La confirmation
C’était au temps de la Grande Révolution, au pays d’Anjou. La guillotine était installée en permanence à Angers où l’on poursuivait de tous côtés les prêtres qui n’avaient pas voulu quitter le pays. Tel était le cas d’un saint curé de village du nom de Noël. Son dévouement à toute épreuve lui valait d’ailleurs l’admiration des fidèles et c’était à qui lui préparerait la cachette la plus sûre. A la métairie de la Comouillère, l’abbé Noël se sentait particulièrement chez lui, car on l’y entourait de la plus affectueuse vénération. René Landry, le fils aîné de la famille, avait 12 ans. Il aimait de tout son cœur l’abbé qui le prenait souvent sur ses genoux et il n’était jamais plus heureux que lorsqu’il pouvait lui rendre service.
Intrépide agent de liaison, il le rejoignait au fond des bois, lui portant des livres ou du linge. Il avait aussi le secret de lui dénicher des cachettes introuvables afin de permettre au courageux confesseur de célébrer la Sainte Messe.
Depuis près de trois ans toutefois celui-ci n’avait pu trouver la possibilité de faire faire la Première Communion aux enfants de sa paroisse. Ayant établi son quartier général dans une ferme perdue au milieu des bois, il entreprit d’y préparer une vingtaine d’entre eux, dont le jeune René. On imagine ce que fut cette préparation et les leçons données tantôt dans un champ de genêts tantôt sous une hutte de charbonnier ! Enfin le grand jour arriva ! La cérémonie eut lieu dans une grange. L’abbé Noël célébra la messe sur une humble table de cuisine autour de laquelle se groupèrent les jeunes communiants. Derrière eux s’étaient rangés les paysans aux longs cheveux, les femmes en coiffes blanches et les bonnes aïeules avec le capuchon de leur mante rabattu sur le front. L’abbé prêcha avec tout son cœur devant ce groupe de chrétiens dignes des Catacombes ; ensuite il communia tous les assistants. Au moment où les enfants renouvelaient leurs promesses de baptême, la main sur l’Évangile, un guetteur signala la présence des soldats sur la route ! Aussitôt on éteignit les cierges, il se fit un grand silence et l’on entendit, le cœur battant, le pas rythmé des hommes sur les cailloux du chemin… Grâce à Dieu, ils n’avaient rien vu ! Bientôt le bruit de leur marche s’estompa dans la nuit et la cérémonie s’acheva pieusement par la consécration à la Très Sainte Vierge.
Quelques heures plus tard l’abbé Noël était appelé à la Comouillère où une vieille servante des parents de Roger allait mourir. Il était à peine entré qu’un voisin vint le prévenir qu’un piquet de la Garde Nationale était en marche dans la direction de la ferme ! Le prêtre confessa tout de même la mourante, mais il n’avait pas achevé de lui donner l’Extrême-Onction que les soldats encerclaient la maison, frappant à la porte à grands coups de crosses.
Le petit communiant du matin guettait derrière une fenêtre du premier étage l’arrivée des gardes. Il craignait que son cher abbé n’eût pas le temps de gagner le grenier où se trouvait une cachette sûre. « Ce qu’il me faut faire à tout prix, se dit-il, c’est amuser cette bande de soldats au moins pendant quelques minutes. Si ça tourne mal pour moi, tant pis ! La vie d’un prêtre vaut mille fois plus que celle d’un gamin de 12 ans ! Et puis le Jésus de ma Première Communion me prendra dans son Paradis si je meurs ! » Aussitôt son plan est établi. Avisant un vieux coffre où l’on retirait les vêtements, il s’y glissa lestement, ayant bien soin de laisser dépasser au-dehors un morceau d’étoffe noire…
Au rez-de-chaussée les cris, les jurons et le bruit des meubles renversés disaient clairement que les sans-culottes étaient dans la place. Bientôt René entendit qu’ils se ruaient dans l’escalier conduisant au premier étage. La haine au cœur, ils envahissaient la pièce, fouillant les lits, la cheminée, sondant de la crosse de leurs fusils ou de leurs baïonnettes le plancher et les murailles. Soudain l’un d’eux, apercevant le coffre éclata d’un gros rire méchant : « Ah ! Ah ! fit-il, le calotin s’est trop pressé pour entrer dans sa boîte ! Il a laissé prendre au-dehors un morceau de sa soutane ! Le voilà pris au piège ! »
Le garde bondit vers le coffre puis souleva le couvercle d’un air de triomphe tandis qu’un de ses camarades enfonçait à l’intérieur la pointe de son fusil. On entendit un faible cri puis, dominant sa douleur, René, dans un geste d’héroïque courage, se dressa, la joue sillonnée d’une large balafre rouge. Éclatant alors de rire il cria aux soldats stupéfaits : « Vous cherchez un calotin par ici ! Eh bien ! le v’la pour vous servir ! Êtes-vous contents, Messieurs ? » Furieux d’être ainsi dupés, les gardes tirèrent les oreilles de René, qui en profita pour faire encore quelques grimaces et amuser la galerie. Enfin, n’ayant rien trouvé à l’étage les soudards montèrent au grenier… Mais celui qu’ils cherchaient avait eu le temps de gagner sa cachette ! Malgré tous leurs efforts ils ne purent rien découvrir et s’en allèrent bredouilles.
Dès qu’ils eurent quitté la maison, la mère du jeune héros, encore toute tremblante d’émotion, s’empressa d’étancher le sang qui coulait de la blessure. Tandis qu’elle le pansait, les larmes aux yeux, l’intrépide garçon, pâli par la douleur mais gardant intact son courage, lui dit avec le sourire : « Pourquoi pleurer, maman ? Il n’y avait pas d’évêque pour confirmer les premiers communiants ce matin… Eh bien ! me voilà confirmé maintenant ! »
J. Christiano, « Flores martyrum »
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