III
LES vacances ont passé. Les jeux ont-ils fait oublier la préparation de la fête qui va clore le bel automne ?
Non, ne le croyez pas. André a travaillé. Sur la table basse qui voisine avec sa chaise-longue, à côté des livres, un buvard renferme son projet. Il le retouche sans cesse, le connaît par cœur. M. le Curé traverse la prairie et vient s’asseoir à côté de l’enfant.
M. le Curé est jeune. Il est très fervent, il a pris à cœur cette fête des petits pour le Christ-Roi. Il regarde André, et s’aperçoit qu’il dort. Sur ses genoux repose le cahier qui renferme son projet.
M. le Curé prend le cahier, le feuillette. André dort toujours. Alors M. le Curé lit, tourne les pages une à une… puis il referme le cahier et le repose sur les genoux de l’enfant… et voici que deux larmes tombent de ses yeux sur les petites mains croisées. M. le Curé est ému. Pourtant il sourit. Il est content du travail d’André et surtout il se sent heureux, lui, heureux, fier d’être le prêtre, d’être celui qui représente sur terre le Christ, aimé jusqu’à la mort.
M. LE CURÉ (voit qu’André s’éveille)
Eh bien, André, cette fois il faut me donner votre travail. Je suis venu le chercher.
ANDRÉ (soupire)
Ce n’est pas encore ce que j’aurais voulu.
M. LE CURÉ
Vous ne serez jamais content. Le mieux est l’ennemi du bien. Avez-vous choisi votre rôle ?
ANDRÉ (dont les yeux se troublent un peu)
Oui, j’avais choisi le plus important, celui du P. Pro. Je le sais par cœur. Mais je crois que ce serait trop fatigant pour moi.
M. LE CURÉ (affectueusement)
Oui, mieux vaut en tenir un plus simple. D’autant plus que vous devrez m’aider à guider les acteurs.
ANDRÉ
Je voudrais que ce soit bien joué.
M. LE CURÉ
Ce sera bien joué. J’y mettrai tous mes soins. (Il feuillette les pages. Pendant ce temps André s’est renversé sur sa chaise-longue et ferme de nouveau les yeux. M. le Curé regarde l’enfant et le trouve bien pâle.)
M. LE CURÉ
…Au fond, André, le mieux serait pour vous de ne point prendre de rôle du tout. Il sera beaucoup plus important de m’aider à surveiller le jeu des acteurs.
(André rouvre les yeux. Sur son fin visage une expression de peine s’est marquée aux paroles de M. le Curé. Il ne répond pas tout de suite. Très perspicace il devine la pensée qui les a dictées. Puis il prend son parti. Il y a des semaines qu’il abdique ainsi peu à peu devant tous ces petits bonheurs qui tissent la vie de l’enfance.)
ANDRÉ (bravement)
Oui, c’est cela, M. le Curé, je surveillerai le jeu des acteurs.
M. LE CURÉ
Il faudra aussi surveiller Madeleine. Je ne suis pas sans inquiétude sur ses préparatifs. La voici.
(Madeleine arrive en courant, déjà échauffée, en sueur. Elle s’arrête. Tant de fois on lui a recommandé de ne pas s’agiter à côté d’André qu’elle fatigue. Elle s’approche doucement.)
MADELEINE
Bonjour, M. le Curé ; bonjour, Monsieur mon cousin. Puis-je rester un moment avec vous ? (Sans attendre la réponse, elle se laisse choir dans l’herbe et demande) :
Alors, André, c’est tout prêt, on va pouvoir distribuer les rôles et travailler aux costumes.
ANDRÉ
Je t’ai déjà dit qu’il ne fallait pas de costumes.
MADELEINE
Pas pour toi, mais pour moi il en faut quelques-uns.
M. LE CURÉ (les interrompant)
J’ai quelque chose de très intéressant à vous dire à tous les deux et une permission à vous demander.
MADELEINE
À nous, M. le Curé ? Oh ! c’est rare et drôle.
M. LE CURÉ
Voilà : Hier nous avons eu une réunion de prêtres et j’ai raconté à mes confrères notre projet pour la fête du Christ-Roi. Ils ont été très intéressés et savez-vous ce qu’ils désirent ?
MADELEINE (qui se dresse d’un élan)

Que nous allions aussi jouer chez eux.
M. LE CURÉ
Non, mieux que cela. Ils vous demandent l’autorisation de jouer vos pièces dans leurs paroisses le jour même de la fête du Christ-Roi.
MADELEINE
Nos pièces ? dans d’autres paroisses ? Oh ! c’est beau. André, soyons fiers. (Elle tournoie sur elle-même, les bras en l’air en chantant.)
ANDRÉ (il est devenu pâle de fierté sans doute. Pourtant il dit à mi-voix à M. le Curé avec simplicité) :
Ma pièce n’est pas à moi ; elle est faite d’histoires qui se sont passées réellement. Je n’ai rien inventé.
(M. le Curé ne répond pas, Madeleine fait tant de bruit : Elle continue à tournoyer et à chanter.)
ANDRÉ
As-tu fini, Madeleine ? on ne s’entend plus.
MADELEINE
Je suis fière et contente. Je suis comme le bon Dieu.
ANDRÉ
Tu es folle.
MADELEINE
Pas du tout. N’est-ce pas, M. le Curé, vous avez dit que la création était un jaillissement d’amour de la part du Créateur. Il était tellement heureux dans son ciel qu’il a voulu créer des êtres heureux. Eh bien, moi, c’est la même chose. Je suis contente de penser que les autres auront de la joie avec mon petit travail.
ANDRÉ
Si le temps pouvait être beau le 28 octobre on jouerait dehors.
MADELEINE (d’un ton péremptoire)
Il fera beau temps. Nous le demanderons au bon Dieu. Nous appellerons au secours les âmes du Purgatoire.
ANDRÉ (moqueur)
Elles n’y peuvent rien. Ce sont les anges qui sont chargés de veiller sur les forces de la nature.
MADELEINE
Oh ! Oh ! tu es bien savant.

ANDRÉ
C’est M. le Curé qui m’a appris tout ce que je sais.
MADELEINE
Justement la fête des anges est au début d’octobre. Ils nous prépareront un temps magnifique en l’honneur du Christ-Roi.
M. LE CURÉ
C’est entendu.
MADELEINE
Je vais vite raconter tout cela à Sabine et Marcel. (Elle s’enfuit.)
M. le Curé prend le cahier d’André, serre la main de l’enfant et s’éloigne. Celui-ci reste seul. Il n’est pas triste. Le voilà même qui chantonne à mi-voix et sourit à sa mère qui lui apporte son goûter. Le petit renoncement qu’il a dû accepter en ne figurant pas parmi les acteurs de sa scène, ne le fait plus souffrir. Tant pis… Il sera plus libre ce jour-là, plus détaché de soucis… Tant mieux… Il ne se doute pas, le cher petit, qu’il chemine sur cette Voie Royale de la Croix, sur les pas de son Maître, du Christ son Roi.
Un peu plus tard, Madeleine reparaît à pas de loup, mystérieuse, un papier à la main.
MADELEINE
André, ne crois-tu pas que la fête devrait finir par une jolie prière que les enfants liraient au Christ-Roi après la Bénédiction ?
ANDRÉ
Oui, j’y ai pensé. (Il cherche une feuille.)
MADELEINE
Toi aussi ?… J’avais préparé quelque chose…
ANDRÉ
Moi aussi.
MADELEINE (condescendante)
Lis le premier.
ANDRÉ (avec simplicité)
Si tu veux ! (Il prend sa feuille et lit lentement quelques lignes. Madeleine écoute avec grande attention. Quand il a fini, d’un geste brusque elle déchire son propre papier.)
MADELEINE
Ta prière est plus belle que la mienne. Tu en parleras à M. le Curé.
M. le Curé a approuvé le projet de lire cette prière à la Bénédiction. Madeleine lui a raconté qu’elle avait déchiré son projet en entendant celui d’André.
M. LE CURÉ
Eh bien, vous avez imité saint Bonaventure. Il avait aussi préparé un bel Office pour la fête du Saint-Sacrement, mais en entendant lire celui de saint Thomas d’Aquin, il a déchiré le sien.
MADELEINE (gracieuse)
M. le Curé, vous savez toujours de belles histoires qui font plaisir et donnent du courage.
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