IV
TOUS voici au 27 octobre, veille de la Fête. Le temps va permettre de jouer en plein air dans un pré en pente, à côté d’une maison amie, commode pour les changements de costumes. Toute une bande d’enfants, joyeuse et bruyante, commandée par Madeleine et Marcel, s’occupent à transporter des bancs, des chaises, à fixer une corde sur laquelle trois draps pourront courir et former rideau de scène.
Madeleine, qui est partout à la fois, se fait appeler Marthe de Noaillat. M. le Curé se prête à cette fantaisie et l’appelle Madame.
MADELEINE
M. le Curé, c’est dommage que vous soyez obligé d’expliquer les scènes vous-même. Ce serait beaucoup mieux si vous pouviez être assis là au milieu sur ce fauteuil.
M. LE CURÉ
C’est vrai, Madame, mais je préfère surveiller la bonne marche de tout.
MADELEINE
C’est mieux, bien sûr, vous avez eu assez de peine pour toutes les répétitions. Les gosses obéissent si mal.
M. LE CURÉ
Vous aussi, Madame, vous vous êtes donné beaucoup de peine.
MADELEINE (avec conviction)
Oh, oui ! Si André n’était pas fatigué, c’est lui qui aurait pu guider tout le monde. Il est si intelligent !
M. LE CURÉ
Il ne faut pas compter sur André.
MADELEINE
Il se repose aujourd’hui pour être bien demain. Je lui ai porté le costume du Cardinal, il l’a trouvé beau.
(On entend une dispute. Les enfants se chamaillent. M. le Curé va intervenir, mais il s’arrête en riant.)
MARCEL (grimpé sur un banc, crie)
Taisez-vous, tous. Autrement demain le Cardinal vous enverra tous en Purgatoire.
LES ENFANTS
Tu ne nous fais pas peur. (Ils rient. Demain sur la scène, ils paraîtront les uns après les autres dans de petits rôles, cela suffit pour les mettre en joie, et M. le Curé ne semble pas inquiet de cette dissipation.)
MADELEINE
M. le Curé, venez voir les costumes. Ils sont étalés sur une table, Maman et ma Tante ont aidé les bonnes Sœurs à les préparer.
M. LE CURÉ
Je me fie à elles. Je vais voir André.

MADELEINE
Moi aussi. Viens, Bruno.
BRUNO
Il dort.
MADELEINE
Il dort parce qu’il s’ennuie.
(Ils arrivent vers la maison rose. Malgré le temps clair et chaud, André est dans la maison, dans sa chambre, dans son lit, non plus sur une chaise-longue. Il est pâle, tranquille, mais ne dort pas. Il sourit.)
MADELEINE (aussi calmement qu’elle le peut)
André, ce sera très beau demain, tu verras. Tout est prêt dans le pré, ne t’inquiète pas… les bancs, le rideau, les costumes… Et tout le monde sait bien son rôle.
M. LE CURÉ
La fête commencera le matin par la Sainte Communion. Et tous, nous mettrons au service du Christ-Roi tous nos talents d’abord, et tout notre amour.
MADELEINE
Bien sûr. Et à la fin de notre pièce il y aura le goûter. Un bon goûter. Ensuite, nous chanterons le Cantique et nous rentrerons pour la Bénédiction et la Consécration, la prière d’André.
MARCEL (moqueur)
Ainsi en a décidé Madame Marthe de Noaillat.
MADELEINE (va se fâcher, mais elle regarde André et répond gentiment)
Non, Marcel, c’est M. le Curé qui a tout arrangé. Ce sera très réussi. (Elle s’adresse à André d’une voix douce.) Je sais quelque chose de plus sur Madame de Noaillat et la Fête du Christ-Roi. Elle avait une petite nièce qui s’appelait Marie-Josèphe et qui était infirme. Cette petite fille était la grande amie de sa tante, elle offrait ses souffrances d’infirme et toutes ses prières pour obtenir cette fête. (Un silence.) C’est joli, cette histoire !
ANDRÉ
Oui… (Il a compris la pensée de sa cousine : ses peines à lui, aident au succès de la fête du Christ-Roi qui se prépare. Lui et Madeleine échangent un regard très doux. Ils se sont compris sans paroles… Il y a des choses qu’on ne peut pas dire. Elles sont trop profondes pour monter jusqu’aux lèvres…)
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