II
IL y a eu de nombreux conciliabules entre les enfants, puis avec M. le Curé et moi. Les débordements d’imagination de Madeleine recevaient quelques douches de Marcel et de Sabine plus prosaïques, et nous corrigions petit à petit le projet qui prenait forme.
André s’occupait seul de son côté. Allongé sur une chaise-longue dans la prairie qui entoure sa gentille maison rose il a appelé un jour sa cousine Madeleine.
ANDRÉ
Écoute, Madeleine. J’ai une idée pour la fête du Christ-Roi. Un Roi a une armée et des sujets « civils ». Je vais m’occuper de l’armée du Roi, de ses soldats, de ceux qui se battent pour Lui. De ceux qui se font tuer pour Lui. Toi tu t’occuperas des civils.

MADELEINE
Oui, je veux bien. Qu’est-ce que tu feras ?
ANDRÉ
Je prépare un ou deux petits actes que nous jouerons.
MADELEINE
Très bien. Je t’aiderai pour les costumes.
ANDRÉ
Il n’y en aura pas. La scène se passe de nos jours. La fête du Christ-Roi date de 1925.
MADELEINE
Mais oui, c’est vrai. (Avec hésitation.) Je voudrais te consulter. (D’habitude Madeleine n’aime pas prendre l’avis des autres, mais André lui inspire confiance.) Écoute. J’ai pensé que les Saints Innocents seraient bien à leur place autour du Christ-Roi… ils sont morts pour Lui. Ce serait une belle entrée de fête.
ANDRÉ (après réflexion)
C’est vrai, mais vois-tu, à ce compte-là il faudrait amener aussi les Mages venus de loin pour adorer le Christ. Or il y a une fête pour l’Épiphanie et une pour les Saints Innocents. Restons à l’époque actuelle. Tu peux montrer les hommes de toutes nations couvrant de leurs signatures les pétitions réclamant au Pape cette fête.
MADELEINE
Oui, oui, j’y ai pensé.
MARCEL (surgissant)
Dis donc, Madeleine, ne mets pas trop de personnages dans ta scène. Je sais d’avance que ce sera pour moi un travail fou.
MADELEINE (indignée)
Pour toi ?
MARCEL
Oui, je te connais. Tu combines dans ta tête des choses impossibles et ensuite tu viens crier : « Marcel, Marcel, il faut faire ci, il faut faire ça. »
MADELEINE (vexée)
Alors, moi, je ne me donne pas de peine ?
MARCEL
Pas beaucoup. Tu m’en donnes. Alors n’est-ce pas ? pas de Rois Mages ni de Saints Innocents, comme le recommande André.
MADELEINE
Il faudra pourtant bien mettre du monde qui fasse de l’effet. Ainsi j’ai pensé aux Congrégations religieuses.
MARCEL
Elles sont interdites.
MADELEINE
Par exemple.
MARCEL
Non, non, ni Capucins, ni Carmélites.
MADELEINE (furieuse)
Alors quoi ?
MARCEL

Je te permets un Cardinal, un Évêque, deux ou trois prêtres et quelques bonnes Sœurs de la même congrégation. Tous les autres personnages doivent être en costumes d’aujourd’hui. Ce sera très simplifié.
MADELEINE (fait la moue)
Si on veut que ce soit beau, il faut pourtant qu’il y ait des costumes un peu gais.
MARCEL
Je ne t’empêche pas de figurer Madame de Noaillat en rose ou en bleu. Pas en rouge, le rouge est réservé au Cardinal. Et c’est moi qui représenterai le Cardinal.
MADELEINE
Non, pas toi. Je veux un beau Cardinal. Ce sera André.
(Les enfants se sont éloignés, André reste seul avec Bruno.)
BRUNO (gentiment)
Et toi, André, quel rôle feras-tu ?
ANDRÉ (riant)
Le rôle d’un Jésuite. À la fin on me fusille.
BRUNO
Oh ! oh ! alors tu auras un beau costume ?
ANDRÉ
Non. Celui que j’ai là.
(Bruno fait la moue.) André reprend :
C’est quand même le plus beau rôle, un rôle de martyr qui soutient le courage des pauvres Mexicains persécutés. C’est le rôle le plus important. C’est un nom glorieux qu’il faut retenir, Bruno, celui du Père Miguel Pro.
MADELEINE (qui s’est rapprochée et les a entendus, bas à Marcel.)
Dis donc, Marcel, tu crois qu’André sera guéri pour la fête du Christ-Roi ?
MARCEL
Je ne sais pas.
(Les deux enfants se taisent, quelque chose de triste et de lourd pèse sur eux et les rend silencieux.)
BRUNO (d’une voix pointue)
Madeleine, quel rôle auras-tu ?
MADELEINE
Je crois que j’en aurai deux. D’abord celui de Madame de Noaillat, et ensuite celui d’un martyr. Les deux plus beaux.
BRUNO
Et moi ?
MADELEINE
Toi ?… on verra. (À l’oreille.) J’ai une idée pour toi, mais il ne faut pas en parler aux autres.
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