Étiquette : <span>Congrégation du Saint-Esprit</span>

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 14 minutes

XVI

Il y a une cen­taine d’an­nées, les vil­la­geois de Minerve, petite com­mune de l’Hé­rault, étaient fort intri­gués des allures de l’ab­bé Bes­sieux, leur curé. Il leur était arri­vé de Péze­nas, où, quinze mois durant, il avait fait office de vicaire : ces quinze mois avaient suf­fi pour que, par­mi les parois­siens, on lui don­nât le plus beau des noms, que son humi­li­té consi­dé­rait comme une iro­nie : on l’a­vait appe­lé « le saint ». Est-ce donc marque de sain­te­té, se deman­daient les gens de Minerve, que de se traî­ner à pied, sur les routes d’a­len­tour, en se char­geant inuti­le­ment de toutes sortes de paquets ?

Ils ne savaient pas que leur curé rêvait d’é­va­sions, — les éva­sions du mis­sion­naire, — et qu’il s’exer­çait aux marches épui­santes, en vue de la vie très dure des mis­sions. Lors­qu’il eut pas­sé sept ans chez eux, ce fut le tour de ses col­lègues du petit sémi­naire de Saint-Pons d’être éton­nés. Au lieu qu’il répa­rât par une forte nour­ri­ture les fatigues de son métier de pro­fes­seur, on le voyait s’ex­té­nuer en jeûnes, ne s’ac­cor­der sou­vent d’autre menu qu’un peu de riz, et dor­mir sur une chaise trente nuits de suite. Il avait son secret : il vou­lait, par ces gym­nas­tiques d’as­cé­tisme, exer­cer en lui l’en­du­rance du mis­sion­naire. Il ne cachait pas, au demeu­rant, son inté­rêt pour les mis­sions, et tou­jours il était prêt à rem­pla­cer ses col­lègues dans cer­taines cor­vées, moyen­nant quelques sous pour la Pro­pa­ga­tion de la Foi.

L'évangélisation du Gabon racontée aux enfants du CatéchismeIl y eut grande rumeur au petit sémi­naire, un jour de 1842 : on apprit que l’ab­bé Bes­sieux, aux pré­cé­dentes vacances, s’en était allé à Paris ; que l’ab­bé Des­ge­nettes, le curé des Vic­toires, l’a­vait mis en rap­port avec le Père Liber­mann, qui fon­dait en ce moment même, pour l’a­pos­to­lat des noirs d’, la congré­ga­tion du Saint-Cœur-de-Marie, et qu’il allait entrer dans cette congré­ga­tion. Le pro­fes­seur de rhé­to­rique du sémi­naire, qui n’é­tait autre que l’ab­bé Pau­li­nier, futur arche­vêque de Besan­çon, ponc­tuait l’é­vé­ne­ment en don­nant comme sujet de devoir à ses élèves le com­men­taire de cette ligne de Cha­teau­briand : « La reli­gion chré­tienne a réa­li­sé dans les déserts de l’A­mé­rique ce que la fable nous raconte des Amphion et des Orphée. »

Pour se pré­pa­rer à de pareilles réa­li­sa­tions dans l’A­frique incon­nue, l’ab­bé Bes­sieux, en août 1842, entrait au novi­ciat de la Neu­ville, que, proche d’A­miens, Liber­mann venait de fon­der. Ils étaient treize, y com­pris Liber­mann : sept prêtres, trois diacres, un sous-diacre et deux mino­rés. L’in­di­gent logis que le leur ! On n’a­vait pas assez de chambres, pas assez de lits ; lorsque arri­va Bara­zer de Lan­nu­rien, qui sera, dix ans plus tard, le pre­mier supé­rieur du Sémi­naire fran­çais de Rome, Bes­sieux s’en alla cou­cher sous l’es­ca­lier, pour lui céder sa cel­lule. « Être misé­rable, disait Liber­mann, cela attire sur nous les regards du Christ. » Bes­sieux, blot­ti sous l’es­ca­lier, se sen­tait comme enve­lop­pé par l’œil du Maître.

Au bout de quelques mois, un Amé­ri­cain, deve­nu vicaire apos­to­lique des Deux-Gui­nées et de Sier­ra Leone, Mgr Bar­ron, frap­pait à la porte de Liber­mann, lui deman­dait des mis­sion­naires. « Pour nos fac­to­re­ries du , don­nez-nous des prêtres, » disait à son tour Mac­kau, le ministre de la marine du roi Louis-Phi­lippe. L’É­glise, l’É­tat avaient besoin, d’ur­gence, de ces novices de la Neu­ville. Liber­mann for­mait une équipe que le Père Bes­sieux était char­gé d’emmener.