Étiquette : <span>Superstition</span>

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Chandeleur .

Temps de lec­ture : 12 minutes

IV

Après une mati­née aus­si aus­tère, les enfants éprou­vaient le besoin de se détendre, et l’oncle Pas­cal pro­po­sa de les emme­ner en pro­me­nade l’après-midi.

Donc, sitôt après le déjeu­ner, la petite bande se trou­va prête. Le temps était superbe, un peu froid, mais la marche réchauffe, fait rou­gir les joues et briller les yeux.

On gagna rapi­de­ment la cam­pagne. Un vigne­ron plan­tait une vigne nou­velle. Le jeune blé poin­tait entre les sillons bruns. Gil­bert, comme un étour­neau, dit :

— Tiens, du gazon !

Mais ce gazon-là, si Dieu le bénit, devien­dra l’é­pi lourd de grains, et l’oncle Pas­cal recom­man­da aux enfants de mar­cher bien au milieu du sen­tier et de ne pas fou­ler aux pieds l’herbe précieuse.

Quel est cet oiseau qui pro­mène sur les che­mins sa digni­té en habit noir ? C’est un merle. Il ne chante pas encore. L’a­louette non plus, la petite alouette grise, amie du labou­reur, ne monte pas encore vers le ciel en lan­çant son tire­li. Les bonnes gens disent qu’elle ne chan­te­ra que dans trois jours, à la Sainte Agathe (le 5 février), mais elle est là, tapie au creux du sillon, rete­nant dans sa gorge gon­flée le chant qu’elle va chan­ter, comme si elle fai­sait retraite avant de s’envoler.

L’eau vive des prés s’é­chappe en bon­dis­sant des pri­sons de cris­tal où le vieil hiver l’a­vait enfer­mée. La neige fond par places et, par places, demeure aux ravins que la bise du nord a pris pour domaines.

— Oncle Pas­cal, dit Agnès qui a de bons yeux, vois donc là-bas ces mor­ceaux de neige, on dirait une les­sive qui sèche.

Au flanc des coteaux de grands arbres se dressent. La sève recom­mence à cir­cu­ler dans les branches. Sur le sol feu­tré de feuilles mortes, un fris­son va pas­ser. Mille petites herbes inco­lores sont prêtes à sou­le­ver l’en­ve­loppe qui les oppresse, à poin­ter, à ver­dir au pro­chain rayon de soleil. Les cor­beaux, les geais et les pies, tristes oiseaux d’hi­ver, tiennent de rauques conci­lia­bules, mais ils savent bien qu’ils vont être dépos­sé­dés du grand silence syl­vestre dès que les vrais chan­teurs seront reve­nus et, dans leurs obs­cures petites pri­sons, les chry­sa­lides rêvent à leurs ailes.

L’oncle Pas­cal, qui est poète, explique toutes ces choses à ses neveux, et de ses lèvres s’é­chappe une vapeur, car il ne fait déci­dé­ment pas chaud.

— Ren­trons, pro­pose-t-il quand le ciel se déco­lore et que le soleil se cache. Nous fini­rons l’a­près-midi chez moi et nous par­le­rons encore de la , car j’ai bou­qui­né ce matin à votre inten­tion et j’ai des his­toires plein mon sac.

La chambre de l’oncle est un Para­dis ter­restre. Des livres tout le long des murs, de bons cous­sins pour s’as­seoir par terre, un dra­geoir tou­jours rem­pli, et le plus lumi­neux, le plus écla­tant des feux de bois auquel on a la per­mis­sion de tou­cher avec les lourdes pincettes.

Enfants écoutant les histoires du soir