Jusqu’au Royaume du Christ-Roi

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 7 minutes

La terre est un miracle de beau­té en ce jour d’au­tomne. On ne peut la décrire. Les mots ne suf­fisent pas. Il faut regar­der et sen­tir. Les grands châ­tai­gniers sont légers, légers, la moi­tié de leurs feuilles sont à terre, toutes dorées, comme dans le jar­din du Para­dis. À tra­vers les arbres on voit le ciel bleu. Quelques feuillages rouges se détachent sur les autres. 

Made­leine qui a repris sa robe de fillette, mange sa part de tarte avec un plai­sir si évident que Mar­cel le taquin ne peut man­quer de le remarquer.

MARCEL

Pour un mar­tyr, tu as l’air rude­ment gourmande ! 

MADELEINE (mali­cieuse)

Tu ne me feras pas mettre en colère ce soir ! Vois-tu, je suis affa­mée. C’est fati­gant tous ces rôles où on pleure. 

MARCEL (gen­ti­ment)

C’est ce que j’ai pen­sé. Tiens ! voi­là encore de la tarte, j’en ai pris deux mor­ceaux pour toi. 

MADELEINE (ravie)

Oh mer­ci ! (Elle sai­sit le mor­ceau.)

MARCEL (après un silence)

Papa était là pour la fin de la pièce.

MADELEINE

Je l’ai vu. Il pleurait. 

MARCEL

Comme tout le monde.

MADELEINE

J’aime autant qu’An­dré ne soit pas venu. Être malade c’est déjà triste. Mieux vaut l’égayer.

MARCEL

Maman vien­dra à la Bénédiction. 

UNE VOIX LOINTAINE DANS LE BOIS 

Made­leine, Mar­cel ! venez vite !

MADELEINE

C’est Sabine.

Fillette avec un bouquet pour le salut du Saint-Sacrement en la fête du Christ-Roi (dernier dimanche d'octobre)

(Ils s’é­lancent.)

Les enfants se sont pré­ci­pi­tés sur les haies et coupent des branches de toutes sortes. On entend des cris, quelques disputes.

« C’est moi qui veux cette branche-là ! » — « La mienne est trop petite ! » — « J’en veux une grosse ! » 

La voix poin­tue de Sabine explique avec volu­bi­li­té qu’il faut faire un bou­quet de feuillages pour por­ter au Christ-Roi au Taber­nacle. C’est encore plus beau que des fleurs. 

Bru­no est là et Made­leine a vite fait de lui rem­plir les bras de branches de chêne vertes et or. Elle a obte­nu de M. le Curé que ce soit Bru­no qui lise la prière d’An­dré à la fin de la Béné­dic­tion, celui-ci en est très fier, mais cet hon­neur lui coûte cher, sa cou­sine l’a har­ce­lé de répétitions. 

MADELEINE

Dis donc, Bru­no, qu’est-ce qu’il t’a dit André quand tu es allé vers lui ? 

BRUNO

Rien, son papa m’a empê­ché d’entrer. 

MADELEINE

Oui, la seconde fois. Mais la pre­mière fois quand tu es allé lui dire de venir pour sa pièce ?

BRUNO

Je ne sais plus. 

MADELEINE (impa­tien­tée)

Mais si, voyons ! quand tu lui as dit : « Tout le monde te demande, viens ! » 

BRUNO

Ah ! je sais ! Il a dit comme vous dites sur la scène tout le temps : Vive le Christ-Roi !

Juste à ce moment-là voi­là que les cloches sonnent. Les enfants accourent char­gés de feuillages. On dirait un bois qui marche. Près de l’é­glise ils se mettent à chan­ter. Écoutons :

« Que les peuples sau­vés par ton amour suprême
Te recon­naissent Roi
T’offrent riches et fiers l’u­nique dia­dème
Qui n’ap­par­tient qu’à toi[1]. »
« Le Christ vit »
« Le Christ règne »
« Le Christ commande ! »

Les voi­ci près de l’é­glise. Tout le monde est reve­nu. M. le Curé les attend. Il voit les bou­quets et sourit. 

M. LE CURÉ 

Dépo­sez vos branches, au pied de l’au­tel, de chaque côté. 

Un ins­tant plus tard les chantres entonnent les chants de la Béné­dic­tion. Avant d’é­le­ver l’Os­ten­soir, M. le Curé s’est retour­né vers les fidèles. Entre les gerbes de feuillages qui res­plen­dissent aux lumières dans leurs ors rouges et verts, un enfant se tient debout, c’est Bru­no, un papier à la main. Made­leine n’est pas loin. Il se retourne vers elle, elle lui fait signe que c’est le moment. 

Alors dans un grand silence, on entend mon­ter une petite voix claire, un peu poin­tue, par ins­tant trop rapide, mais cepen­dant cha­cun peut suivre la prière com­po­sée par André et qui va clore la Fête des enfants au Christ-Roi.

Prière

« O Christ-Roi, voi­ci l’hom­mage des petits enfants. Vous nous aimez plus que les grandes per­sonnes, puisque vous vou­lez que les grandes per­sonnes deviennent sem­blables aux petits enfants. Devant Vous, tout est tou­jours petit. Vous seul êtes grand. Alors voi­là notre prière : aujourd’­hui nos petits cœurs vous aiment ; faites qu’en gran­dis­sant l’or­gueil n’é­touffe pas cet amour, que tou­jours nous res­tions devant Vous tout petits, dociles et humbles.

Nous Vous avons appor­té de belles branches. Il fau­drait pou­voir appor­ter devant l’Hos­tie où Vous Vous faites tout petit, toutes les mer­veilles de la terre. Votre Père les a faites pour Vous. Et même à votre nais­sance Il a fait signe à une de ses étoiles d’al­ler sur votre ber­ceau, comme un beau jouet qu’un père donne à son petit. 

Votre Père nous a aus­si don­nés à Vous comme les étoiles. Vous êtes notre Roi, notre Roi bien-aimé caché dans l’Hos­tie, notre Roi qui appa­raî­tra un jour dans la splen­deur ter­rible de sa puis­sance et de sa justice. 

Mais nous n’au­rons pas peur de Vous, je crois, parce que pen­dant notre vie nous met­trons à votre ser­vice le mieux que nous le pour­rons, notre tra­vail, nos peines, notre amour. » 

La petite voix de Bru­no a fai­bli sur la fin, et c’est la voix ferme de Made­leine qui, de sa place lance l’Ain­si-soit-il.

Les anges adorent le Roi du ciel et de la terre.

La foule sort de l’é­glise. Le cré­pus­cule d’au­tomne est tom­bé brus­que­ment. Un peu exci­tés par la fête, les enfants partent en joyeuse faran­dole le long de la route qui s’as­som­brit. On entend quelques cris, des appels de mamans, puis peu à peu le bruit décroît et s’éteint. 

La nuit est venue. Un grand silence enve­loppe la terre. Les petites lumières des hommes se sont éteintes, mais dans le fir­ma­ment les étoiles miroitent et la lune resplendit. 

Tous les petits acteurs de la jour­née dorment pro­fon­dé­ment. Une paix divine s’é­tend sur les mai­sons closes. 

Dans la mai­son rose cepen­dant on veille. André semble dor­mir. On dirait qu’il sourit. 

Les heures de la nuit s’é­grènent. Comme la clar­té de la lune est brillante ! elle pénètre dans la mai­son rose, elle scin­tille sur le lit d’An­dré, sur son mince visage, sur ses che­veux noirs, sur son front pur, sur ses yeux clos. Il est beau comme un lis dont les pétales rigides seraient argen­tés par la lune.

Mais pour­quoi est-il ain­si immo­bile ? pour­quoi sa bouche reste-t-elle entr’ou­verte comme si la prière s’é­tait arrê­tée entre ses lèvres ? pour­quoi les pau­pières ne battent-elles pas et la poi­trine de l’en­fant n’est-elle plus sou­le­vée par le rythme régu­lier du souffle ? 

Chut ! chut ! Quel­qu’un a pas­sé dans la chambre. Quel­qu’un d’in­vi­sible. C’est l’En­voyé du Roi, de Celui qui a dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. »

Et l’Ange de la Mort, obéis­sant, est des­cen­du pour cueillir l’âme de l’en­fant ; il avait reçu l’ordre d’at­tendre la fin de la fête, afin qu’il n’y ait pas de larmes sur les joies enfantines. 

Et per­sonne n’a vu pas­ser le Mes­sa­ger du Roi lors­qu’il empor­tait l’âme d’An­dré dans la Lumière et la Joie sans fin du Royaume du Christ-Roi.

Mai 1935.

Le Christ roi des nations

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  1. [1] L. Bou­let, curé de N.-D. du Che­min à Qué­bec.

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