DON BOSCO
Maman Marguerite
C’est au petit hameau de « Becchi », près de Turin, que naquit, le 16 août 1815, Jean Bosco qui devait être le grand bienfaiteur des enfants abandonnés. Il fut baptisé dès le lendemain de sa naissance. Ses parents, pauvres ouvriers, étaient d’excellents chrétiens. Le père, François Bosco, travaillait de toute la force de ses bras pour nourrir sa famille. Il possédait une maisonnette et quelques bouts de champs. C’était assez pour vivre heureux avec sa femme, Marguerite, pieuse et laborieuse comme lui, et ses trois petits garçons.
Ce bonheur ne dura guère. Jean atteignait à peine ses deux ans quand son père mourut brusquement. La douleur de Marguerite Bosco fut extrême. Chargée de sa belle-mère infirme et de ses trois petits, elle parvint à force de travail, de courage, de peine, à assurer le pain de la famille.
Cette simple paysanne s’occupait admirablement de ses enfants ; non seulement de leur corps, mais surtout de leur âme. Son plus grand désir était de faire de ses fils de bons chrétiens. Elle les élevait dans la pensée de Dieu et ne manquait pas une occasion de leur rappeler sa sainte présence. « Dieu nous voit, Mes petits », disait-elle. « Dieu nous voit. Moi, je puis être absente, lui est toujours là. »
Chaque matin, agenouillée avec ses enfants devant le Crucifix, elle demandait à Dieu le pain quotidien.
Au soir des rudes journées d’été, en se reposant au seuil de la maison, elle montrait à ses fils les montagnes lointaines, illuminées par le soleil couchant. « Que de merveilles Dieu a faites pour nous, mes enfants ! » Et quand les étoiles s’allumaient dans le ciel assombri : « Tous ces astres merveilleux, c’est Dieu qui les a mis là. Si le firmament est si beau, que sera-ce du Paradis ? »
La grêle venait-elle ravager l’humble vigne des Bosco : « Courbons la tête, mes enfants. Le bon Dieu nous les avait données, ces belles grappes, le bon Dieu nous les reprend. Il est le Maître. Pour nous, c’est une épreuve ; pour les méchants, c’est une punition ».
L’hiver, quand la pluie glacée battait les vitres et que la famille se serrait autour de la cheminée où flambait une grosse bûche : « Mes petits, comme nous devons aimer le bon Dieu qui nous fournit le nécessaire ! Il est vraiment notre Père, notre Père qui est aux cieux ».
Elle ne cessait de recommander à ses enfants la dévotion à Marie, en qui elle mettait une confiance sans bornes.
Marguerite Bosco pouvait réciter par cœur son catéchisme, l’Histoire sainte, la vie de Notre-Seigneur, et, tout en s’occupant à son ménage, elle cherchait à enseigner ce qu’elle savait à ses fils.
Pour eux, ce qu’elle craignait comme la peste, c’étaient les mauvais compagnons.
Jamais ses enfants ne s’éloignaient de la maison sans sa permission.
« Maman, maman, pouvons-nous aller jouer avec un tel qui nous appelle ?
— Oui, mes petits. »
Ils couraient alors tout joyeux. Si c’était « non », l’idée ne leur venait même pas de désobéir.
Marguerite ne gâtait pas ses enfants, ne passait aucun caprice, et quand elle donnait un ordre, elle voulait être obéie. Jean aimait si tendrement sa chère maman que la crainte de la peiner suffisait à le rendre sage.
Elle tenait aussi à faire de ses fils des travailleurs. Il fallait se lever de bonne heure et s’occuper selon ses forces. Très jeune, Jean sut couper du bois, puiser de l’eau, éplucher les légumes, balayer la chambre.
Le jeudi, avant de porter au marché son beurre et ses œufs, la maman distribuait une tâche à ses garçons. Au retour, si elle jugeait le travail bien fait, elle tirait de son panier un morceau de brioche pour chacun.
On était pauvre chez les Bosco, et pourtant les malheureux qui frappaient à la porte trouvaient toujours un bon accueil et une assiette de soupe chaude. Jean apprit ainsi la charité. Son cœur, du reste, était excellent et très sensible.
Ce petit garçon à la démarche vive, à la tête ronde et frisée, parlait peu et observait beaucoup. Son imagination ne restait jamais en repos. Intelligent et sérieux, ardent et volontaire, on pouvait se demander pour quelle tâche Dieu le douait si remarquablement.
Les loups changés en agneaux
Vers l’âge de 9 ans, Jean eut un songe qui le frappa beaucoup. Il lui semblait être au milieu d’une multitude d’enfants qui criaient, hurlaient, blasphémaient. À coups de poings, il essayait, sans y réussir, de les faire taire. Mais un personnage mystérieux s’approchant, lui dit : « Non, pas de violence ! de la douceur, si tu veux gagner leur amitié ». Alors, ces garnements qui s’étaient changés en loups, en ours, en bêtes féroces, se transformèrent en agneaux dociles, tandis qu’une voix douce de femme disait : « Prends ta houlette et mène-les paître. Plus tard tu comprendras le sens de cette vision ».
Le matin venu, Jean n’eut rien de plus pressé que de raconter ce rêve étrange à sa famille.
« Tu seras peut-être berger », fit son frère Joseph.
« Ou chef de brigands », reprit Antoine.
Sa mère pensa : « Qui sait si un jour il ne deviendra pas prêtre ? »
C’était elle qui voyait juste. Peu après, Jean confiait à sa chère maman son ardent désir d’être prêtre. — « Prêtre, et pourquoi ? » interrogea-t-elle. — « Écoute, mère, si je puis un jour arriver au sacerdoce, je consacrerai ma vie aux enfants ; je les attirerai à moi, je les aimerai et m’en ferai aimer ; je leur donnerai de bons conseils et je me dépenserai sans mesure pour le salut de leur âme. »
Ce programme d’apostolat, il le mettait déjà en pratique autour de lui. Vous ne devinerez jamais le drôle de moyen qu’il inventa pour obliger les gens à prier ? Eh ! bien, le dimanche après vêpres, Jean étendait un tapis dans le verger, accrochait une corde entre un poirier et un cerisier, puis, devant tous les gamins du pays, et nombre de grandes personnes, il donnait une représentation. Il marchait les pieds en l’air, dansait sur la corde, exécutait mille tours d’audace et d’adresse.
Ce talent d’acrobate, il ne l’avait pas acquis sans peines ! Tout seul, il s’exerçait avec acharnement, au risque de se casser le nez ou les membres.
Dans son esprit, ces amusements n’étaient qu’un moyen pour amener les spectateurs à écouter un petit sermon et à réciter, avant la séance, un bon chapelet. Si quelqu’un tentait de protester, Jean s’écriait d’un ton décidé : « C’est à prendre ou à laisser : mes tours sont pour ceux qui diront le chapelet ». Et telle était l’autorité de ce petit homme de 10 ans que tous les assistants répondaient de bon cœur aux Ave qu’il commençait. Les années passaient et les difficultés semblaient insurmontables pour que Jean suive sa vocation. Sa famille était si pauvre ! Comment payer ses études ?…
Un jour, un bon prêtre, frappé de l’intelligence de ce petit garçon, l’interrogea sur ses projets d’avenir : « Pourquoi voudrais-tu devenir prêtre ? — Pour amener à moi les enfants, leur enseigner la religion et empêcher qu’ils deviennent mauvais. Je le vois bien, quand ils tournent mal, c’est que personne ne s’est occupé d’eux ».
Le prêtre décida que chaque matin Jean viendrait prendre chez lui une leçon de latin. Le reste de la journée, il travaillerait aux champs.
Jean se mit au latin avec acharnement, mais à la suite de difficultés de famille, il dut cesser ses études et se placer comme domestique dans une ferme. Ce fut une rude épreuve ! En le voyant s’éloigner, sa mère lui fit cette seule recommandation : « Surtout, mon petit Jean, aime bien la Sainte Vierge ! »
Le brave enfant ne se décourageait jamais. Il donnait toute satisfaction à ses patrons et profitait des dimanches pour réunir autour de lui les gamins du village. Tantôt dans une grange, tantôt sous un mûrier, il expliquait le catéchisme et racontait de belles histoires.
En 1835, il parvenait à entrer au Grand Séminaire. En le voyant revêtu de la soutane, maman Marguerite pleura de joie. Elle lui donna de sages conseils, puis ajouta : « Quand tu es venu au monde, je t’ai consacré à la Sainte Vierge. Quand tu as commencé tes études, je t’ai recommandé presque uniquement la dévotion à Marie, maintenant je te supplie de lui appartenir tout entier. Aime ceux qui l’aiment, et si un jour tu deviens prêtre, propage sans cesse la dévotion à cette bonne Mère… ».
Prêtre, il le fut enfin en 1841. Ordonné à Turin, il resta dans cette grande ville. Plus que jamais il se sentait attiré vers les enfants abandonnés. Mais que faire pour eux ?… Il priait Marie de le guider.
Commencement d’une grande œuvre
Le 8 décembre 1841, Don Bosco se préparait à dire la messe, quand il aperçut un pauvre garçon que le sacristain chassait à coups de plumeau.
Don Bosco appela ce garçon et l’interrogea avec une extrême bonté :
« Quel est ton âge ?
— Seize ans.
— Que fais-tu ?
— Apprenti maçon.
— Tu as encore ton père ?
— Non, il est mort.
— Ta mère ?
— Morte aussi.
— As-tu fait ta première Communion ?
— Non.
— Vas-tu au catéchisme ?
— Je n’ose pas… »
Don Bosco proposa d’expliquer lui-même le catéchisme. Il s’agenouilla, et de toute la ferveur de son cœur, récita un Ave pour supplier la Sainte Vierge de l’aider à sauver cette âme.
Barthélemy — c’était le nom de l’orphelin — fut si content de sa première leçon que le dimanche suivant il revenait avec neuf camarades. La semaine d’après, Don Bosco comptait une bonne douzaine d’élèves, puis, vingt, trente, et quelques mois plus tard, la centaine était dépassée.
Le bon prêtre apprenait les prières à ces enfants, les instruisait, les confessait, les préparait à la première Communion. Il s’occupait aussi de leur chercher du travail, de les aider de toutes manières. Le dimanche, il les promenait dans la campagne. Après le catéchisme en plein air et les litanies de la Sainte Vierge, il organisait de joyeuses parties de balle et de barres, car nul ne s’entendait comme lui à mettre dans les jeux un entrain extraordinaire. Quelles courses ! quels cris de joie ! Aussi ces pauvres garçons, touchés, conquis par tant de bonté, de gaieté, de douceur, s’attachaient à Don Bosco comme à un père et ne voulaient plus le quitter. À son contact, ils perdaient leurs mauvaises habitudes, leur grossier langage, leur sauvagerie et devenaient bons, dociles et pieux. Comme dans le rêve de jadis les loups se transformaient en agneaux.
Mais où abriter un tel troupeau ? Don Bosco n’avait rien à lui. Un ami lui prêta une cour pour les dimanches. Hélas ! les voisins se plaignirent des jeux et des cris trop bruyants : « Ces gamins nous cassent la tête ! » grognaient-ils, « qu’ils aillent plus loin ! ». Il fallut émigrer dans un autre local d’où l’on fut encore chassé, puis dans un pré… Là, le propriétaire congédia bien vite tout ce monde en criant « que son pré ne serait bientôt plus un pré, mais une route ! » On dut échouer dans un terrain vague… De déménagement en déménagement, la troupe de Don Bosco augmentait toujours. Plus de 300 enfants se pressaient autour de lui. Enfin, dans un faubourg de Turin, il put découvrir et louer un misérable hangar sur un bout de champ. Son troupeau possédait un asile assuré. Don Bosco s’installa tout près de là dans de pauvres chambres. Désormais il appartenait tout entier aux enfants abandonnés.
Marie Auxiliatrice
À une si grande famille il fallait une mère. Don Bosco alla trouver maman Marguerite qui, après sa vie de durs labeurs, goûtait un peu de repos dans sa maisonnette. Il lui demanda de venir l’aider : « Si tu crois que Dieu le veut, répondit la courageuse femme, tu peux compter sur moi ».
Le lendemain, elle quittait son petit logis et venait partager la vie de dévouement de son fils. Maman Marguerite avec son grand cœur recueillit les pauvres petits qui n’avaient pas d’abri pour la nuit. Elle eut bientôt de nombreux pensionnaires. C’était elle qui faisait cuire la soupe pour tout ce petit monde et le soir, très tard, raccommodait les culottes et les tabliers déchirés. Tout en travaillant sans relâche, elle trouvait moyen de glisser une douce parole à ceux dont le cœur était gros ; un bon conseil à ceux que le diable tentait. Pendant des années, la sainte femme usa ainsi ses dernières forces. Quand elle mourut doucement, ce fut une désolation dans la maison. Don Bosco, écrasé de douleur, alla s’agenouiller dans l’église de la « Vierge consolatrice ». Là, il dit à Marie : « Une mère, dans une grande famille, c’est indispensable. Qui le sera, sinon vous ? Tous mes enfants, je vous les confie. Veillez sur leurs vies et sur leurs âmes, maintenant et toujours ! »
Jamais prière ne fut mieux exaucée. Marie fit des merveilles pour les enfants de Don Bosco. Ils étaient alors près de 700, dont 150 logés et nourris par ce prêtre qui ne possédait pas un sou.
Don Bosco, inlassablement, priait, quêtait, bâtissait. Pour ses garçons, il organisait des cours du soir, fondait des ateliers, cordonnerie, menuiserie, etc., etc.
Quand il ne savait absolument plus comment nourrir sa famille, il prenait son chapeau et partait pour la France. Notre pays l’accueillait avec une générosité merveilleuse. Les offrandes pleuvaient dans ses mains, les foules se pressaient pour voir l’apôtre des enfants, recevoir ses conseils, sa bénédiction. C’était à tel point qu’un jour, le cocher qui le conduisait par les rues de Lyon, impatienté de ne pouvoir frayer passage à sa voiture, finit par s’écrier : « Mieux vaudrait traîner le diable que de conduire un saint ! »
Mais si le bien ne cessait de s’étendre, le diable, lui, se montrait furieux contre celui qui lui arrachait tant d’âmes d’enfants. Il excitait les jalousies, les haines, les calomnies, il tramait des complots dans l’ombre. Plusieurs fois, le soir, en traversant les terrains vagues qui conduisaient à son ouvre, Don Bosco fut attaqué par des malfaiteurs qui en voulaient à sa vie. Mais la Providence veillait. Un énorme chien gris surgissait tout à coup, se jetait sur les criminels, à coups de crocs les mettait en fuite puis, devenu doux comme un agneau, accompagnait Don Bosco jusque chez lui pour le défendre et le protéger. Pendant des années, ce chien mystérieux, le « gris », apparaissait ainsi chaque fois qu’un danger menaçait Don Bosco, et disparaissait de même sans que nul puisse savoir d’où il venait.
Des dons merveilleux facilitaient la tâche écrasante de l’apôtre.
Un jour, sous sa bénédiction, le pain se multiplia pour nourrir ses enfants. Une année, en la fête de la Nativité de Marie, le 8 septembre, alors que les hosties manquaient dans le ciboire, elles se multiplièrent aussi miraculeusement entre les mains du saint prêtre pour lui permettre de distribuer à 600 enfants la nourriture de l’âme. Il lisait dans les consciences, révélait à ses fils leurs péchés cachés, prédisait des événements futurs, rendait la santé aux malades.
Cependant, les œuvres de Don Bosco s’étendaient à travers le monde. Cette superbe moisson, Don Bosco ne cessait de l’attribuer à la Sainte Vierge. « La source des bénédictions qui pleuvent sur nos fatigues et les fécondent, aimait-il à répéter, il faut, en remontant, la chercher dans cet « Ave Maria », récité le 8 décembre 1841, fête de l’Immaculée Conception, avec le petit Barthélemy ; j’y ai mis toute mon âme. Là-haut, la Sainte Vierge m’a écouté, et pendant un demi-siècle elle n’a fait qu’exaucer cette humble prière. »
Une de ses dernières paroles fut pour recommander encore la dévotion à Marie ! « Dites aux enfants que je les attends tous en paradis… Insistez sans cesse sur la fréquente communion et la dévotion à la Très Sainte Vierge. »
J. M.
Imprimatur
Verdun, le 16 janvier 1951
Max. HUARD, vic. gén.
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