Les lourds brodequins des légionnaires sonnent sur les dalles des rues. A la porte de la maison, des coups violents. Le jour se lève à peine sur Rome. « Ouvrez ! » Les soldats entrent, menaçants, glaive en main, prêts à frapper qui leur résisterait. Mais ceux qu’on vient arrêter ne résistent nullement. D’avance, ils ont accepté le sort qui les attend ; d’avance ils ont donné leur vie au Christ.
Ils ne le renieront pas. Emmenés devant un magistrat de l’Empire, ils lui tiendront tête sans trembler. On entendra à peu près ce dialogue :
— Es-tu chrétien ?
— Oui, je le suis.
— Acceptes-tu d’offrir un sacrifice aux dieux de Rome ?
— Je ne puis pas.
— Si tu refuses, tu mourras.
— Je refuse.
Ce dialogue, c’est par dizaines, par centaines qu’il s’est répété. Innombrables ont été les hommes, les femmes, les enfants, qui, en face des autorités impériales, ont proclamé fièrement leur foi dans le Christ Jésus et préféré mourir plutôt que de le trahir. C’est sans doute le chapitre le plus admirable de toute l’histoire de l’Église que celui que composent ces « Passions », ces récits sublimes du sacrifice accepté, désiré, par des générations de chrétiens, et nos ancêtres au Moyen Age, dans les pages de la Légende dorée, ont particulièrement aimé à entendre celles où cet héroïsme était glorifié. Les martyrs ne sont-ce pas les témoins du Christ ? —en grec, martyr veut dire témoin. Ne sont-ce pas les preuves vivantes que, pour des chrétiens, la fidélité aux promesses du baptême est plus importante que l’existence même ? De siècle en siècle on citera leurs noms, on répétera leur histoire, on les invoquera comme des intercesseurs auprès de Dieu.
Dans cette troupe glorieuse, ce n’est pas une des moindres causes d’admiration que de voir figurer de nombreux enfants. Aussi courageux que les grandes personnes, ils ont, comme leurs parents, fait preuve d’un héroïsme sans fissure en face des pires supplices. Et quels supplices ! Car, aux martyrs chrétiens, les Romains païens ont réservé des tortures à peine croyables. Vous représentez-vous ce que devait éprouver un garçon ou une fille de treize ou quatorze ans, à se sentir attaché à un poteau, enduit de poix et de résine, quand approchait la torche du bourreau qui allait l’allumer vivant ? Ou quand, sur le sable d’un amphithéâtre, le jeune martyr regardait sortir des grilles brusquement ouvertes une troupe de lions, de léopards ou d’ours qui se dirigeaient vers lui, affreusement affamés ? Que ces petits chrétiens, en dépit de l’horreur de cette situation, aient eu l’énergie de demeurer fidèles, voilà ce qui paraît éternellement admirable. Et sans aucun doute faut-il que le Christ lui-même ait, au moment de leur supplice, voulu leur donner de sa force, qu’il ait été invisiblement présent pour les aider, les assister…
* * *
Sainte Agnès est une de ces petites martyres enfants dont on aime à répéter la ravissante histoire. Elle avait treize ans. Elle était merveilleusement jolie, et plus même que jolie ; car la flamme douce de ses yeux, la perfection de son visage, l’élégance naturelle de son corps se complétaient d’un charme angélique, d’une transparence d’âme qui la rendaient unique parmi toutes ses compagnes. Son nom signifiait : « la très pure » et elle le méritait parfaitement.
Ses parents, étant de bonne noblesse et fort riches, lui firent donner une éducation digne de son rang, et elle se fit remarquer, dès son plus jeune âge, par l’aisance avec laquelle elle comprenait et apprenait tout. Mais, bien plus que les connaissances qu’on trouve dans les livres, ce qu’elle voulait par-dessus tout acquérir, c’étaient les vertus qui font les saints. Très souvent, elle s’absorbait, des heures durant, dans sa prière, elle demeurait plongée en une contemplation profonde, — ce qu’on nomme une extase,— où rien d’autre n’existait pour elle que son amour pour le Christ. Et, bien souvent, durant ces moments extraordinaires où sa jeune âme semblait quitter la terre et s’envoler droit au ciel, elle avait eu la certitude que Jésus lui-même était venu à elle, lui avait parlé, lui avait fait la promesse de l’accepter parmi ceux et celles qu’il s’est choisis, et que son amour répondait à l’amour qu’elle, la petite Agnès, lui avait si totalement donné.
Or, sur le chemin par où elle revenait de l’école, chaque jour, un adolescent la rencontrait. C’était un jeune païen, le fils du gouverneur de Rome, un beau garçon de dix-huit ou vingt ans, plein de force et d’ardeur. Agnès paraissait très au-dessus de son âge, et elle était si fière, si jolie, que le garçon en devint amoureux. Un jour donc, il se présenta à la demeure de ses parents et pria Agnès de l’accepter pour mari.
Moment difficile ! Répondre non au fils d’un si puissant personnage eût été bien dangereux. Dire qu’elle ne voulait pas épouser un païen, c’eût été se dénoncer soi-même comme chrétienne, c’est-à-dire se livrer aux bêtes fauves, elle et ses parents. Très habilement, elle répondit au garçon qu’il arrivait trop tard, qu’elle en aimait un autre, et qu’elle avait juré de n’épouser que celui-là. Fort déçu, il s’en alla.
Mais bientôt il revint à la charge et vanta à Agnès toutes les magnifiques richesses qu’il mettait à sa disposition si elle acceptait de devenir sa femme : plusieurs palais, des terres immenses, des esclaves par milliers, des bijoux, des trésors. Mais elle, en souriant, répondait : « Celui que j’aime est encore bien plus riche ! Il possède la terre entière ; comme serviteurs il a tous les hommes qu’il lui plaît d’avoir ; ses palais se dresseront bientôt dans toutes les villes du monde ; et les trésors, les bijoux qu’il me donne sont si rares que nul ne peut les voler ! » Et le garçon fut encore plus surpris.
Mais il s’obstinait à vouloir Agnès pour femme. Et sa déception devenant fureur, un jour qu’il la rencontra dans un jardin désert, il se jeta sur la jeune fille comme une brute. Mais l’ange qui veillait très spécialement sur elle intervint, invisible, et du coup, le violent tomba sur le sol, raide mort. En le voyant ainsi inanimé, Agnès eut pitié de lui ; en bonne chrétienne, elle ne lui en voulait pas de sa conduite. Elle adressa au Christ une fervente prière, et à la minute même, le garçon se releva…
Geste de pitié, de charité : hélas, on ne devait pas en tenir reconnaissance à la douce fillette chrétienne ! Le bruit courut bien vite que c’était par le nom du Christ qu’Agnès avait ressuscité son agresseur. Et le gouverneur ordonna de la faire arrêter.
* * *
Quand on vint la saisir dans la maison paternelle, Agnès, comme bien souvent, priait, et à l’instant même où les gardes frappaient au seuil, elle crut entendre les portes du Paradis s’ouvrir, grandes, pour l’accueillir. Et son courage en fut encore décuplé. Elle suivit, sans faire la moindre résistance, les licteurs qui l’emmenèrent devant le magistrat chargé de juger les chrétiens.
— Pourquoi n’est-elle pas enchaînée, selon la loi ? s’écria celui-ci avec colère.
— Ce n’était pas nécessaire, répondit le centurion qui commandait les gardes. Elle est venue sans aucune contrainte, et puis, elle est si jeune !
— La loi est la loi, répliqua le magistrat. Mettez-lui les menottes ! Car je vois bien qu’elle est aussi retorse, aussi obstinée que tous les autres chrétiens !
Un soldat passa alors les menottes d’acier aux poignets de la petite fille. Mais elle sourit, secoua les mains, et les fers tombèrent d’eux-mêmes. Y avait-il besoin d’un interrogatoire ? Est-ce que tout cela ne prouvait pas qu’on avait affaire à une magicienne, à une de ces dangereuses chrétiennes dont on racontait que, par leurs sortilèges, elles pouvaient, à volonté, tuer des vivants et ressusciter des morts ! Eh bien, puisqu’on la nommait « la très pure », on verrait bien !
Et le magistrat ordonna de jeter Agnès dans une affreuse taverne, une sorte de brasserie mal famée où fréquentaient les esclaves, les soldats, les gladiateurs, où les hommes ivres ne parlaient que de choses affreuses, où la mauvaise conduite était générale. Mais, au moment où elle arrivait en ce triste lieu, que vit-on à côté d’elle ? Un lion ! Un terrible lion qui l’accompagnait comme un gros chien, la tête contre les mains de la fillette, mais relevant les babines et montrant ses crocs dès qu’un homme faisait mine de s’approcher d’elle… Si bien qu’un vaste cercle se fit autour d’Agnès, à bonne distance, et qu’elle put, en toute tranquillité, reprendre ses prières et chanter à la gloire de Dieu.
La colère du magistrat grandit encore. Ne viendrait-on pas à bout de cette sorcière ? Il fit dresser un bûcher énorme sur une des places de Rome, et convoqua une foule pour venir assister à ce beau spectacle : la petite chrétienne brûlant vive ! Et des quantités de badauds accoururent et il y en eut qui s’entassèrent aux fenêtres des maisons voisines. Les bourreaux mirent le feu au bûcher. Mais… nouveau miracle ! au lieu de dévorer la martyre, les flammes se rabattirent violemment, à droite et à gauche, comme si un vent violent les avait poussées ; elles vinrent toucher les premiers rangs des assistants dont les habits commencèrent à grésiller et qui s’enfuirent en panique. Immobile et calme au milieu de ce tapage, Agnès récitait ses Ave Maria.
Il fallait en finir ! Et le magistrat ordonna qu’elle eût la tête tranchée. Évidemment, il eût été facile à la petite Sainte de demander au Christ un nouveau miracle, et le glaive du bourreau fût tombé de ses mains, ou bien le bourreau lui-même serait mort de saisissement. Mais elle avait désormais un seul désir : retrouver au ciel celui qu’elle aimait, Jésus, son seul mari. Sans le moindre trouble, elle se dirigea vers le lieu choisi pour son supplice. Elle s’agenouilla, leva les yeux au ciel et fit à voix haute une dernière prière, puis elle inclina la tête, de ses propres mains releva sa longue chevelure qui retomba, par devant, jusqu’à terre, et tendit le cou au bourreau. « Fais ton devoir, bourreau ! Tu tardes trop ! » cria le magistrat, furieux de ce calme, et l’on entendit la voix douce d’Agnès répéter : « Oui, bourreau, fais ton devoir ! Tu tardes trop ! » Quelques secondes après, sa blanche robe de petite fille était colorée de rouge sombre et l’Église comptait une martyre de plus.
* * *
Magnifique histoire, pleine de foi et de poésie… Mais elle fut complétée par d’autres incidents extrêmement beaux eux aussi. Agnès avait une compagne, nommée Emerantienne, qu’elle aimait tendrement, mais qu’elle n’avait pas encore réussi à amener au baptême. Elle était bien, déjà, catéchumène, c’est-à-dire qu’elle étudiait la religion chrétienne, mais elle ne s’était pas encore décidée à demander l’Eau Sainte. En apprenant la mort de son amie, Emerantienne se précipita au cimetière, un jour où il y avait beaucoup de monde ; elle s’écria qu’elle était elle aussi chrétienne et elle se mit à reprocher aux païens de commettre des crimes aussi affreux que de torturer une si pure enfant. Alors, la foule, irritée, se saisit d’elle, la jeta à terre et la lapida, c’est-à-dire l’abattit à coups de pierres. Une nouvelle martyre encore était née au ciel !
Admirez là la puissance de l’exemple ! Un écrivain chrétien de cette époque a dit cette phrase profonde : « le sang des martyrs fut la semence des chrétiens… » En mourant avec cet héroïsme tranquille, les martyrs exaltèrent la foi, le courage, le désir de sacrifice de leurs frères. Ils démontrèrent aux païens que nulle force au monde ne viendrait à bout de leur fermeté. Leur sang fut bien comme le grain qui, mis en terre, porte des moissons dix fois plus grandes : à mesure même que l’Empire romain multipliait les persécutions, le nombre des chrétiens augmentait et bientôt il deviendra si considérable qu’il ne sera plus possible de les tuer tous…
Sur le tombeau des martyrs, les fidèles vinrent prier, en les implorant pour qu’ils intercèdent en leur faveur auprès de Dieu Tout-Puissant. Un jour que les parents d’Agnès étaient à genoux devant la tombe de leur enfant, le ciel leur parut s’ouvrir ; une troupe magnifique de jeunes filles s’avança vers eux, vêtues d’habits si beaux qu’on n’en avait jamais vu de semblables sur la terre, et, parmi elles, Agnès se tenait, souriante, ayant à côté d’elle un petit agneau d’une blancheur merveilleuse, — sans doute en souvenir de la célèbre phrase de l’Évangile où le Christ a dit : « Je suis l’Agneau de Dieu. » Et c’est en mémoire de cette apparition que, le jour de la fête de sainte Agnès, encore aujourd’hui, le Pape bénit deux petits agneaux parfaitement blancs, qui, ensuite, sont conduits dans un couvent, où les religieux, avec leur laine, filent et tissent l’écharpe spéciale que portent les archevêques, le pallium.
Une autre fois, Constance, une jeune princesse, qui souffrait gravement de la terrible maladie de la lèpre, vint supplier Agnès, sur son tombeau, de lui faire rendre la santé. La petite martyre lui apparut et lui dit : « Cette maladie est le châtiment de ta mauvaise conduite. Quand tu ne commettras plus de péchés, quand tu seras redevenue pure comme je l’ai été, tu seras guérie… » Constance comprit la leçon : elle obéit et réforma ses actions. Devenue excellente chrétienne, elle ordonna de fonder une église qui fût consacrée à sainte Agnès, à l’emplacement même où, à Rome, on en voit une encore, très ancienne et fort belle, qui porte ce nom.
Au siècle suivant, à Milan, un très grand archevêque, saint Ambroise, un des plus savants penseurs de l’Église en ce temps, voulant apprendre à ses fidèles combien la pureté est chose belle, écrivit avec tendresse l’histoire merveilleuse d’Agnès, la petite martyre chrétienne ; et c’est d’après ce qu’il en a rapporté, qu’à mon tour, je vous l’ai racontée.
Grand merci pour ce magnifique récit :
Sainte Agnès périt décapitée ! comme le malheureux Louis XVI assassiné il y a exactement 219 ans aujourd’hui !
Martyre du paganisme ! – Martyr de la Franc-Maçonnerie, c’est à dire également du paganisme le plus sectaire !
Demandons à ces Saintes personnes d’intercéder auprès de Dieu pour le salut de la France qui est encore plus corrompue que la Rome du Bas-Empire !
Bonjour,
Je viens de découvrir votre site qui est formidable. Je ne connaissais pas l’histoire de Sainte Agnès, quelle foi !
Merci.
Sainte Agnès est une petite sainte par son âge mais une grande sainte par sa foi et son courage.
Waaah ! Je ne connaissais pas cette si belle histoire ! Elle me redonne du courage et un peu plus de foi !
Bravooo très belle histoire plus complète que toutes celles que j’ai lu avant. Heureuse d’avoir tout le détail de la vie de la ste patronne.
Ste Agnès priez pour nous.
20/01/19
Sainte Agnès priez pour nous et pour la communauté des amis de Sainte Agnès au cameroun. Merci pour cette belle histoire de notre Sainte patronne.
J’admire le courage mais surtout la foi de tous ces martyrs et je prie pour qu’ils intercedent pour nous qui sommes de pauvres pécheurs
tres beau
Glorieux Jésus,
Jetez un regard de miséricorde sur nos jeunes adolescents d’aujourd’hui.
Ste Vierge et Admirable Agnès.
Priez pour l’église de Jésus et les religieux et religieuses.
Que ta terre natale soit bénie.
Que l’église De Jésus Christ soit élevé par ta Grande Foi.
Dieu est Dieu.
Je suis émerveillée par la puissance de Dieu,
Lorsque tes ennemis te dépouillent de tes vêtements comme le Christ,
Dieu fait pousser tes cheveux pour couvrir ton corps.
Merci Seigneur Jésus pour la Prière d’Agnès qui ressuscite son bourreau.
Merci Seigneur Jésus pour les Anges qui couvrent le corps d’Agnès sur la route de la prison.
Merci Seigneur Jésus pour le corps d’Agnès que tu épargnes des flammes.
Ste Vierge Agnès prier pour nous.
Amen.