Le cantique de la colline

Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

Temps de lec­ture : 8 minutes

, porte ouverte sur la mer et sur le monde, avec ses navires sans cesse entrant et sor­tant par ses huit bas­sins. Mar­seille, reine de Pro­vence, avec la traîne royale de sa mer d’a­zur et sa cou­ronne de col­lines bleues et mauves que sur­monte, comme un joyau d’or pur, -de-la-Garde.

Avec quel trans­port de joie marins et pas­sa­gers la saluent, lors­qu’elle appa­raît, de loin, au vais­seau qui rentre au port, après une longue et dif­fi­cile traversée ? 

Quel long regard ému pose sur Elle ceux qui partent, angois­sés devant la route invi­sible qui s’ouvre devant eux. 

Notre-Dame-de-la-Garde ! Elle veille, là-haut, de son obser­va­toire, sur les vais­seaux qui s’en vont par les routes de mer, che­mi­nées fumantes, pavillons au vent. Elle veille sur Mar­seille, la grande ville affai­rée et grouillante à ses pieds. Elle est la Gar­dienne et la Reine de la cité, Celle que tous invoquent sous le doux nom de Bonne Mère. « Étoile bien­fai­sante qui dirige le nau­ton­nier au milieu des écueils ; Phare brillant qui montre le rivage tran­quille au milieu des tem­pêtes ; Vigie infa­ti­gable ; Port tou­jours ouvert, Guide assu­ré des mis­sion­naires, la pre­mière pour bénir l’ar­ri­vée, la der­nière pour le départ. Elle qui porte dans ses bras Celui qui com­mande aux vents et aux flots irri­tés. » [1]

La pre­mière à l’ar­ri­vée. À elle notre pre­mière visite. Elle nous attend, là-haut, sur sa col­line. Pre­nons les modernes « ascen­seurs ». En quelques minutes, ils nous portent au pied du grand esca­lier. Mon­tons les marches en pèle­rins, égre­nant notre cha­pe­let. Des gens nous croisent, les uns mon­tant, les autres des­cen­dant. Gens de toutes sortes : prêtres, reli­gieux, reli­gieuses, ouvriers, mères, enfants, jeunes gens, jeunes filles. 

À mesure que nous mon­tons, se découvre à nos yeux la splen­dide demeure de la Sou­ve­raine du Ciel. Toute en pierre blanche, rehaus­sée de pierre de Flo­rence bleu pâle et bleu vert, ornée de colonnes en marbre des Alpes, elle se détache mer­veilleu­se­ment sur le Ciel. Le dôme de la cou­pole dresse sa croix dorée dans l’es­pace, tan­dis que la tour car­rée s’é­lance, pleine de grâce, avec ses bal­cons ajou­rés. Au-des­sus, à tra­vers les baies à colonnes de gra­nit rouge, le gros bour­don repose. Tout en haut, en plein ciel, droite sur son pié­des­tal, la Vierge dorée, la Mère qui porte son Enfant, les deux petites mains levées dans un geste de béné­dic­tion. Aux pieds de Marie, quatre anges, les ailes entr’ou­vertes, embouchent leurs trom­pettes pour jeter aux quatre coins du ciel les louanges de leur Reine. 

Pas­sons le porche, où vous pou­vez lire en lettres d’or « Felix Por­ta Coe­li » Heu­reuse Porte du Ciel. Une seule nef, où pénètre une lumière douce par les fenêtres en plein cintre, gar­nies de vitraux en grisaille. 

Sur le fond de mosaïques pré­cieuses, se détache la niche de bronze doré, fine­ment cise­lé, sous laquelle trône la sta­tue d’argent. La Vierge est grave, l’air son­geur. Elle porte sur son bras gauche l’En­fant qu’elle sou­tient ten­dre­ment de sa main droite. Légè­re­ment pen­ché, il étend ses petits bras dans un geste gracieux. 

De tout notre cœur, enfants, chan­tons le vieux can­tique à Notre-Dame-de-la-Garde.

Sainte Patronne, ô Vierge de la Garde, 
Nous accourons vous prier à genoux ; 
Nous nous mettons sous votre sauvegarde, 
Priez pour nous, ô Bonne Mère, priez pour nous. 
Dans ce temple superbe où de votre puissance 
Les murs eux-mêmes font un récit éloquent, 
Nous venons vous prier pour Marseille et la France, 
Pour l'auguste Vieillard, captif au Vatican. 
Sainte Patronne, ô Vierge de la Garde…

Le cantique des matelots

JACQUES. — Toute une flot­tille de petits navires sus­pen­dus à la voûte ! 

— Ce sont les des marins. Ils disent à la Bonne Mère, ces navires, le mer­ci de ceux qu’elle a pro­té­gés dans les tem­pêtes. Voyez : les murs aus­si sont tapis­sés d’ex-voto : offrandes du riche, humbles dons du pauvre, éga­le­ment chers à Marie. 

Par­mi ces ex-voto, voi­ci le médaillon offert par la reine et le roi d’An­gle­terre, Edouard VII. Ce mor­ceau de roche, là, enca­dré de ver­meil, a toute une histoire. 

Ex-voto des marins et des Marseillais à Notre-Dame de la Garde

C’é­tait un de ces magni­fiques paque­bots tra­ver­sant la Médi­ter­ra­née, pour se rendre à Alger. Près des côtes d’A­frique, le capi­taine res­sent une brusque secousse ; il a com­pris : le navire a tou­ché un écueil, il va sombrer. 

Sans don­ner l’a­larme aux pas­sa­gers, le capi­taine, très calme, réunit son équi­page. Tous les marins tombent à genoux et pro­mettent à Notre-Dame-de-la-Garde de mon­ter à sa cha­pelle, pieds nus et un cierge à la main. 

Par un pro­dige incroyable, le paque­bot, au lieu de cou­ler, se relève len­te­ment et arrive heu­reu­se­ment au port. Là, on l’exa­mine : on découvre un énorme trou dans son flan, à l’en­droit où il avait heur­té le rocher ; mais ! ô mer­veille, la pointe de l’é­cueil s’é­tait bri­sé et était res­tée dans l’ou­ver­ture, la bou­chant com­plè­te­ment et sau­vant ain­si le navire. C’est ce quar­tier de roche que nous voyons ici, en ex-voto.

Que de marins sont mon­tés ain­si par les durs sen­tiers de la col­line « nu-pieds, un cierge à la main », disant dévo­te­ment le chapelet ! 

Et que de cor­tèges magni­fiques aux Fêtes-Dieu d’au­tre­fois ! Ces jours-là, la Vierge de la Garde des­cen­dait à la ville, dans sa mai­son, où elle rece­vait son Fils, dans le Saint-Sacre­ment. Le soir, on la remon­tait chez elle, avec les plus grands hon­neurs. Tout le long du par­cours, des enfants venaient lui offrir des fleurs et lui réci­ter un naïf compliment. 

Ima­gi­nez cette foule, ser­pen­tant sur la col­line, au chant aérien des cloches sou­te­nu par la voix grave du bour­don, au son des tam­bou­rins, des cym­bales et des flûtes, dans le fré­mis­se­ment, des ban­nières cha­toyantes, au milieu des accla­ma­tions et des can­tiques, sous le ciel d’a­zur, dans l’é­blouis­se­ment du soleil d’été.

Et s’en­le­vant sur l’a­zur, la sta­tue de la Bonne Mère, por­tée sur des épaules robustes, balan­cée au rythme de la marche, comme une barque sur les vagues. C’é­tait un spec­tacle inoubliable. 

Ces grandes pro­ces­sions ne sont plus qu’un sou­ve­nir. Mais tou­jours les Mar­seillais honorent la Bonne Mère, comme leurs pères l’ho­no­raient dès l’aube du chris­tia­nisme. Lorsque les amis du Christ débar­quèrent sur le rivage de Pro­vence, « leur pre­mier autel, pétri avec les allu­vions du Rhône, fut, dit-on, consa­cré à la Mère de Jésus, encore vivante sur cette terre ». Du splen­dide sanc­tuaire la pre­mière pierre ne fut posée qu’en 1853, mais depuis long­temps déjà, les pèle­rins mon­taient à l’humble cha­pelle du fort. 

Notre-Dame-de-la-Garde est sur­tout la Bonne Mère aimée des marins qui ne saluent jamais sans émo­tion son image d’or, dres­sée en plein azur. Avec quelle fer­veur leurs rudes voix mâles chantent le vieux can­tique des matelots.

Vierge Sainte, exaucez-nous, 
Notre espoir est tout en vous. 
Chère Dame de la Garde, 
Très digne Mère de Dieu,
Soyez notre sauvegarde 
Pour nous défendre en tout lieu. 
Conservez-nous l'artimon, 
La boussole et le timon ;
Lorsque nous courons fortune 
Au gré des vents et des flots, 
Tendez la main, belle lune, 
Aux besoins de vos dévots. 
Ne nous permettez jamais
De rompre avec nous la paix. 
Chassez loin, douce Marie, 
De tribord et de bâbord 
Le trouble et la crierie 
En nous tenant bien d'accord.
  1. [1] Lita­nies de Notre-Dame-de-la-Garde.

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