Les trois oiseaux de boue

Auteur : Tharaud, Jérôme et Jean | Ouvrage : Les contes de la Vierge .

Temps de lec­ture : 4 minutes

Lac de Tibériade - monument en forme de harpeEn ce temps-là, le lac de ne por­tait pas ce nom. Ce ne fut que quelque temps après ce que je vais vous racon­ter, que le fils du cruel Hérode édi­fia sur ses bords la cité qu’il bap­ti­sa Tibé­riade, pour faire sa cour à l’Em­pe­reur. Le beau lac s’ap­pe­lait Kin­ne­reth, ce qui veut dire la Harpe, parce que ses contours har­mo­nieux offrent exac­te­ment la forme de cet ins­tru­ment de musique si cher au roi David.

Ce jour-là, un gros orage venait d’é­cla­ter sur la mon­tagne. Avec la fin du jour le vent empor­tait les der­nières nuées, le lac avait repris son calme, et les nom­breux oiseaux qui le hantent, cor­mo­rans, péli­cans, mouettes, alcyons, mar­tins-pêcheurs avaient recom­men­cé de plus belle leurs vols et leurs cris.

Dans le vil­lage de Naza­reth, trois enfants patau­geaient dans la boue du che­min, fort occu­pés à dres­ser un bar­rage pour rete­nir l’eau des ornières. Puis, ayant façon­né un lac pareil à celui de Kin­ne­reth, ils se mirent dans la tête de le peu­pler, lui aus­si, d’oi­seaux – d’oi­seaux de boue, s’entend.

L’un fit quelque chose d’in­forme, qui avait, je crois, la pré­ten­tion de res­sem­bler à ces beaux cor­mo­rans qui ont de grandes ailes pour accou­rir de loin et don­ner la chasse aux pois­sons. cormoran en terre cuiteL’autre pre­nait beau­coup de mal pour trans­for­mer sa boue en péli­can et main­te­nir en équi­libre l’é­norme tête et la besace sus­pen­due à son cou. Le troi­sième pétris­sait de ses petites mains une mouette posée sur la rive.

Cepen­dant, la nuit était venue. Déjà la lune se mon­trait et les pre­mières lumières s’al­lu­maient dans le vil­lage. Indif­fé­rents à cette obs­cu­ri­té qui tom­bait autour d’eux, les enfants ne s’ar­rê­taient pas de pour­suivre leurs tra­vaux fra­giles. Mais tout à coup, d’une mai­son, on enten­dit une voix qui criait :

– Luc !

Luc, qui pour la dixième fois essayait de faire tenir, sur le bâton qui lui ser­vait de cou, le bec de son cor­mo­ran, était trop pris par sa besogne pour répondre à l’appel.

– Luc ! Luc ! répé­ta la voix.

Luc ne bou­gea pas davan­tage. Il fal­lut qu’une fois encore sa mère le rap­pe­lât. Et cette fois enfin, de fort mau­vaise humeur, il se déci­da à quit­ter son pauvre cor­mo­ran qui, dès qu’il fut par­ti, s’é­crou­la et du coup ces­sa d’être un cor­mo­ran, même de boue.

– Marc ! cria, bien­tôt après, une autre voix dans le crépuscule.

Or, juste à ce moment, le péli­can de Marc venait de s’ef­fon­drer à son tour.

– J’ar­rive, j’ar­rive ! répon­dit-il. Mais il ne bou­gea pas, tâchant de répa­rer hâti­ve­ment la catastrophe.

– Marc ! Marc ! reprit la voix impa­tiente et deve­nue presque revêche.

Et lui aus­si, il fal­lut que sa mère l’ap­pe­lât une troi­sième fois. Et cette fois Marc obéit, non sans avoir, dans sa , envoyé d’un coup de pied son chef-d’œuvre dans l’eau.

Sainte Famille, Jésus enfant à Nazareth

Il n’y avait plus au bord de la petite mare éclai­rée par la lune que le troi­sième enfant, qui lis­sait sa mouette d’argile.

envol de la mouette– Jésus ! appe­la une femme sur le seuil de sa porte.

La voix très douce emplit la nuit, comme aurait fait un parfum.

Aus­si­tôt l’en­fant se leva, lais­sant là sa mouette de boue.

Et la mouette de boue s’envola.

Jérôme et Jean THARAUD,
Les contes de la Vierge,
Plon, 1940.

Coloriage pêche miraculeuse au Lac de Tiberiade
Colo­riage – pêche mira­cu­leuse au Lac de Tiberiade

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