Étiquette : <span>Saint Martial</span>

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

Temps de lec­ture : 15 minutes

C’é­tait à , la ravis­sante ville qui mirait ses palais, ses mai­sons, ses pal­miers, dans l’eau pure du plus beau des lacs. Par­mi les bandes d’en­fants qu’on voyait chaque jour jouer sur la rive, comme ont tou­jours fait les enfants de tous les pays et de tous les temps, à lan­cer de fra­giles esquifs sur les courtes vagues, ou à bâtir des châ­teaux avec du sable, l’un d’eux, depuis quelques mois, se fai­sait remar­quer par son air étrange, grave et médi­ta­tif, bien sur­pre­nant chez un petit gar­çon de six ans.

Caté : Mosaique jeune EnfantIl s’ap­pe­lait Mar­tial, ce qui était un nom latin, bien que ses parents fussent d’ex­cel­lente race juive, de la célèbre tri­bu de Ben­ja­min. Mais son père avait ser­vi dans les troupes auxi­liaires de Rome et quand son fils était né, il avait vou­lu qu’il por­tât le nom d’un de ses com­pa­gnons de com­bats. Mar­tial avait été éle­vé comme tous les petits gar­çons de son temps, c’est-à-dire fort libre­ment. Il lui arri­vait sou­vent, mal­gré son jeune âge, de par­tir dans la cam­pagne, en com­pa­gnie de sa che­vrette fami­lière qui le sui­vait par­tout, et de s’en aller dans quelque belle prai­rie au-des­sus du lac, pas­sant des heures à cueillir des fleurs, à regar­der un vol de fla­mants rosés tour­ner en criant dans le grand ciel bleu ou encore à se chan­ter pour lui-même de belles chan­sons qu’il ne répé­tait à per­sonne, car per­sonne n’au­rait pu le comprendre…

Or, un jour qu’il était allé cher­cher des ané­mones — de magni­fiques ané­mones d’un rouge sombre, au cœur vio­let, comme il s’en cachait dans les creux de rochers qu’il connais­sait, — Mar­tial avait fait une ren­contre. Il venait de grim­per sur un mon­ti­cule, à quatre pattes, sa petite chèvre blanche bon­dis­sant, plus leste, à côté de lui, quand, à dix pas peut-être, il avait vu un homme, tout seul, immo­bile, qui se tenait les bras levés,comme en prière,et la tête ten­due vers le ciel. Un ins­tant, l’en­fant était demeu­ré immo­bile, consi­dé­rant atten­ti­ve­ment l’inconnu.

Puis l’homme avait bais­sé la tête ; ses bras étaient re­tombés dou­ce­ment et, à ce moment, son regard s’é­tait posé sur Mar­tial et, en silence, l’a­vait fixé. Quel regard!… Ja­mais l’en­fant n’a­vait par­lé à qui­conque de cette ren­contre, même à sa mère ou à son père. Jamais il n’a­vait racon­té ce qui s’é­tait pas­sé lorsque l’in­con­nu lui avait fait signe d’a­van­cer et qu’il était allé vers lui. Jamais il n’a­vait répé­té les paroles qu’il avait entendues.

Mais c’é­tait depuis cette ren­contre que Mar­tial était mys­té­rieu­se­ment grave, comme s’il por­tait dans son jeune cœur un secret immense, une image à laquelle il ne ces­sait de penser.

Le prin­temps était là, le mer­veilleux prin­temps de Pa­lestine, tout empli d’air léger, de jeune soleil, de chants d’oi­seaux. La vigne en fleurs exha­lait son par­fum et l’on enten­dait reten­tir dans les syco­mores le rou­cou­le­ment des tour­te­relles et des pigeons.

Dans la bande des gar­çons qui jouaient au bord du lac, tout heu­reux de bar­bo­ter, pieds nus, dans l’eau si douce, les aînés par­laient beau­coup d’une his­toire qu’ils avaient enten­du racon­ter par leurs pères et qui les sur­ex­ci­tait fort. Ne disait-on pas qu’un pro­phète était appa­ru ? Oui, un pro­phète, un de ces hommes étranges, extra­or­di­naires, que Dieu avait envoyés maintes fois à son peuple, — ain­si qu’on l’ap­pre­nait à l’é­cole de la syna­gogue, — pour l’a­ver­tir, le conseiller ou le conso­ler. Il y avait cepen­dant bien des années, des cen­taines d’an­nées, qu’il n’a­vait pas été ques­tion de pro­phètes. Por­tait-il des vête­ments faits de peaux de bête ? Le Sei­gneur lui avait-il puri­fié les lèvres avec un char­bon ardent ? Ou, comme le grand Élie, se pro­me­nait-il dans le ciel sur un char de feu ? Car ces enfants, qui appre­naient à lire dans la Bible, connais­saient à mer­veille tous les épi­sodes du Livre Saint.

En tout cas, il avait fait des miracles, c’é­tait cer­tain. Il avait gué­ri la mère d’un des pêcheurs du lac, que tous connais­saient, le bon Simon, celui qui avait la grande barque à dix rames. Et à Caphar­naüm, tout près de là, on racon­tait qu’un offi­cier romain était allé le trou­ver pour le sup­plier de sau­ver son ser­vi­teur atteint d’une grave fièvre et que, sans même voir le malade, de loin, d’un seul mot, il l’a­vait remis debout. Ain­si, dans ces jeunes âmes, l’his­toire du Nou­veau Pro­phète éveillait-elle une curio­si­té ardente.

Aus­si quand, un matin, la petite Rébec­ca, qui savait tou­jours tout, — curieuses, les filles le sont encore plus que les gar­çons, — accou­rut sur la plage en criant : « Il est là ! Je le sais ! Il est dans le champ là-haut, assis avec ses amis, dans les aspho­dèles. Et il parle…», pas un des enfants n’hé­sita une seconde à com­prendre de qui il s’a­gis­sait. À toutes jambes, comme un vol d’a­louettes, ils s’é­lan­cèrent, mon­tant le che­min caillou­teux que