L’écriture de la prière au Christ-Roi

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 8 minutes

III

LES vacances ont pas­sé. Les jeux ont-ils fait oublier la pré­pa­ra­tion de la fête qui va clore le bel automne ? 

Non, ne le croyez pas. André a tra­vaillé. Sur la table basse qui voi­sine avec sa chaise-longue, à côté des livres, un buvard ren­ferme son pro­jet. Il le retouche sans cesse, le connaît par cœur. M. le Curé tra­verse la prai­rie et vient s’as­seoir à côté de l’enfant. 

M. le Curé est jeune. Il est très fervent, il a pris à cœur cette fête des petits pour le Christ-Roi. Il regarde André, et s’a­per­çoit qu’il dort. Sur ses genoux repose le cahier qui ren­ferme son projet. 

M. le Curé prend le cahier, le feuillette. André dort tou­jours. Alors M. le Curé lit, tourne les pages une à une… puis il referme le cahier et le repose sur les genoux de l’en­fant… et voi­ci que deux larmes tombent de ses yeux sur les petites mains croi­sées. M. le Curé est ému. Pour­tant il sou­rit. Il est content du tra­vail d’An­dré et sur­tout il se sent heu­reux, lui, heu­reux, fier d’être le prêtre, d’être celui qui repré­sente sur terre le Christ, aimé jus­qu’à la mort. 

M. LE CURÉ (voit qu’An­dré s’é­veille)

Eh bien, André, cette fois il faut me don­ner votre tra­vail. Je suis venu le chercher. 

ANDRÉ (sou­pire)

Ce n’est pas encore ce que j’au­rais voulu. 

M. LE CURÉ 

Vous ne serez jamais content. Le mieux est l’en­ne­mi du bien. Avez-vous choi­si votre rôle ? 

ANDRÉ (dont les yeux se troublent un peu)

Oui, j’a­vais choi­si le plus impor­tant, celui du P. Pro. Je le sais par cœur. Mais je crois que ce serait trop fati­gant pour moi. 

M. LE CURÉ (affec­tueu­se­ment)

Oui, mieux vaut en tenir un plus simple. D’au­tant plus que vous devrez m’ai­der à gui­der les acteurs.

ANDRÉ

Je vou­drais que ce soit bien joué. 

M. LE CURÉ 

Ce sera bien joué. J’y met­trai tous mes soins. (Il feuillette les pages. Pen­dant ce temps André s’est ren­ver­sé sur sa chaise-longue et ferme de nou­veau les yeux. M. le Curé regarde l’en­fant et le trouve bien pâle.)

M. LE CURÉ 

…Au fond, André, le mieux serait pour vous de ne point prendre de rôle du tout. Il sera beau­coup plus impor­tant de m’ai­der à sur­veiller le jeu des acteurs. 

(André rouvre les yeux. Sur son fin visage une expres­sion de peine s’est mar­quée aux paroles de M. le Curé. Il ne répond pas tout de suite. Très pers­pi­cace il devine la pen­sée qui les a dic­tées. Puis il prend son par­ti. Il y a des semaines qu’il abdique ain­si peu à peu devant tous ces petits bon­heurs qui tissent la vie de l’en­fance.)

ANDRÉ (bra­ve­ment)

Oui, c’est cela, M. le Curé, je sur­veille­rai le jeu des acteurs. 

M. LE CURÉ 

Il fau­dra aus­si sur­veiller Made­leine. Je ne suis pas sans inquié­tude sur ses pré­pa­ra­tifs. La voici. 

(Made­leine arrive en cou­rant, déjà échauf­fée, en sueur. Elle s’ar­rête. Tant de fois on lui a recom­man­dé de ne pas s’a­gi­ter à côté d’An­dré qu’elle fatigue. Elle s’ap­proche doucement.)

MADELEINE

Bon­jour, M. le Curé ; bon­jour, Mon­sieur mon cou­sin. Puis-je res­ter un moment avec vous ? (Sans attendre la réponse, elle se laisse choir dans l’herbe et demande) : 

Alors, André, c’est tout prêt, on va pou­voir dis­tri­buer les rôles et tra­vailler aux costumes.

ANDRÉ

Je t’ai déjà dit qu’il ne fal­lait pas de costumes.

MADELEINE

Pas pour toi, mais pour moi il en faut quelques-uns.

M. LE CURÉ (les inter­rom­pant)

J’ai quelque chose de très inté­res­sant à vous dire à tous les deux et une per­mis­sion à vous demander.

MADELEINE

À nous, M. le Curé ? Oh ! c’est rare et drôle.

M. LE CURÉ 

Voi­là : Hier nous avons eu une réunion de prêtres et j’ai racon­té à mes confrères notre pro­jet pour la fête du Christ-Roi. Ils ont été très inté­res­sés et savez-vous ce qu’ils désirent ? 

MADELEINE (qui se dresse d’un élan) 

Que nous allions aus­si jouer chez eux. 

M. LE CURÉ 

Non, mieux que cela. Ils vous demandent l’au­to­ri­sa­tion de jouer vos pièces dans leurs paroisses le jour même de la fête du Christ-Roi.

MADELEINE

Nos pièces ? dans d’autres paroisses ? Oh ! c’est beau. André, soyons fiers. (Elle tour­noie sur elle-même, les bras en l’air en chantant.) 

ANDRÉ (il est deve­nu pâle de fier­té sans doute. Pour­tant il dit à mi-voix à M. le Curé avec simplicité) :

Ma pièce n’est pas à moi ; elle est faite d’his­toires qui se sont pas­sées réel­le­ment. Je n’ai rien inventé.

(M. le Curé ne répond pas, Made­leine fait tant de bruit : Elle conti­nue à tour­noyer et à chanter.) 

ANDRÉ

As-tu fini, Made­leine ? on ne s’en­tend plus. 

MADELEINE

Je suis fière et contente. Je suis comme le bon Dieu.

ANDRÉ

Tu es folle.

MADELEINE

Pas du tout. N’est-ce pas, M. le Curé, vous avez dit que la créa­tion était un jaillis­se­ment d’a­mour de la part du Créa­teur. Il était tel­le­ment heu­reux dans son ciel qu’il a vou­lu créer des êtres heu­reux. Eh bien, moi, c’est la même chose. Je suis contente de pen­ser que les autres auront de la joie avec mon petit travail.

ANDRÉ

Si le temps pou­vait être beau le 28 octobre on joue­rait dehors. 

MADELEINE (d’un ton péremp­toire)

Il fera beau temps. Nous le deman­de­rons au bon Dieu. Nous appel­le­rons au secours les âmes du Purgatoire. 

ANDRÉ (moqueur)

Elles n’y peuvent rien. Ce sont les anges qui sont char­gés de veiller sur les forces de la nature.

MADELEINE

Oh ! Oh ! tu es bien savant.

Les anges veillent sur les forces de la nature

ANDRÉ

C’est M. le Curé qui m’a appris tout ce que je sais. 

MADELEINE

Jus­te­ment la fête des anges est au début d’oc­tobre. Ils nous pré­pa­re­ront un temps magni­fique en l’hon­neur du Christ-Roi. 

M. LE CURÉ 

C’est enten­du.

MADELEINE

Je vais vite racon­ter tout cela à Sabine et Mar­cel. (Elle s’en­fuit.)

M. le Curé prend le cahier d’An­dré, serre la main de l’en­fant et s’é­loigne. Celui-ci reste seul. Il n’est pas triste. Le voi­là même qui chan­tonne à mi-voix et sou­rit à sa mère qui lui apporte son goû­ter. Le petit renon­ce­ment qu’il a dû accep­ter en ne figu­rant pas par­mi les acteurs de sa scène, ne le fait plus souf­frir. Tant pis… Il sera plus libre ce jour-là, plus déta­ché de sou­cis… Tant mieux… Il ne se doute pas, le cher petit, qu’il che­mine sur cette Voie Royale de la Croix, sur les pas de son Maître, du Christ son Roi.

Un peu plus tard, Made­leine repa­raît à pas de loup, mys­té­rieuse, un papier à la main.

MADELEINE

André, ne crois-tu pas que la fête devrait finir par une jolie prière que les enfants liraient au Christ-Roi après la Bénédiction ? 

ANDRÉ

Oui, j’y ai pen­sé. (Il cherche une feuille.) 

MADELEINE

Toi aus­si ?… J’a­vais pré­pa­ré quelque chose… 

ANDRÉ

Moi aus­si.

MADELEINE (condes­cen­dante)

Lis le premier. 

ANDRÉ (avec sim­pli­ci­té)

Si tu veux ! (Il prend sa feuille et lit len­te­ment quelques lignes. Made­leine écoute avec grande atten­tion. Quand il a fini, d’un geste brusque elle déchire son propre papier.)

MADELEINE

Ta prière est plus belle que la mienne. Tu en par­le­ras à M. le Curé. 

M. le Curé a approu­vé le pro­jet de lire cette prière à la Béné­dic­tion. Made­leine lui a racon­té qu’elle avait déchi­ré son pro­jet en enten­dant celui d’André.

M. LE CURÉ 

Eh bien, vous avez imi­té saint Bona­ven­ture. Il avait aus­si pré­pa­ré un bel Office pour la fête du Saint-Sacre­ment, mais en enten­dant lire celui de saint Tho­mas d’A­quin, il a déchi­ré le sien. 

MADELEINE (gra­cieuse)

M. le Curé, vous savez tou­jours de belles his­toires qui font plai­sir et donnent du courage.


Navigation dans Le Christ-Roi
« L’armée du Roi

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.