La bûche de Noël

Auteur : Vaillant, Jean | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 8 minutes

En ce temps-là, la France s’ap­pe­lait la Gaule, et la Gaule était cou­verte de forêts.

Conte de Noël, la buche. Bucheron par Camille Barthélemy.
Bûche­ron par Camille Barthélemy

Et il y avait, au plus pro­fond de la grande forêt, un bûche­ron qui vivait tout seul dans une hutte. Il s’ap­pe­lait Carnutorix.

Il aimait les grands arbres de la forêt. Il les connais­sait, et don­nait des noms aux plus beaux. Lors­qu’il en abat­tait un, cela lui fai­sait beau­coup de peine. Et pour­tant, il fal­lait bien puisque c’é­tait son métier…

Près de sa hutte, se trou­vait un vieux chêne tout tor­du, au tronc énorme.

Il y avait des touffes de gui dans les branches. C’est rare, le gui du chêne. Tous les ans, les druides venaient le cou­per avec une fau­cille d’or, et ils offraient des sacri­fices au génie du ton­nerre. Car­nu­to­rix avait un peu peur des druides au mys­té­rieux pou­voir : quand il les voyait venir, il se cachait. C’é­tait une sorte de sauvage.

Car­nu­to­rix avait une sorte de cou­teau tran­chant qu’un guer­rier avait per­du en tra­ver­sant la forêt. Il fal­lait aigui­ser sou­vent ce cou­teau sur un bloc de grès.

Un jour, sans savoir trop ce qu’il fai­sait, le bûche­ron eut une idée bizarre : dans un mor­ceau de chêne bien dur, il se mit à tailler un per­son­nage : une femme. Une femme por­tant un petit enfant dans ses bras. La sta­tue était fort gros­sière. Car­nu­to­rix n’é­tait pas un grand artiste, mais cette femme lui fai­sait pen­ser à sa mère qui était morte quand il était tout petit.

Chêne Notre-Dame à La Chapelle-Caro - Légende de la buche de Noël
Chêne Notre-Dame à La Cha­pelle-Caro dans le Morbihan

Car­nu­to­rix eut une idée plus bizarre encore : il ins­tal­la la sta­tue dans le creux du chêne sacré. De temps en temps, il la regar­dait avec amour.

Un jour, le bûche­ron enten­dit la voix d’un enfant qui l’ap­pe­lait. Il n’ai­mait pas être déran­gé dans sa soli­tude. Il grogna :

« Qui donc est venu se perdre par ici ? » Et en même temps, il se sen­tit enva­hi par une grande dou­ceur et il trembla.

Il cher­chait par­tout, et ne voyait per­sonne. Mais voi­ci que, levant les yeux, il aper­çut la sta­tue dans le creux du vieux chêne, et il lui sem­bla que celle-ci s’a­ni­mait. Elle deve­nait très grande, et la femme était très belle et sou­riait ; elle pré­sen­tait son enfant au bûche­ron, et son enfant agi­tait ses petits bras.

Et l’en­fant parla :

« Je vais venir sur la terre, disait-Il. Et c’est pour toi que je viens. Pour toi et pour tous les autres. Il faut que tu viennes Me voir dans mon pays d’Orient. »

Car­nu­to­rix res­tait là, tout inter­dit. Mais la sta­tue ne bou­geait plus. Elle avait repris sa forme, elle était rede­ve­nue toute petite, et la belle dame ne sou­riait plus.

Le bûche­ron sen­tit qu’il fal­lait abso­lu­ment qu’il s’en aille pour voir le petit enfant.

« Qu’est-ce que je pour­rais bien lui appor­ter ? se disait-il. Il fau­drait que je lui fasse un cadeau, mais je n’ai rien. »

Il aper­çut, devant sa hutte, le tronc d’un chêne qu’il venait d’a­battre et qu’il avait déjà ébran­ché. Avec sa lourde cognée, il débi­ta une énorme et, sans plus réflé­chir, ayant jeté sur ses épaules une vieille peau de mou­ton, ayant ser­ré sa gros­sière cein­ture de cuir, il par­tit à tra­vers la forêt dans la direc­tion du soleil levant, rou­lant devant lui le lourd ron­din de chêne.

* * *

Il mar­cha long­temps, long­temps, sen­tant tou­jours en lui cette étrange dou­ceur. Il gagnait sa nour­ri­ture en abat­tant des arbres pour les gens des pays qu’il tra­ver­sait. Sa force de géant le fai­sait redou­ter, mais on voyait bien qu’il n’é­tait pas méchant. Il racon­tait aux enfants les légendes de sa forêt. Et tou­jours, il veillait jalou­se­ment sur sa belle bûche de chêne dont l’é­corce, peu à peu, s’é­tait usée et qui était main­te­nant lisse comme un galet de rivière.

Santon bucheron et buche - histoire de la buche de NoëlIl arri­va ain­si devant la mer, la mer immense et bleue qu’il n’a­vait jamais vue. Il la contem­pla lon­gue­ment. Com­ment s’y prit-il pour se faire accep­ter par le patron d’une barque qui allait appa­reiller ? Peut-être s’of­frit-il comme rameur en mon­trant avec orgueil ses bras noueux, aux muscles saillants.

Et le long voyage reprit de l’autre côté de la mer. Le bon géant s’é­ton­nait de voir des ani­maux bizarres, des cha­meaux qui trans­por­taient des bagages et des hommes…

Car­nu­to­rix sen­tait – il n’au­rait su dire pour­quoi – que l’en­fant mys­té­rieux n’é­tait plus très loin. Bien­tôt, il le ver­rait. Et le bûche­ron, sui­vant sa route en rou­lant tou­jours sa bûche, se trou­va pris dans une étrange cara­vane qui mar­chait la nuit et se repo­sait le jour. Les cha­me­liers se mon­traient une étoile brillante qui sem­blait avan­cer avec eux et leur indi­quer le chemin.

Un matin, alors que l’aube fai­sait pâlir la belle étoile d’or, la cara­vane arri­va dans un petit vil­lage et le bûche­ron enten­dit pro­non­cer le nom de Beth­léem. Sans savoir com­ment, Car­nu­to­rix se trou­va trans­por­té dans une sorte d’é­table et là, il aper­çut d’a­bord, assise sur un banc rus­tique, une dame qui souriait.

Il la recon­nut aus­si­tôt et tom­ba à genoux. C’é­tait la belle dame dont les traits lui étaient appa­rus lorsque, dans la forêt gau­loise, la sta­tue de bois sculp­té s’é­tait ani­mée mystérieusement.

La dame tenait dans ses bras le petit enfant…

Les riches per­son­nages de la cara­vane s’é­taient avan­cés et, eux aus­si, s’é­taient mis à genoux. Des ser­vi­teurs por­taient des cof­frets, et de ceux-ci l’on tirait main­te­nant des choses étin­ce­lantes : or, perles, pierres pré­cieuses. Des par­fums fumaient dans des cas­so­lettes et embau­maient l’air.

Car­nu­to­rix se sen­tit tout à coup très pauvre avec sa bûche. Très pauvre et très ridi­cule. Le petit enfant était sans doute un fils de Roi. On lui offrait des trésors.

Le géant sen­tit que les regards de tous se por­taient sur lui. Les ser­vi­teurs rica­naient et se pous­saient du coude. Une telle détresse enva­hit le cœur du bûche­ron qu’il se sen­tit vieillir de vingt ans, et de grosses larmes tom­bèrent sur son billot de chêne.

Mais le petit enfant sem­blait ne pas voir les riches per­son­nages, ni leurs ser­vi­teurs, ni les cof­frets rem­plis d’or, ni les cas­so­lettes où fumait l’en­cens. Il regar­dait le bûche­ron pros­ter­né et ses petits bras fai­saient des gestes d’a­mi­tié ; et voi­ci que ses petites menottes applau­dis­saient. Car­nu­to­rix s’en­har­dit et, se traî­nant sur les genoux, rou­lant sa bûche devant lui, il s’ap­pro­cha tout près, riant à tra­vers ses larmes.

La Nati­vi­té de Jésus. Gio­van­ni Di Pie­tro (Lo Spa­gna), 1506

Et la belle dame parla :

« Bûche­ron, tu es pauvre comme mon Enfant, mais ton cœur est riche parce que tu aimes. Tu n’a­vais rien, mais tu as vou­lu don­ner ce qui te sem­blait une grande richesse, cette belle bûche de bois capable de brû­ler clair et de réchauf­fer les mal­heu­reux tran­sis. En véri­té, je te le dis, dans tous les siècles et par tous les pays, on brû­le­ra désor­mais chaque année une belle bûche comme celle-ci en sou­ve­nir de la nais­sance de mon Fils. Sa flamme joyeuse rap­pel­le­ra aux hommes que, pour faire de grandes choses sur la terre, il faut un cœur tout brû­lant d’amour. »

* * *

« Et voi­là, dit ma mère-grand, la légende de la bûche de . »

Jean Vaillant.

Légénde de Noel pour les enfants - la buche patissière

2 Commentaires

  1. PINCEMAILLE a dit :

    Bien belle et émou­vante his­toire qui nous change des tur­pi­tudes actuelles et qui m’en rap­pelle une autre, authen­tique, celle-là : il y a bien long­temps, je me suis ren­due dans la ville belge de St Hubert, c’é­tait le jour du grand pélé­ri­nage des chas­seurs, dans l’é­glise, j’ai vu le tronc d’un gros arbre, peut-être un chêne, por­tant un Christ en métal et l’his­toire était celle-ci : ce Christ avait été fixé sur l’arbre quand il était très jeune, il avait ensuite pous­sé et le bois avait fini par recou­vrir tota­le­ment le Cru­ci­fix. Un jour, on vou­lut cou­per l’arbre et la hache buta sur un obs­tacle incon­nu, les bûche­rons ne com­pre­naient pas jus­qu’au moment où ils se ren­dirent compte que l’arbre conte­nait, en son coeur, ce signe d’une ancienne dévo­tion, ils le cou­pèrent donc plus haut et plus bas et empor­tèrent la par­tie concer­née dans l’é­glise où elle figure tou­jours, tout au moins à l’é­poque de ma visite, il y a bien­tôt 30 ans. Je vous pré­sente mes amitiés.

    11 décembre 2011
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  2. Le Raconteur a dit :

    Oui, ce conte est basé sur la fer­veur de nos ancêtres des campagnes.
    De la même façon, votre his­toires est la marque de l’a­mour du Christ. En tout cas, c’est une jolie anec­dote. Mer­ci à vous.

    21 décembre 2011
    Répondre

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