Dans la clarté de la lampe, près de la porte ouverte aux parfums du soir, maître Ambroise fume son calumiau, sa courte pipe de terre. Sa grande barbe, ses abondants cheveux gris sous le large feutre lui donnent l’air d’un berger de la montagne. Ses petits yeux bleus étincellent de vie.
Mère-grand. — Eh ! bonsoir, maître Ambroise, ces pichoun viennent voir vos Santons.
Maitre Ambroise. — Té, voisine, c’est le moment. Avec les grands jours, on va les laisser dormir dans l’armoire. Ce soir, on y travaille encore, mes filles surtout qui ont des doigts de fée car mes vieilles mains deviennent maladroites.
Chantal. — Nous aimerions tant savoir comment vous fabriquez ces charmants petits personnages si pleins de vie.
Maitre Ambroise. — Ah ! pichot, c’est tout un art, voyez-vous. Il n’y a plus beaucoup de santonniers aujourd’hui, des vrais j’entends. Il s’en trouve bien encore qui vous font des petits bonshommes de terre cuite, barbouillés de rouge, de jaune, de bleu. Mais on ne peut pas appeler ça des Santons ! Eh ! péchère, ça n’a pas de vie dans le regard. Ce n’est pas la Provence, ça.
Un Santon, cela se prépare de loin. Il faut avoir vu son modèle, vivant, l’avoir bien regardé, bien compris ; le voir dans son imagination, longtemps, longtemps, comme un ami. Alors, un beau jour, on est prêt. Tenez, cette Arlésienne, c’est moi qui l’ai créée. Des jours et des jours, j’ai cherché à graver dans mon esprit les traits de son visage, le velours de son bonnet, les plis de sa jupe, de son fichu. Puis je me suis mis au travail.
D’abord, je me procure de l’argile, de la rouge qui se travaille plus facilement. Je l’écrase en poussière et la passe dans un crible fin. Je l’entoure d’un linge humide pour qu’elle ne sèche pas. Elle est prête pour le modelage. Je fais mon petit personnage comme vous faites un bonhomme de glaise. Je prends une boule d’argile comme cela et je la modèle avec les doigts, puis avec les ébauchoirs que vous voyez là. Je façonne le costume, le bonnet. Le visage est le plus difficile à réussir car il faut lui donner une expression, de la vie.
Ce petit bonhomme d’argile a un rôle à jouer à la crèche. Lorsque mon Santon est enfin achevé, qu’il me plaît, je puis procéder au moulage qui me permettra de reproduire mon modèle autant de fois que je le désirerai. Ma fille, Jeanne, va vous montrer comment elle a moulé mon Arlésienne. Pour le moulage, on emploie du plâtre blanc. Le moule se fait en deux parties, plus les accessoires, chapeaux, bras, corbeilles, etc., qu’on rattache ensuite au corps.
Regardez bien, Jeanne passe à l’huile la petite figurine d’argile pour qu’elle ne colle pas. Elle veut mouler le devant. Donc, elle pose à plat le dos sur une plaque d’argile molle. Elle appuie un peu pour qu’elle marque bien sa place. Puis, de chaque côté, elle presse de l’argile jusqu’à la moitié de l’épaisseur. Le devant reste nu. Alors, sur cette partie nue, Jeanne verse doucement le plâtre bien détrempé, retenu par le cadre de bois. C’est le plâtre, une fois séché, qui donne un moule en creux. On retire le modèle : si le moule n’est pas fendu, il est prêt à servir. On procède de même pour le dos.
Alors, on va pouvoir facilement obtenir une nouvelle Arlésienne et des douzaines d’autres. Voyez : je prends un petit rouleau d’argile, je le presse dans le moule, avec le pouce et l’index, garnissant bien tous les creux. Je remplis de même le deuxième moule et je les attache tous les deux en serrant fort, pour que tout se soude bien. Dans dix minutes, l’argile sera sèche ! Je retirerai mon Santon, ferai quelques petites retouches et le mettrai demain à sécher au soleil. Il sera cuit comme ceux-ci. Il passera à la décoration : c’est l’affaire de mes filles.
Mlle Jeanne. — C’est un joli travail que de mettre en couleurs : fichus, vestes, gilets, bas. Nous usons surtout de couleurs vives : rouge, vert, jaune, bleu, rosé. Je place sur une même ligne tous les Santons semblables. Je peins d’abord tous les visages, toutes les chevelures, puis tous les chapeaux. Ensuite fichus, jupes, etc., de haut en bas. Cela va plus vite et on économise les couleurs.
Maitre Ambroise. — Notre Arlésienne sort du moule. Sans ses couleurs, elle est bien terne, péchère. Mais vous verrez, demain soir, comme on la fera brave, té !
Soyez le premier à commenter