Les crêpes de madame Michou

Auteur : Jourdan, Juliette | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Mardi-gras

Vous nous ferez goû­ter de vos crêpes, Madame Michou ?

— Oui, oui, Madame Fol­len­fant… Venez ce soir à 8 heures. »

Madame Michou, depuis huit jours, ne parle plus que de ses crêpes. Il n’y en a pas comme elle pour les faire, paraît-il… blondes, fines, par­fu­mées. La recette n’en est pas extra­or­di­naire, puisque, sur ses ins­truc­tions, c’est Jacotte, sa petite fille, qui délaye la farine. Mais le tour de main… par­lez-moi de ce tour de main-là… Madame Michou vous attrape la queue de la poêle, fait cou­ler la pâte comme du lait, et hop ! avant qu’on ait le temps d’ou­vrir la bouche, voi­là la en l’air, puis à nou­veau dans la poêle, dorée, onc­tueuse, légère comme une dentelle…

Les crêpes du mardi gras ou de la Chandeleur

* * *

Aus­si, chaque Mar­di-Gras et chaque dimanche de Mi-Carême sont pour Madame Michou ce que, toutes pro­por­tions gar­dées, fut Aus­ter­litz pour le grand empe­reur Napoléon…

Mais, cette année, non seule­ment la dynas­tie des Michou doit pas­ser la soi­rée autour du four­neau, mais encore, la répu­ta­tion de la crê­pière s’é­tant éten­due, tous les voi­sins et les enfants des voi­sins ont été invi­tés à venir dégus­ter la spé­cia­li­té ; de sorte que les chaises des chambres et les bancs du jar­din ne sont pas de trop dans la cuisine.

* * *

À huit heures, tout le monde rap­plique… les uns ron­de­ment : « On vient se réga­ler chez vous, Madame Michou »… les autres avec timi­di­té : « Quel déran­ge­ment on vous cause ! »

Crêpes Mardi-gras

Fina­le­ment, les uns et les autres se casent… Toto Petit-pou­let, assis dans la caisse à bois, com­mence à sucer son pouce, en atten­dant la suite. Madame Michou, comme une déesse, trône devant son four­neau… Une immense bas­sine de pâte, conscien­cieu­se­ment délayée par Jacotte dès le matin, est à ses côtés.

« Hé bé !… fait Mon­sieur Michou, elle a l’air drôle, ta pâte… Toute la farine est tom­bée au fond.

— C’est parce qu’elle est bien levée », répond son épouse, avec plus d’as­su­rance, semble-t-il que de logique.

« Tu en as fait beau­coup, fifille, remarque Mon­sieur Michou. Faut pas gâcher la farine comme ça. »

Jacotte ne répond rien. Elle n’a pas la conscience très tran­quille. C’est qu’elle a for­cé sur les pro­por­tions, crai­gnant de ne pas avoir son compte de crêpes. En cachette elle a ajou­té, à celle don­née par sa maman, tout un sac de farine, décou­vert dans un coin.

* * *

L’o­pé­ra­tion com­mence… Le lard, en gré­sillant, chante dans la poêle… La pâte coule… Tout le monde s’ar­rête de par­ler. Ah ! Ah !… jus­te­ment, elle ne coule plus… Madame Michou a beau se tré­mous­ser, pen­cher son ins­tru­ment en tous sens, rien à faire… Il n’y a qu’un petit tas épais et blan­châtre au milieu. Émo­tion… La cui­si­nière rou­git jus­qu’aux oreilles… Son mari se dresse avec inquié­tude… Jacotte renifle avec détresse la graisse qui brûle, et Toto Petit­pou­let, du fond de sa caisse à bois, sent tout de même qu’un tra­gique évé­ne­ment se pré­pare, quelque chose comme un Water­loo… « Ma poêle n’é­tait pas « arou­tée », déclare en crâ­nant encore Madame Michou.

Hélas ! elle a beau s’y reprendre une fois, deux fois, trois fois, tou­jours, tou­jours la pâte reste col­lée lamen­ta­ble­ment au milieu de la poêle.

« On t’a jeté un sort », grogne son mari.

C’est alors la déroute…

Madame Michou, éner­vée, furieuse, écla­bousse de la pâte par­tout… s’en prend à son feu… à son mari… à sa fille.

Les voi­sins jugent plus pru­dent de s’en aller.

* * *

Mélange de platre

La porte fer­mée, Madame Michou ne s’ar­rache pas les che­veux — parce que, en réa­li­té, on ne s’ar­rache jamais les che­veux — mais entre dans un déses­poir épouvantable.

« Jacotte, où donc as-tu pris la farine ?

— Dans l’buf­fet, M’man.

— Dans l’buf­fet, bien vrai ?

— Oui… et comme il n’y en avait pas assez, j’ai trou­vé le reste dans le bas du placard.

— Petite mal­heu­reuse… c’é­tait le plâtre de ton père… du plâtre… tu as mis du plâtre pour faire les crêpes ! »

Il paraît que Jacotte Michou ne fera plus jamais de crêpes… Il paraît qu’elle n’est plus gourmande.

Juliette Jour­dan.

Coloriage Croix de carême

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