Marseille, porte ouverte sur la mer et sur le monde, avec ses navires sans cesse entrant et sortant par ses huit bassins. Marseille, reine de Provence, avec la traîne royale de sa mer d’azur et sa couronne de collines bleues et mauves que surmonte, comme un joyau d’or pur, Notre-Dame-de-la-Garde.
Avec quel transport de joie marins et passagers la saluent, lorsqu’elle apparaît, de loin, au vaisseau qui rentre au port, après une longue et difficile traversée ?
Quel long regard ému pose sur Elle ceux qui partent, angoissés devant la route invisible qui s’ouvre devant eux.
Notre-Dame-de-la-Garde ! Elle veille, là-haut, de son observatoire, sur les vaisseaux qui s’en vont par les routes de mer, cheminées fumantes, pavillons au vent. Elle veille sur Marseille, la grande ville affairée et grouillante à ses pieds. Elle est la Gardienne et la Reine de la cité, Celle que tous invoquent sous le doux nom de Bonne Mère. « Étoile bienfaisante qui dirige le nautonnier au milieu des écueils ; Phare brillant qui montre le rivage tranquille au milieu des tempêtes ; Vigie infatigable ; Port toujours ouvert, Guide assuré des missionnaires, la première pour bénir l’arrivée, la dernière pour le départ. Elle qui porte dans ses bras Celui qui commande aux vents et aux flots irrités. » [1]
La première à l’arrivée. À elle notre première visite. Elle nous attend, là-haut, sur sa colline. Prenons les modernes « ascenseurs ». En quelques minutes, ils nous portent au pied du grand escalier. Montons les marches en pèlerins, égrenant notre chapelet. Des gens nous croisent, les uns montant, les autres descendant. Gens de toutes sortes : prêtres, religieux, religieuses, ouvriers, mères, enfants, jeunes gens, jeunes filles.
À mesure que nous montons, se découvre à nos yeux la splendide demeure de la Souveraine du Ciel. Toute en pierre blanche, rehaussée de pierre de Florence bleu pâle et bleu vert, ornée de colonnes en marbre des Alpes, elle se détache merveilleusement sur le Ciel. Le dôme de la coupole dresse sa croix dorée dans l’espace, tandis que la tour carrée s’élance, pleine de grâce, avec ses balcons ajourés. Au-dessus, à travers les baies à colonnes de granit rouge, le gros bourdon repose. Tout en haut, en plein ciel, droite sur son piédestal, la Vierge dorée, la Mère qui porte son Enfant, les deux petites mains levées dans un geste de bénédiction. Aux pieds de Marie, quatre anges, les ailes entr’ouvertes, embouchent leurs trompettes pour jeter aux quatre coins du ciel les louanges de leur Reine.
Passons le porche, où vous pouvez lire en lettres d’or « Felix Porta Coeli » Heureuse Porte du Ciel. Une seule nef, où pénètre une lumière douce par les fenêtres en plein cintre, garnies de vitraux en grisaille.
Sur le fond de mosaïques précieuses, se détache la niche de bronze doré, finement ciselé, sous laquelle trône la statue d’argent. La Vierge est grave, l’air songeur. Elle porte sur son bras gauche l’Enfant qu’elle soutient tendrement de sa main droite. Légèrement penché, il étend ses petits bras dans un geste gracieux.
De tout notre cœur, enfants, chantons le vieux cantique à Notre-Dame-de-la-Garde.
Sainte Patronne, ô Vierge de la Garde, Nous accourons vous prier à genoux ; Nous nous mettons sous votre sauvegarde, Priez pour nous, ô Bonne Mère, priez pour nous. Dans ce temple superbe où de votre puissance Les murs eux-mêmes font un récit éloquent, Nous venons vous prier pour Marseille et la France, Pour l'auguste Vieillard, captif au Vatican. Sainte Patronne, ô Vierge de la Garde…
Le cantique des matelots
JACQUES. — Toute une flottille de petits navires suspendus à la voûte !
— Ce sont les ex-voto des marins. Ils disent à la Bonne Mère, ces navires, le merci de ceux qu’elle a protégés dans les tempêtes. Voyez : les murs aussi sont tapissés d’ex-voto : offrandes du riche, humbles dons du pauvre, également chers à Marie.
Parmi ces ex-voto, voici le médaillon offert par la reine et le roi d’Angleterre, Edouard VII. Ce morceau de roche, là, encadré de vermeil, a toute une histoire.
C’était un de ces magnifiques paquebots traversant la Méditerranée, pour se rendre à Alger. Près des côtes d’Afrique, le capitaine ressent une brusque secousse ; il a compris : le navire a touché un écueil, il va sombrer.
Sans donner l’alarme aux passagers, le capitaine, très calme, réunit son équipage. Tous les marins tombent à genoux et promettent à Notre-Dame-de-la-Garde de monter à sa chapelle, pieds nus et un cierge à la main.
Par un prodige incroyable, le paquebot, au lieu de couler, se relève lentement et arrive heureusement au port. Là, on l’examine : on découvre un énorme trou dans son flan, à l’endroit où il avait heurté le rocher ; mais ! ô merveille, la pointe de l’écueil s’était brisé et était restée dans l’ouverture, la bouchant complètement et sauvant ainsi le navire. C’est ce quartier de roche que nous voyons ici, en ex-voto.
Que de marins sont montés ainsi par les durs sentiers de la colline « nu-pieds, un cierge à la main », disant dévotement le chapelet !
Et que de cortèges magnifiques aux Fêtes-Dieu d’autrefois ! Ces jours-là, la Vierge de la Garde descendait à la ville, dans sa maison, où elle recevait son Fils, dans le Saint-Sacrement. Le soir, on la remontait chez elle, avec les plus grands honneurs. Tout le long du parcours, des enfants venaient lui offrir des fleurs et lui réciter un naïf compliment.
Imaginez cette foule, serpentant sur la colline, au chant aérien des cloches soutenu par la voix grave du bourdon, au son des tambourins, des cymbales et des flûtes, dans le frémissement, des bannières chatoyantes, au milieu des acclamations et des cantiques, sous le ciel d’azur, dans l’éblouissement du soleil d’été.
Et s’enlevant sur l’azur, la statue de la Bonne Mère, portée sur des épaules robustes, balancée au rythme de la marche, comme une barque sur les vagues. C’était un spectacle inoubliable.
Ces grandes processions ne sont plus qu’un souvenir. Mais toujours les Marseillais honorent la Bonne Mère, comme leurs pères l’honoraient dès l’aube du christianisme. Lorsque les amis du Christ débarquèrent sur le rivage de Provence, « leur premier autel, pétri avec les alluvions du Rhône, fut, dit-on, consacré à la Mère de Jésus, encore vivante sur cette terre ». Du splendide sanctuaire la première pierre ne fut posée qu’en 1853, mais depuis longtemps déjà, les pèlerins montaient à l’humble chapelle du fort.
Notre-Dame-de-la-Garde est surtout la Bonne Mère aimée des marins qui ne saluent jamais sans émotion son image d’or, dressée en plein azur. Avec quelle ferveur leurs rudes voix mâles chantent le vieux cantique des matelots.
Vierge Sainte, exaucez-nous, Notre espoir est tout en vous. Chère Dame de la Garde, Très digne Mère de Dieu,
Soyez notre sauvegarde Pour nous défendre en tout lieu. Conservez-nous l'artimon, La boussole et le timon ;
Lorsque nous courons fortune Au gré des vents et des flots, Tendez la main, belle lune, Aux besoins de vos dévots. Ne nous permettez jamais
De rompre avec nous la paix. Chassez loin, douce Marie, De tribord et de bâbord Le trouble et la crierie En nous tenant bien d'accord.
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- [1] Litanies de Notre-Dame-de-la-Garde.↩
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