I
MONSIEUR le Curé est venu me voir il y a quelques jours ; il voudrait que je l’aide à préparer une belle fête du Christ-Roi pour les enfants.
— C’est une fête nouvelle, il faut l’expliquer. Voulez-vous collaborer avec moi ?
— Volontiers, M. le Curé, et je suis fière de votre confiance. Que désirez-vous exactement ?
— Je voudrais que cette fête serve un double but : 1° faire comprendre l’intention de l’Église, et 2° être un hommage au Christ-Roi. Il faut qu’Il règne, il faut faire rendre, non pas aux âmes individuelles seulement, mais à la famille et enfin aux sociétés, l’hommage de la sujétion au Roi des rois.
Je repris.
— Et vous voulez en même temps que ce soit une fête d’enfants ?
— Oui, il faut commencer par eux. Avoir l’air de s’adresser à eux. Mais les fêtes de l’Église sont le catéchisme des grands enfants que sont tous les hommes [1].
— Eh bien, M. le Curé, je vais essayer de réaliser votre désir. Je ferai de mon mieux !
Après réflexion, j’ai décidé d’appeler autour de moi des enfants ; avec eux je travaillerai plus efficacement. J’ai choisi d’abord Madeleine, le boute-en-train ; elle a aujourd’hui onze ans, elle est grande, épanouie, la joie de vivre continue à déborder en elle, et sa ferveur est rayonnante.
Puis j’ai appelé aussi sa sœur Sabine ; elle a grandi, minci, dans ses yeux on lit la bonté mais aussi la malice ; elle voit tout et ne passe rien aux autres.
Et surtout j’ai voulu l’aide d’André, leur cousin. C’est un grand garçon de douze ans, trop grand, trop précoce en tout. Il a dû interrompre ses études sur l’ordre du docteur, il est en vacances forcées, ce qu’envient ses cousines mais ne l’enchante pas lui-même. M. le Curé a deviné chez André une âme toute frémissante, et avec soin il la cultive.
J’ai convoqué aussi son frère Marcel, un gosse de dix ans, farceur, gai, adroit, un cœur d’or.
Enfin Bruno s’est ajouté de lui-même à notre groupe ; c’est un autre cousin de six ans, petit, menu, étonnamment éveillé. Madeleine, très maternelle l’adore et lui fait ses confidences.
J’ai expliqué à mon petit état-major le désir de M. le Curé : trouver une manière à eux de fêter le Christ-Roi. Je leur ai raconté l’origine de la fête, les pétitions parties de Paray-le-Monial, puis du monde entier pour la demander au Pape. Je leur ai parlé du Mexique, des martyrs mourant au cri de Vive le Christ-Roi.

Enfin je les ai groupés dans mon jardin et j’ai prié M. le Curé de venir leur expliquer lui-même la place du Christ dans la Création.
Le temps est beau, mon jardin est exquis, les oiseaux chantent dans les arbres tout jeunes sous leurs feuilles nouvelles.
Madeleine arrive la première, elle s’agite ; elle aime gouverner et trouverait naturel d’être seule Grande Maîtresse des Cérémonies. Sagement elle accepte des adjoints, mais je devine qu’elle garde une arrière-pensée.
Voici André et Marcel, le plus jeune guide l’aîné qui s’appuie sur une canne ; il l’installe gentiment dans un fauteuil aidé de Madeleine. Sabine et Bruno arrivent en courant et presqu’en même temps, voici M. le Curé.
M. LE CURÉ
Avant tout nous allons adresser une prière au Saint-Esprit.
MADELEINE (approuvant)
Oui, c’est ça.
SABINE (moqueuse )
M. le Curé n’a pas besoin que tu l’approuves.
M. LE CURÉ
(M. le Curé s’assied après la prière.)
Savez-vous pourquoi je veux une très belle fête du Christ-Roi ?
( Un silence.)
SABINE (hésitant)
… Parce que, on ne la connaît pas encore très bien.
M. LE CURÉ
Oui, justement. Voyez, les hommes sont très ignorants de la religion et l’oublient. Mais les fêtes frappent leur imagination. Une fête est la définition la plus claire d’une vérité : Noël leur rappelle l’Incarnation, le Vendredi-Saint la Rédemption et sans la belle Fête-Dieu bien des hommes oublieraient la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie.
MADELEINE
C’est vrai.
M. LE CURÉ
Alors pour rappeler le règne du Christ sur les hommes, il faut une fête qui frappe aussi leur imagination.
MARCEL
Il faudrait avoir partout une immense statue du Christ-Roi comme aux Houches.
ANDRÉ
M. le Curé, expliquez-nous quelque chose : vous dites Noël c’est l’Incarnation, le Vendredi-Saint c’est la Rédemption, mais le règne du Christ qu’est-ce que cela peut signifier exactement ?
M. LE CURÉ
Vous avez raison de me poser cette question. je crois que vous êtes assez grands pour com-prendre. Écoutez bien : La terre, le soleil, les fleurs, l’eau, le ciel, qui a fait cela ?
TOUS
Dieu.
M. LE CURÉ
Pourquoi ?
(Silence.)
M. LE CURÉ
Cherchez bien.
MARCEL
Parce que ça lui a fait plaisir.
M. LE CURÉ
Oui, Marcel, c’est cela. Dieu a créé par joie, par amour. Quand vous êtes contents, très contents, vous voulez le manifester, vous voulez que les autres soient contents avec vous.
MADELEINE
Oui, bien sûr.
M. LE CURÉ
Eh bien, la création c’est le jaillissement d’amour du Dieu qui veut être aimé. Le Christ son fils est le chef-d’œuvre, le sommet de cette création d’amour. La terre a été créée pour Lui. Vous comprenez cela ?
LES ENFANTS
Oui.
M. LE CURÉ
Suivez-moi bien. Le Fils de Dieu, le Verbe, à son tour veut rendre à son Père amour pour amour : alors il demande les Anges aux légions innombrables, les hommes aux générations successives. L’amour que ces créatures auront pour Dieu sera la mesure de leur perfection pendant l’épreuve et de leur bonheur pendant l’éternité. Comprenez-vous ?
ANDRÉ
Oui, M. le Curé. Le Père qui a créé le monde, l’a créé par amour. Le Fils de Dieu est le sommet de cet amour, et les créatures n’existent que pour aimer Dieu, faire triompher le Christ dans la création, par amour.
M. LE CURÉ
Oui. C’était le plan divin. Le péché l’a traversé, détournant les hommes de l’amour de Dieu, les arrachant à leur bonheur éternel. Alors pour rétablir ce plan divin, le Christ renonce au triomphe terrestre, se fait Rédempteur de l’homme dans l’humiliation et la souffrance. Et par amour pour les hommes le Père accepte le sacrifice de son Fils… Est-ce trop difficile à comprendre ?
ANDRÉ
Oh non, M. le Curé. J’ai compris. Et alors, nous les hommes, nous ne voulons plus que le Christ continue à être humilié pour nous. Et malgré les méchants et parce que nous l’aimons, nous voulons lui rendre sur la terre même toute la gloire possible.
M. LE CURÉ
C’est bien, André, tu as compris.
MADELEINE
Moi aussi, M. le Curé, j’ai compris. C’est partout l’amour. L’Incarnation c’est l’amour qui sort de Dieu ; les Anges, les hommes, la terre, c’est l’amour qui remonte à Dieu, mais le péché a… (elle cherche ses mots)
M. LE CURÉ
… a gâté cette belle harmonie.
MADELEINE
C’est ça. Alors la Rédemption réparera tout. Mais le pauvre Jésus a trop souffert sur terre ; les hommes désirent qu’Il soit quand même un peu heureux maintenant. Et ils veulent une belle, très belle fête pour compenser un peu sa trop triste Passion.
M. LE CURÉ
C’est bien, vous avez compris. Essayez de préparer quelque chose.
ANDRÉ (perplexe)
Ce sera difficile.
M. LE CURÉ
Ce sera un effort d’amour. Il a dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » Sur terre ce ne peut être que peu de chose, cette gloire. Mais ce peu de chose vaudra par l’amour qui l’aura inspiré. Et cet amour fait déjà partie de ce royaume qui n’est pas de ce monde.

( Un silence. M. le Curé regarde les petits visages tournés vers lui : celui d’André rayonne de compréhension, celui de Madeleine exprime déjà un vif désir d’action, ceux de Marcel et de Sabine rient d l’idée d’inventer quelque chose. Quant à Bruno il n’écoute plus. Avec un petit arrosoir plein d’eau il inonde une minuscule plante, une seule, fraîchement repiquée dans le massif, elle disparaît dans le trou d’eau. Madeleine s’en aperçoit, s’élance, lui arrache l’arrosoir. Bruno trépigne.)
MADELEINE
Tais-toi, on va faire une belle fête, et on t’emmènera porter des fleurs au grand Christ des Houches.
M. LE CURÉ (se lève)
Maintenant je vous laisse travailler. Lorsque vous aurez trouvé quelque chose, venez m’en parler.
MADELEINE
M. le Curé, on a dit que cette fête a été demandée par les catholiques et que c’est une femme, Madame de Noaillat, qui a tout organisé pour cette supplique au Pape. Est-ce vrai ?
M. LE CURÉ
En effet.
MADELEINE (bondissant)
Quelle chance que ce soit une femme ! (Insinuante). Alors puisque je dois organiser la fête ici, voulez-vous me permettre pendant la préparation de cette fête de m’appeler Madame Marthe de Noaillat ?
M. LE CURÉ (riant)
Je n’y vois pas d’inconvénient.
MADELEINE
Merci. Il y avait aussi M. de Noaillat. Ce sera Bruno.
M. LE CURÉ
Je veux bien, mais Marcel ne serait-il pas mieux indiqué ?
MADELEINE (vivement)
Non, non, Marcel me taquine tout le temps. Il veut toujours commander.
MARCEL
Hé ! un mari doit commander !
MADELEINE
Pas du tout, un mari doit se faire aimer.
Les deux cousins s’éloignent en se disputant un peu. Nous rions, M. le Curé et moi, et André remarque finement :
Madeleine voulait être la maîtresse des cérémonies, elle est arrivée à ses fins. Le Chef unique. (Il rit.)
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- [1] G. de Noaillat.↩
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