Quand fut arrivé le moment où Marie allait être mère, elle dut, avec Joseph, aller à Bethléem, pour obéir aux ordres de l’Empereur Auguste qui voulait faire le recensement de ses sujets. Arrivés là, les deux voyageurs cherchèrent un abri ; mais il y avait tant de monde dans la petite…
Étiquette : <span>Bethléem</span>
Peu de temps après, on vint dire au Roi Hérode, qui régnait à Jérusalem, que des Rois Mages qui arrivaient de très loin voulaient le voir et qu’ils demandaient : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître, car nous avons vu son étoile en Orient et nous venons à Jérusalem pour l’adorer ? »
Hérode fut très effrayé de ce qu’on lui disait, parce qu’il craignait qu’un Roi plus puissant que lui ne vînt lui enlever son Royaume. Et toute la ville de Jérusalem eut peur aussi. Hérode fit venir les Rois Mages, leur parla, les questionna, et il sut que le Roi dont parlaient les Mages était le Christ, le Fils de Dieu que les Juifs attendaient d’après les livres des Prophètes. Alors Hérode fit venir les savants, Princes des prêtres et docteurs du peuple, et il leur demanda où le Christ devait naître.
Ils lui répondirent : « À Bethléem, ville de Juda. »
Hérode emmena les Mages chez lui, leur fit beaucoup de questions sur l’étoile qu’ils avaient vue. Ils lui racontèrent que des Anges leur étaient apparus, qu’ils leur avaient annoncé la naissance du Roi des Juifs, le Christ, le Messie promis, le Fils de Dieu, et leur avait ordonné d’aller l’adorer ; qu’ils allaient se mettre en route sans savoir où ils devaient aller, mais qu’au moment de partir, une étoile, plus grosse et plus brillante que toutes les étoiles du ciel, se montra à eux et se mit à avancer devant eux ; elle s’arrêtait quand ils s’arrêtaient et avançait quand ils marchaient ; cette étoile avait disparu quand ils étaient entrés à Jérusalem, et c’est pourquoi ils avaient demandé à voir le Roi des Juifs que leur avaient désigné les Anges.
Hérode les remercia, leur dit d’aller à Bethléem, car c’était là que devait naître le Messie, le Christ, pour sauver tous les hommes, en les délivrant du démon.
« Allez, leur dit le Roi Hérode, informez-vous à Bethléem de cet enfant, et quand vous l’aurez trouvé, revenez me le faire savoir, pour que moi aussi j’aille l’adorer. »
Les Rois Mages le lui promirent et se remirent en route ; aussitôt, leur étoile reparut, ce qui leur causa une grande joie ; et l’étoile marcha devant eux, jusqu’à ce qu’étant arrivée à la grotte où était l’Enfant et Marie sa mère, elle s’arrêta.
La campagne était toute de neige autour du bourg de Bethléem, et les cubes blancs des maisons prenaient des teintes laiteuses parmi cette surnaturelle pureté.
Le ciel bombait au-dessus, comme un grand bocal d’un bleu pâle et translucide. Il y avait dans l’air une joie paisible comme si des anges venaient d’y passer.
À la vérité, des anges l’avaient traversé la nuit précédente. Jésus étant né, cette nuit-là, dans une grotte des environs, ils avaient chanté, devant un groupe de bergers d’abord, au-dessus de la grotte ensuite, un beau chœur à plusieurs voix dont le refrain est demeuré célèbre : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. »
La nouvelle du miracle s’était répandue dans les maisons du bourg, et circulait sous le manteau, accueillie ici avec joie, là par des haussements d’épaules.
La fin de la classe du matin venait de lâcher les enfants dans les rues. Sur la placette, autour de la fontaine, beaucoup s’attardaient à bavarder, en petits groupes mystérieux et animés. La glissoire en pente luisait comme un marbre sombre, délaissée.
— Bien sûr que c’est vrai ! dit un gamin dont les yeux noirs étincelaient d’enthousiasme. Le père de Lévi doit le savoir, je suppose, puisqu’il y était !
— Mon père ne veut pas y croire, répliqua sans conviction un enfant mieux vêtu que les autres. Mon père est savant. Il doit avoir ses raisons. Mais j’aimerais mieux que ce soit vrai.
— Tiens ! intervint un troisième, pourquoi ne serait-ce pas vrai ? Ils étaient huit à aller à la grotte cette nuit, et tous racontent la même chose. Ils ont vu un ange, je vous dis, ils ont entendu le chant, ils ont vu l’Enfant et sa Mère.
— Mon père prétend que le Messie sera un Roi, objecta un autre. Alors, cet enfant pauvre ?…
— Oui, mais ces anges ? Est-ce qu’ils viennent chanter autour de notre maison, quand nous recevons un petit frère ou une petite sœur ?
Un matin d’hiver, le crieur public parcourt les ruelles du village, en sonnant dans sa corne. Au nom d’Hérode, il promulgue, en araméen, l’édit d’Auguste[1] ordonnant le recensement. Ici comme en Égypte, l’inscription se fera dans la ville d’origine. C’est là qu’avec grand soin sont conservées les généalogies[2]. Le charpentier et Marie devront donc gagner Bethléem, patrie de David leur ancêtre. Joseph, comme chef de famille, Marie comme fille unique et héritière de Joachim. Long et pénible déplacement (quatre à cinq jours de marche) pour de pauvres artisans ! Mais tous deux savent que Dieu se sert des hommes, de leurs folies et de leurs crimes pour réaliser ses desseins. Or le prophète Michée (v. 2) n’a-t-il pas annoncé que le Messie naîtrait à Bethléem ?
L’âme meurtrie mais calme, Joseph prépare tout. Dans la double besace de l’âne — le petit âne gris, sobre et vaillant, de tous les foyers populaires — il range d’un côté ses outils, de l’autre les langes, les provisions. Marie prendra place en arrière du bât. Et ils partent, par la plaine d’Esdrelon, l’inhospitalière Samarie. Routes noires de chars, de chameaux, encombrements. Au nord du Jourdain, les chemins noyés de pluie ressemblent à des affluents du fleuve. Ciel brumeux et bas. Joseph, la bride de l’âne dans sa main, suit, ses vêtements maculés de boue, le bord du chemin, se garant des bruyants attelages.
Allons ! Vite, Meriem, Sallah, Suzanne !… À vos fourneaux, lambines !… Qu’avez-vous à faire sur le seuil ?… Les clients sont pressés… Eh bien, Joreb ?… Je parle aussi pour toi, mon garçon… Qu’attends-tu ?… Les bêtes de Si Hammen ont besoin de nourriture, hâte-toi, sinon… »
Devant le geste de menace, le jeune garçon s’empresse d’obéir, tandis que les trois servantes regagnent précipitamment leur cuisine.
C’est que maîtresse Sarah n’est point commode ; chacun sait qu’elle a la main leste. Il est inutile de lui résister. Son époux lui-même, le pauvre Nathan, n’ose guère élever la voix devant elle. Certes, il faut à Sarah force énergie pour faire marcher droit le personnel et les clients de l’hôtellerie ; mais elle s’y entend. Louanges soient rendues à l’Éternel ! Jusqu’à présent, tout marche bien. Poings sur les hanches, Sarah promène sur la cour du klan un œil satisfait.

La scène est pittoresque : sous le regard de dame Sarah, une foule bruyante et bigarrée s’agite dans le vaste enclos. Ici, ce sont les riches marchands nomades venant d’Asie ou d’Égypte…, avec leurs ballots de marchandises. Plus loin, les chameaux étirent leurs longs cous pelés… tandis qu’à côté les petits ânes résignés se reposent d’un long et pénible voyage. Mais aujourd’hui, en plus des habituels clients, l’auberge est pleine de Juifs venus, selon l’ordre de César, se faire inscrire dans leur ville d’origine ; il en arrive de toutes les régions et de toutes les conditions : Pharisiens hautains, Rabbis vénérés, ou simples petits artisans des bourgs et des campagnes. Ces derniers s’entassent dans la cour tandis que les autres se partagent les chambres exiguës que l’astucieuse Sarah ne cède qu’à prix d’or.
Mais les sourcils de dame Sarah se froncent de colère. Eh quoi ! Joreb, ce paresseux, vient de s’asseoir, alors que le travail presse !… Pas de ça !… Prestement, la maîtresse se charge de le rappeler à l’ordre.
Le petit n’en peut plus : ses minces bras de treize ans sont rompus d’avoir soulevé tant de lourds colis ; mais cela, la patronne ne l’admet pas !… C’est dur d’être seul et orphelin !… Dans toute cette foule, Joreb se sent encore plus isolé que d’habitude. Réprimant un soupir, il se saisit d’une outre et se dirige vers les animaux assoiffés.







