Les tourments des catholiques mexicains

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 9 minutes

DEUXIÈME TABLEAU

Tout le monde s’est ras­sis, et même il y a quelques audi­teurs de plus : une auto s’est arrê­tée devant ce théâtre en plein air, et les occu­pants ont gen­ti­ment deman­dé la per­mis­sion de res­ter. M. le Curé a dit Oui, et les jeunes acteurs sont fiers de ce succès. 

M. LE CURÉ, debout à droite du rideau fermé. 

Nous sommes au Mexique le 11 novembre 1920. Au fond de l’ho­ri­zon on voit une mon­tagne abrupte, haute de 2600 m. Il fait encore un peu nuit. Des feux sont allu­més sur toutes les cimes d’a­len­tours. L’aube se lève peu à peu. La mon­tagne est noire de monde, une foule arrive de par­tout. Main­te­nant on dis­tingue sur le som­met la sta­tue du Christ-Roi, haute de 3 mètres, pla­cée sur une pyra­mide octo­go­nale de 6 m. de hauteur. 

Tout à coup le soleil jaillit der­rière la chaîne du Gua­na­jua­to. L’É­vêque de Léon s’a­vance. Il bénit la mon­tagne et la pro­clame Mon­tagne du Christ-Roi. Il bénit le monu­ment et le déclare Monu­ment Natio­nal. On entend les chants de la Béné­dic­tion du Saint Sacre­ment. L’É­vêque bénit avec l’Os­ten­soir les quatre points car­di­naux, puis il lance l’acclamation : 

Vive le Christ-Roi 

mille fois répé­tée par la foule.

Mais ce monu­ment était insuf­fi­sant. Les Mexi­cains vou­lurent en éle­ver un autre plus beau, beau­coup plus beau. Ils taillèrent une route dans la mon­tagne, ils bâtirent trois ponts de fer. La plate-forme était déjà bâtie. Avant l’i­nau­gu­ra­tion, pen­dant six jours et six nuits d’in­nom­brables pèle­rins gra­virent la mon­tagne. De par­tout mon­taient des prières et des can­tiques au Christ-Roi. 

Les Mexicains construisent sur la montagne un monument au Christ-Roi

Alors les méchants, aus­si méchants que le roi Hérode, envoyèrent une armée pour empê­cher qu’on place là-haut la sta­tue du Christ-Roi. Et le 30 juin 1928, une déto­na­tion for­mi­dable se réper­cu­ta dans les mon­tagnes et les val­lées : le Monu­ment au Christ-Roi volait en éclats.

Et on ferme les églises, on exile les moines, on chasse les prêtres. On veut détruire la reli­gion au Mexique. Quelques prêtres sont res­tés, ils se cachent. Ils admi­nistrent les Sacre­ments dans des lieux inconnus. 

Le Père Miguel Pro, Jésuite, est de ceux-là. Le voici. 

(Le rideau se tire lentement.)

PREMIÈRE SCÈNE

M. LE CURÉ conti­nue

La scène repré­sente un côté d’é­glise, un autel, un confes­sion­nal. Le Père Pro vient de confes­ser une cen­taine de per­sonnes venues en grand mys­tère, quelques-unes de très loin. Il est tard, main­te­nant, l’é­glise s’est vidée.

(M. le Curé s’est rassi.) 

LE PÈRE PRO (c’est Mar­cel. Il a son cos­tume de tous les jours, mais il n’a pas son visage ordi­naire, si gai. Il est triste de l’ab­sence d’An­dré et puis il s’est mis vrai­ment dans ce rôle avec tout son cœur et toute sa foi. Il sort len­te­ment la tête du confessionnal.)

C’est fini, il n’y a plus per­sonne. Tant mieux, je n’en puis plus. Je confesse depuis ce matin. Quelles cour­ba­tures ! Tiens ! j’ai fait des pro­grès, je suis four­bu mais debout. Quand je pense qu’­hier je me suis éva­noui comme une femme, on a dû me sor­tir du confes­sion­nal, me faire res­pi­rer des sels ! C’est hon­teux ! (Il va vers le Tabernacle.)

Après-demain, Sei­gneur, vous quit­te­rez votre mai­son. On Vous chasse, Vous, le Maître, le Roi ! Les cloches se tai­ront, le Mexique doit être vidé de Dieu. Ils sont fous !… Mais nous, nous allons entrer dans le déso­lant abîme de la per­sé­cu­tion. Peu importe ! 

« Je consens à n’a­voir nul bon­heur sur la terre. 

Mais don­nez-moi, Sei­gneur, des âmes à sau­ver ! Des âmes à sau­ver, Vous m’en don­ne­rez. J’i­rai les cher­cher par­tout, à tra­vers les ronces, pieds nus sur le roc tran­chant. Je me donne tout entier. Votre amour, mon Dieu, Vous seul, je suis votre Victime. » 

(Il va sor­tir de l’é­glise et hésite.) 

Je crois que je ferai bien d’at­tendre encore un peu avant de tra­ver­ser les rues. En atten­dant, je vais dor­mir dans un coin. (Il s’ins­talle.)

(Un silence. La porte de l’é­glise s’ouvre avec précautions.) 

HUMBERTO PRO (c’est Maxime qui tient le rôle, un gen­til gar­çon­net d’un hameau)

(À voix basse)

Miguel ! Miguel ! êtes-vous là ? (Pas de réponse.) Mon Dieu, pour­vu que je n’ar­rive pas trop tard. Des poli­ciers le guettent par­tout. Où est-il ? C’est sombre. (Il appelle plus fort.)

Miguel ! Miguel ! 

LE P. PRO, (mal réveillé, se dresse)

Voi­là ! Voi­là ! Est-ce pour un mourant ?

HUMBERTO

Le père Pro, épuisé par les confessions, fuit les policiers mexicains

Ah ! vous êtes là ! Non, on ne vous appelle pas. Au contraire je vous cher­chais pour vous dire d’être pru­dent. Les poli­ciers sont pos­tés pour vous arrêter. 

LE P. PRO

Ce n’est pas d’aujourd’hui. 

HUMBERTO

Non, mais notre père a vu aujourd’­hui Luis Segu­ra qui arrive de Duran­go. Il raconte des his­toires effrayantes. Le voilà !

(La porte s’est ouverte de nou­veau, un beau jeune homme entre avec hési­ta­tion. Il aper­çoit le P. Pro.)

LUIS SEGURA, un ingé­nieur, figu­ré par le plus grand et le plus sage des enfants de chœur. 

Ah ! P. Pro, je vous cherche. Il faut être plus pru­dent que jamais.

LE P. PRO 

C’est impos­sible. Je passe mon temps à me cacher.

SEGURA

Vous cacher, mon Père ! Mais on vous voit par­tout. Vous tra­ver­sez les rues à toutes les heures.

LE P. PRO

Dégui­sé ! Tan­tôt en fac­teur, tan­tôt en chauf­feur, en ouvrier, et même en ministre. (On rit.)

SEGURA

Oui, je sais. Dimanche les poli­ciers avaient cru vous recon­naître dans un mon­sieur élé­gant. Vous avez flai­ré le dan­ger et vous avez offert le bras à Mme Jua­rez qui pas­sait et qui vous a heu­reu­se­ment recon­nu ; elle vous a aidé à dépis­ter les policiers. 

LE P. PRO 

Tu vois bien que je suis prudent. 

SEGURA

Le dan­ger aug­mente, les prêtres sont tra­qués. À Duran­go, don Batis a été arrê­té avec quelques jeunes gens de la Jeu­nesse Catho­lique. Sans juge­ment, sans enquête, on l’a fusillé avec trois jeunes gens[1].

LE P. PRO 

Ah ! l’heu­reux Don Batis ! 

SEGURA

À Naya­rit, le dépu­té More­no a fait fusiller le curé qui disait la Messe. La foule a vou­lu le ven­ger et dans la lutte a tué le dépu­té. En repré­sailles on a pen­du neuf pay­sans aux gros arbres en face de l’é­glise. Ils y sont encore.

LE P. PRO

Cela devient plus grave en effet.

HUMBERTO

Et Bonilla que j’ai vu hier m’a assu­ré que dans Jalis­co, le long du che­min de fer, à chaque poteau du télé­graphe, un catho­lique est pendu.

LE P. PRO

Eh bien, tu vois, Segu­ra, si les catho­liques subissent le mar­tyre, ce n’est pas à nous, prêtres, à nous dérober.

SEGURA (vive­ment)

La vie des prêtres est plus pré­cieuse. Qui don­ne­ra les Sacre­ments ? Peu à peu leur nombre dimi­nue. Écou­tez, Père Pro : l’ab­bé Vera a été il y a trois jours arrê­té au moment où il allait dire sa Messe. On l’a pous­sé sur le che­min revê­tu des habits sacer­do­taux. Devant les fusils bra­qués sur lui, il a com­men­cé les pre­miers ver­sets de la Messe : « Introi­bo ad altare Dei. »

LE P. PRO 

L’heu­reux abbé Vera ! Il a ache­vé sa Messe au ciel.

SEGURA

Mais le pire de tous ces faits, c’est le mar­tyre de l’ab­bé Reyes à Totot­lan. Il était le vicaire de la paroisse. Le curé avait pu se cacher, et on vou­lait que le vicaire le dénonce. Il a refu­sé. Alors pen­dant trois jours, vous enten­dez, Père Pro, pen­dant trois jours on l’a mar­ty­ri­sé sans arrêt. Sus­pen­du devant l’é­glise les sol­dats s’a­mu­saient à le lar­der de coups. Je vous passe les hor­ribles détails des sup­plices inven­tés par les bour­reaux. À la fin ils imbi­bèrent ses pieds de gazo­line et y mirent le feu. Puis ils aban­don­nèrent son corps. Des femmes l’ont recueilli[2].

Saint SABAS REYES SALAZAR. prêtre et martyr au Mexique.

LE P. PRO 

Lar­dé de coups pen­dant trois jours ! Le sup­plice de saint Sébas­tien. Mes amis, réflé­chis­sez un ins­tant. Ce mar­tyre de saint Sébas­tien qui nous parais­sait quelque chose de si loin­tain, presque per­du dans les siècles écou­lés, le voi­ci qui res­sus­cite aujourd’­hui ! Heu­reux abbé Reyes ! Quand s’est pas­sé ce fait, Segura ?

SEGURA

Le mois der­nier. Le 14 avril.

LE P. PRO 

14 avril 1927. 1927 ! je crois que ce sera aus­si l’an­née du mar­tyre du P. Pro. 

HUMBERTO (vive­ment)

Non, non.

SEGURA

Peut-être aus­si du mien. 

LE P. PRO

Nous appar­te­nons au Christ. À Lui de com­man­der. Pour l’ins­tant, cachons-nous. Par­tez devant moi, tous les deux. Soyons pru­dents comme le ser­pent et simples comme la colombe. 

(Le rideau se ferme pen­dant qu’on applau­dit.)

On applau­dit les acteurs. Made­leine assise au pre­mier rang se dresse et sai­sit par le bras Bru­no qui sou­le­vait le rideau pour voir ce qui se pas­sait derrière.

MADELEINE

Va dire à André que tout le monde applaudit.

BRUNO

Oui.

(Il s’é­lance, mais tout près de la mai­son rose, le papa d’An­dré l’ar­rête au passage.)

BRUNO

Je veux dire à André que tout le monde est content.

LE PÈRE

Je le lui dirai, mon petit. Il se repose. 

BRUNO

Alors il ne pour­ra pas venir ? 

LE PÈRE

Non, pas ce soir.

BRUNO

…parce que Made­leine a dit que main­te­nant c’est la scène où tout le monde pleure. 

LE PÈRE

Il n’y a pas besoin d’être là-bas pour pleurer.

BRUNO qui voit des larmes dans les yeux du père d’André. 

Non.

(Il s’en va sans comprendre.)

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« Pre­mière fête du Christ-RoiLes per­sé­cu­tions au Mexique »
  1. [1] Cité par Mgr Oroz­co y Jime­nez, arche­vêque de Gua­na­la­ja­ra dans sa lettre du 15 août 1927.
  2. [2] Cité par Mgr de la Nora, arche­vêque de Saint-Louis Poto­si, dans son inter­view au Dai­ly Express du 17 avril 1928.

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