADELEINE

Moi aus­si, M. le Curé, j’ai com­pris. C’est par­tout l’a­mour. L’In­car­na­tion c’est l’a­mour qui sort de Dieu ; les Anges, les hommes, la terre, c’est l’a­mour qui remonte à Dieu, mais le péché a… (elle cherche ses mots)

M. LE CURÉ

… a gâté cette belle harmonie.

MADELEINE

C’est ça. Alors la Rédemp­tion répa­re­ra tout. Mais le pauvre Jésus a trop souf­fert sur terre ; les hommes dési­rent qu’Il soit quand même un peu heu­reux main­te­nant. Et ils veulent une belle, très belle fête pour com­pen­ser un peu sa trop triste Passion.

M. LE CURÉ

C’est bien, vous avez com­pris. Essayez de pré­pa­rer quelque chose.

ANDRÉ (per­plexe)

Ce sera difficile. 

M. LE CURÉ 

Ce sera un effort d’a­mour. Il a dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » Sur terre ce ne peut être que peu de chose, cette gloire. Mais ce peu de chose vau­dra par l’a­mour qui l’au­ra ins­pi­ré. Et cet amour fait déjà par­tie de ce royaume qui n’est pas de ce monde.

( Un silence. M. le Curé regarde les petits visages tour­nés vers lui : celui d’An­dré rayonne de com­pré­hen­sion, celui de Made­leine exprime déjà un vif désir d’ac­tion, ceux de Mar­cel et de Sabine rient d l’i­dée d’in­ven­ter quelque chose. Quant à Bru­no il n’é­coute plus. Avec un petit arro­soir plein d’eau il inonde une minus­cule plante, une seule, fraî­che­ment repi­quée dans le mas­sif, elle dis­pa­raît dans le trou d’eau. Made­leine s’en aper­çoit, s’é­lance, lui arrache l’ar­ro­soir. Bru­no trépigne.)

MADELEINE

Tais-toi, on va faire une belle fête, et on t’emmènera por­ter des fleurs au grand Christ des Houches.

M. LE CURÉ (se lève)

Main­te­nant je vous laisse tra­vailler. Lorsque vous aurez trou­vé quelque chose, venez m’en parler.

MADELEINE

M. le Curé, on a dit que cette fête a été deman­dée par les catho­liques et que c’est une femme, Madame de Noaillat, qui a tout orga­ni­sé pour cette sup­plique au Pape. Est-ce vrai ?

M. LE CURÉ

En effet.

MADELEINE (bon­dis­sant)

Quelle chance que ce soit une femme ! (Insi­nuante). Alors puisque je dois orga­ni­ser la fête ici, vou­lez-vous me per­mettre pen­dant la pré­pa­ra­tion de cette fête de m’ap­pe­ler Madame Marthe de Noaillat ?

M. LE CURÉ (riant)

Je n’y vois pas d’inconvénient.

MADELEINE

Mer­ci. Il y avait aus­si M. de Noaillat. Ce sera Bruno.

M. LE CURÉ

Je veux bien, mais Mar­cel ne serait-il pas mieux indiqué ? 

MADELEINE (vive­ment)

Non, non, Mar­cel me taquine tout le temps. Il veut tou­jours commander.

MARCEL

Hé ! un mari doit commander ! 

MADELEINE

Pas du tout, un mari doit se faire aimer. 

Les deux cou­sins s’é­loignent en se dis­pu­tant un peu. Nous rions, M. le Curé et moi, et André remarque finement :

Made­leine vou­lait être la maî­tresse des céré­mo­nies, elle est arri­vée à ses fins. Le Chef unique. (Il rit.)

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  1. [1] G. de Noaillat.

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