Catégorie : <span>Le Christ-Roi</span>

Ouvrage : Le Christ-Roi | Auteur : Danemarie, Jeanne
Temps de lec­ture : 10 minutes

DEUXIÈME ACTE

Le rideau se relève sur le même décor, le même bureau à Paray-le-Monial. Il y a beau­coup de monde sur la scène, un évêque (c’est Mar­cel qui a un peu chan­gé de cos­tume, mais a gar­dé toute sa digni­té), des prêtres, des Sœurs, des hommes, des femmes. 

M. LE CURÉ 

Cette foule que vous voyez, arrive de Rome. Elle a assis­té le 31 décembre 1925 à la pre­mière fête du Christ-Roi célé­brée par S. S. Pie XI. M. et Mme de Noaillat sont res­tés à Rome. Main­te­nant écoutez. 

L’ÉVÊQUE

Quelle jour­née ! quelle fête ! 

UN PRÊTRE

Je crois que Rome n’en a jamais vu de pareille. Pour­tant j’ai assis­té à la cano­ni­sa­tion du Curé d’Ars, et à celle de sainte Thé­rèse de l’En­fant Jésus. C’é­tait splen­dide, mais ce n’é­tait pas la même chose.

UNE DAME

Non, parce que c’est plus beau de pen­ser au Christ qu’à ses Saints. 

L’ÉVÊQUE

Non, ce n’é­tait pas la même chose. Cette fête-là, c’est le mer­ci de la terre au ciel.

UNE DAME DE PARAY-LE-MONIAL 

Dans le défi­lé que de beaux cos­tumes ! Ces Che­va­liers du Saint Sépulcre et de Malte, tout en blanc et or étaient magnifiques.

UNE AUTRE

Et la Garde Pala­tine ! et la Garde Suisse ! et la Garde noble ! ces habits jaunes, rouges, blancs, dorés. J’ai vu un offi­cier en culotte blanche, habit rouge et or et casque doré. On aurait dit un Ange. Ah ! qu’il était beau !

UNE SŒUR

Avez-vous remar­qué la figure du Pape ? Il jubi­lait. Il paraît qu’il a été très ému en voyant les mil­liers de signatures. 

LE PRÊTRE

Les chants étaient par­faits, forts, puissants. 

UNE DAME

J’au­rais vou­lu com­prendre les paroles, suivre la Messe de la nou­velle fête. On ne nous a point don­né de livres.

UNE SŒUR

Mon­sei­gneur, vou­lez-vous nous dire un peu ces paroles ?

L’ÉVÊQUE

Oh ! oui. L’in­troït est tiré de l’A­po­ca­lypse de saint Jean : « Il est digne, l’A­gneau qui a été immo­lé, de rece­voir la Ver­tu, la Divi­ni­té, la Sagesse, la Force et l’Hon­neur. À lui soient la Gloire et l’Em­pire dans les siècles des siècles. » 

LE PRÊTRE

Et la Col­lecte : « O Dieu Tout-Puis­sant et éter­nel, qui dans ton Fils bien-aimé, Roi de tous les êtres, as vou­lu renou­ve­ler toutes choses, accorde-nous que toutes les nations, désa­gré­gées par la plaie du péché, se sou­mettent désor­mais à ton très suave empire. » 

L’ÉVÊQUE

Et l’Of­fer­toire : « Demande-moi et je te don­ne­rai toutes les nations en héri­tage et tu pos­sé­de­ras les confins de la terre[1]. »

UN HOMME

Moi je suis chantre dans ma paroisse et j’ai com­pris l’É­van­gile : « Le Christ répon­dant à Pilate : « Tu l’as dit. Je suis Roi. » 

LE PRÊTRE

Et dans l’É­pître que de force ! « Mes frères, grâces à Dieu le Père, qui nous a ren­dus dignes d’a­voir part à l’hé­ri­tage des Saints dans la lumière, qui nous a arra­chés à la puis­sance des ténèbres et nous a fait pas­ser dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemp­tion, par son sang et la rémis­sion des péchés. C’est Lui qui est l’i­mage du Dieu invi­sible, le pre­mier-né de toute créa­ture ; car en Lui toutes choses ont été créées dans le ciel et sur la terre, les visibles et les invi­sibles… tout a été créé par Lui et pour Lui, et Il est avant tout, et toutes choses sub­sistent en Lui…[2] »

UN HOMME

La Pré­face était une splendeur. 

  1. [1] Ps. 2, 8.
  2. [2] Épître aux Colos­siens, 1 – 12 à 20.
Ouvrage : Le Christ-Roi | Auteur : Danemarie, Jeanne
Temps de lec­ture : 11 minutes

PREMIER TABLEAU

PREMIER ACTE

(Le rideau se tire lentement.) 

M. LE CURÉ (debout à droite) 

La scène que vous allez voir se passe à Paray-le-Monial, dans un bureau. Vous voyez une immense table cou­verte de paquets. Ces paquets contiennent les signa­tures des catho­liques du monde entier pla­cées au bas des sup­pliques qui demandent au Pape d’é­ta­blir la fête du Christ-Roi. Voi­ci M. et Mme de Noaillat, les pro­mo­teurs de la fête. Ils reçoivent de nou­veaux paquets de signatures. 

(M. de Noaillat est figu­ré par un enfant sage qui tient très bien son rôle. Made­leine figure Mme de Noaillat. Comme elle est presque aus­si grande que sa mère, elle porte une robe de dame, blanche et bleue, très élé­gante et on a pu faire un chi­gnon avec ses che­veux débor­dants.)

UN ENFANT (arrive por­tant des paquets)

Voi­ci les signa­tures de Paris. Il y en a des mil­liers. Une dame très vieille est arri­vée avec d’autres paquets. Elle va venir.

UN AUTRE ENFANT

Voi­ci les signa­tures du Por­tu­gal. Je viens de Bra­ga. Tout le monde a vou­lu signer, je veux dire tous les braves gens. (Il pose les paquets et va sortir.)

MADAME DE NOAILLAT

Res­tez, res­tez. Nous atten­dons le Car­di­nal Lau­ren­ti. Il nous a télé­gra­phié son arri­vée, et il doit empor­ter à Rome tous ces livres. A Rome aus­si, il paraît qu’il arrive tous les jours des paquets de signa­tures (À un enfant qui entre.) Et vous, mon ami, d’où venez-vous ?

L’ENFANT

D’An­gle­terre, Madame. Voi­ci les signa­tures d’Ox­ford, de Londres, celles d’É­cosse, et aus­si celles d’Irlande.

UN AUTRE ENFANT

Et voi­ci la Bavière, la West­pha­lie. Et Cologne, Bonn, je ne sais plus. Il y en a des milliers.

UN AUTRE

Voi­ci le Cana­da, Qué­bec, Mont­réal. Otta­va, Toron­to ont envoyé direc­te­ment à Rome leurs signatures.

MADAME DE NOAILLAT 

Ne par­tez pas, res­tez, res­tez tous. 

UNE SŒUR (avec un panier rem­pli de paquets)

Je suis bien char­gée. Trois énormes paquets. Ce sont les signa­tures des Cou­vents de femmes en France.

UN PRÊTRE (la suit)

Voi­ci les péti­tions des Sémi­naires et des Cou­vents d’hommes, Béné­dic­tins, Jésuites, Carmes, etc., etc.

MADAME DE NOAILLAT 

Posez ces livres ici, vou­lez-vous ? et res­tez, nous atten­dons le Car­di­nal Laurenti. 

UNE DAME (entre et tire un paquet d’un grand sac) 

Voi­ci les Asso­cia­tions des Mères Chrétiennes. 

UNE JEUNE FILLE (la suit)

Et voi­ci celles des jeunes filles, Enfants de Marie, Rosaire, Chan­teuses, etc. 

MADAME DE NOAILLAT

Res­tez, mes­dames, vous ver­rez le Car­di­nal Lau­ren­ti tout à l’heure. 

(D’autres per­sonnes arrivent, des groupes d’hommes, de jeunes gens. On entend : Voi­ci le Véné­zue­la, Voi­ci des péti­tions de Chine, d’Ins­bruck. Il y a du brouhaha.) 

MADAME DE NOAILLAT 

Dou­ce­ment, et en ordre, Mes­dames, Mes­sieurs, je vous en prie. Vous pou­vez mettre tous ces livres sur la table, elle est solide.

UN ENFANT

Et voi­ci le Mexique. 

MADAME DE NOAILLAT (s’é­lance)

Met­tez au milieu de la table les livres du Mexique. Ils doivent être à l’honneur. 

UNE SŒUR

Oh ! non, Madame ! j’ai mis au milieu les signa­tures des prêtres. 

Ouvrage : Le Christ-Roi | Auteur : Danemarie, Jeanne
Temps de lec­ture : 3 minutes

OH ! Oh ! le ciel s’y prête ! Regar­dez l’aube mer­veilleuse qui gran­dit. Sur l’ho­ri­zon rose le soleil arrive brus­que­ment, et toute la beau­té de la terre à l’au­tomne jaillit par­tout, des col­lines loin­taines, bleuâtres, des feuillages ardents, splendides. 

Les volets de la chambre de Made­leine et Sabine ont très tôt cla­qué sur le mur, et les deux fillettes ont salué le soleil par des cris de joie, et lui ont envoyé des bai­sers, comme à un ami.

Dans la chambre d’An­dré l’ordre règne par­tout. Le lit a reçu une cou­ver­ture blanche, et un bou­quet de chry­san­thèmes répand son odeur amère devant un cru­ci­fix. L’en­fant est assis dans son lit. M. le Curé en sur­plis, pré­cé­dé de Mar­cel, arrive por­tant l’Hos­tie sainte. Après les prières litur­giques il parle à l’enfant : 

« Voi­ci Celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » De ce royaume d’in­fi­nie béa­ti­tude Il est seul la Porte, on n’entre que par Lui. Il a seul la clé, Il ouvre à qui Il veut[1]. »

Les yeux d’An­dré expriment une paix au-des­sus de son âge. Et M. le Curé repart en hâte, car l’heure de la Messe est là. 

À l’é­glise les bancs sont gar­nis d’en­fants. Avant la Com­mu­nion voi­ci ce que leur a dit M. le Curé.

  1. [1] Pie XI, Ency­clique Quas pri­mas.
Ouvrage : Le Christ-Roi | Auteur : Danemarie, Jeanne
Temps de lec­ture : 4 minutes

IV

TOUS voi­ci au 27 octobre, veille de la Fête. Le temps va per­mettre de jouer en plein air dans un pré en pente, à côté d’une mai­son amie, com­mode pour les chan­ge­ments de cos­tumes. Toute une bande d’en­fants, joyeuse et bruyante, com­man­dée par Made­leine et Mar­cel, s’oc­cupent à trans­por­ter des bancs, des chaises, à fixer une corde sur laquelle trois draps pour­ront cou­rir et for­mer rideau de scène. 

Made­leine, qui est par­tout à la fois, se fait appe­ler Marthe de Noaillat. M. le Curé se prête à cette fan­tai­sie et l’ap­pelle Madame.

MADELEINE

M. le Curé, c’est dom­mage que vous soyez obli­gé d’ex­pli­quer les scènes vous-même. Ce serait beau­coup mieux si vous pou­viez être assis là au milieu sur ce fauteuil.

M. LE CURÉ

C’est vrai, Madame, mais je pré­fère sur­veiller la bonne marche de tout.

MADELEINE

C’est mieux, bien sûr, vous avez eu assez de peine pour toutes les répé­ti­tions. Les gosses obéissent si mal.

M. LE CURÉ 

Vous aus­si, Madame, vous vous êtes don­né beau­coup de peine. 

MADELEINE (avec convic­tion)

Oh, oui ! Si André n’é­tait pas fati­gué, c’est lui qui aurait pu gui­der tout le monde. Il est si intelligent !

M. LE CURÉ 

Il ne faut pas comp­ter sur André.

MADELEINE

Il se repose aujourd’­hui pour être bien demain. Je lui ai por­té le cos­tume du Car­di­nal, il l’a trou­vé beau. 

(On entend une dis­pute. Les enfants se cha­maillent. M. le Curé va inter­ve­nir, mais il s’ar­rête en riant.)

MARCEL (grim­pé sur un banc, crie)

Tai­sez-vous, tous. Autre­ment demain le Car­di­nal vous enver­ra tous en Purgatoire. 

LES ENFANTS

Tu ne nous fais pas peur. (Ils rient. Demain sur la scène, ils paraî­tront les uns après les autres dans de petits rôles, cela suf­fit pour les mettre en joie, et M. le Curé ne semble pas inquiet de cette dissipation.)

MADELEINE

M. le Curé, venez voir les cos­tumes. Ils sont éta­lés sur une table, Maman et ma Tante ont aidé les bonnes Sœurs à les préparer. 

M. LE CURÉ 

Ouvrage : Le Christ-Roi | Auteur : Danemarie, Jeanne
Temps de lec­ture : 8 minutes

III

LES vacances ont pas­sé. Les jeux ont-ils fait oublier la pré­pa­ra­tion de la fête qui va clore le bel automne ? 

Non, ne le croyez pas. André a tra­vaillé. Sur la table basse qui voi­sine avec sa chaise-longue, à côté des livres, un buvard ren­ferme son pro­jet. Il le retouche sans cesse, le connaît par cœur. M. le Curé tra­verse la prai­rie et vient s’as­seoir à côté de l’enfant. 

M. le Curé est jeune. Il est très fervent, il a pris à cœur cette fête des petits pour le Christ-Roi. Il regarde André, et s’a­per­çoit qu’il dort. Sur ses genoux repose le cahier qui ren­ferme son projet. 

M. le Curé prend le cahier, le feuillette. André dort tou­jours. Alors M. le Curé lit, tourne les pages une à une… puis il referme le cahier et le repose sur les genoux de l’en­fant… et voi­ci que deux larmes tombent de ses yeux sur les petites mains croi­sées. M. le Curé est ému. Pour­tant il sou­rit. Il est content du tra­vail d’An­dré et sur­tout il se sent heu­reux, lui, heu­reux, fier d’être le prêtre, d’être celui qui repré­sente sur terre le Christ, aimé jus­qu’à la mort. 

M. LE CURÉ (voit qu’An­dré s’é­veille)

Eh bien, André, cette fois il faut me don­ner votre tra­vail. Je suis venu le chercher. 

ANDRÉ (sou­pire)

Ce n’est pas encore ce que j’au­rais voulu. 

M. LE CURÉ 

Vous ne serez jamais content. Le mieux est l’en­ne­mi du bien. Avez-vous choi­si votre rôle ? 

ANDRÉ (dont les yeux se troublent un peu)

Oui, j’a­vais choi­si le plus impor­tant, celui du P. Pro. Je le sais par cœur. Mais je crois que ce serait trop fati­gant pour moi. 

M. LE CURÉ (affec­tueu­se­ment)

Oui, mieux vaut en tenir un plus simple. D’au­tant plus que vous devrez m’ai­der à gui­der les acteurs.

ANDRÉ

Je vou­drais que ce soit bien joué. 

M. LE CURÉ 

Ce sera bien joué. J’y met­trai tous mes soins. (Il feuillette les pages. Pen­dant ce temps André s’est ren­ver­sé sur sa chaise-longue et ferme de nou­veau les yeux. M. le Curé regarde l’en­fant et le trouve bien pâle.)

M. LE CURÉ 

…Au fond, André, le mieux serait pour vous de ne point prendre de rôle du tout. Il sera beau­coup plus impor­tant de m’ai­der à sur­veiller le jeu des acteurs. 

(André rouvre les yeux. Sur son fin visage une expres­sion de peine s’est mar­quée aux paroles de M. le Curé. Il ne répond pas tout de suite. Très pers­pi­cace il devine la pen­sée qui les a dic­tées. Puis il prend son par­ti. Il y a des semaines qu’il abdique ain­si peu à peu devant tous ces petits bon­heurs qui tissent la vie de l’en­fance.)

ANDRÉ (bra­ve­ment)

Oui, c’est cela, M. le Curé, je sur­veille­rai le jeu des acteurs. 

M. LE CURÉ 

Il fau­dra aus­si sur­veiller Made­leine. Je ne suis pas sans inquié­tude sur ses pré­pa­ra­tifs. La voici. 

(Made­leine arrive en cou­rant, déjà échauf­fée, en sueur. Elle s’ar­rête. Tant de fois on lui a recom­man­dé de ne pas s’a­gi­ter à côté d’An­dré qu’elle fatigue. Elle s’ap­proche doucement.)

MADELEINE

Bon­jour, M. le Curé ; bon­jour, Mon­sieur mon cou­sin. Puis-je res­ter un moment avec vous ? (Sans attendre la réponse, elle se laisse choir dans l’herbe et demande) : 

Alors, André, c’est tout prêt, on va pou­voir dis­tri­buer les rôles et tra­vailler aux costumes.