ANT bien que mal, la sainte Famille s’installa dans la grotte. Les bergers les aidèrent en apportant quelque mobilier rudimentaire, suffisant pour faire le ménage, laver les langes et préparer les repas.
Joseph avait été s’inscrire dans la liste des descendants de David, son ancêtre, et attendait avec impatience que Jésus eût quelques jours de plus pour rentrer à Nazareth et retrouver son commerce.
La température était douce. Le soir seulement, le froid pinçait ; heureusement, l’âne, de sa grosse chaleur animale, réchauffait la petite grotte. Vraiment, personne ne pouvait se plaindre. D’ailleurs quand le Bon Dieu est avec nous, que peut-il nous manquer encore ?
C’était vers la fin de la journée. Elle avait été très belle, très claire et pas trop chaude. Sur le ciel bleu, le soleil déjà bas avait un bon rire d’or et safranait la campagne.
Marie et Joseph, assis à l’entrée de la grotte, goûtaient la paix du soir et contemplaient Jésus, endormi en suçant son pouce. Un grand vol de pigeons, tournoyant autour de la grotte, lui traçait une auréole mouvante et soyeuse. Soudain, l’âne, qui paissait paisiblement, dressa d’abord l’oreille, puis la queue, puis, tremblant, s’arc-bouta sur les quatre pattes. Les pigeons élargirent leur ronde et se déployèrent en une large roue au-dessus du chemin creux dont le fossé borde l’étable.
« Que se passe-t-il ? » demanda Joseph à Marie.
« Je ne sais, dit la sainte Vierge. N’entends-tu pas du bruit ? »
Joseph tendit l’oreille. En effet, d’indistincts murmures bruissaient dans la plaine et, bientôt, un nuage de poussière courut sur la route. Dans la nuée étincelèrent tout à coup deux petits chevaux pies, flanqués de cavaliers jaunes et bleus.
Immédiatement, Marie craint pour l’enfant. Rapidement, elle saisit Jésus et l’emporte. Joseph est debout et n’a pas assez de ses deux yeux pour voir se dérouler le cortège. Voici dix chameaux de poil fauve, bien reluisants, avec des coffres lourds aux ferrures cuivrées, accrochés à leurs flancs. Voilà trois dromadaires, d’un blanc d’ivoire, dont la bosse est recouverte d’une riche étoffe violette sur laquelle sont assis, droits et majestueux, de superbes personnages dont deux ont, pour le moins, une étrange figure. L’un est noir, avec des lèvres rouges. L’autre est jaune comme un citron, avec des petits yeux plissés et une figure toute chiffonnée. Joseph a bien le temps de les examiner, car ces trois-là avancent très lentement.
Mais ce n’est pas tout. Pour terminer le cortège, soutenue par un ange, une étoile éclipse le soleil et va se poser au-dessus de la grotte. Elle est si claire que ses rayons, perçant les parois, jettent à l’intérieur une douce lumière dont un reflet coule par l’ouverture. Joseph demeure interloqué. Que vient donc faire dans son pauvre abri cette brillante cavalcade ? Car c’est bien devant la grotte qu’elle s’arrête. Les esclaves portent des tapis sous les pieds des dromadaires qui s’agenouillent. Solennels, les trois grands personnages en descendent. Joseph n’a jamais vu des hommes aussi richement vêtus. Le premier porte une couronne d’or éblouissante à la lumière de l’étoile. Le second, précieusement, serre sur son cœur un coffret de laque, et sa noire figure et ses mains basanées tranchent vigoureusement sur ses vêtements de soie neigeuse. En passant, il fait à Joseph un large sourire (le premier à peine a salué !) : et l’on eût dit la brusque ouverture d’un clavier de piano. Le troisième semble être plus âgé, car sa descente de dromadaire rencontre de grosses difficultés. Petit et jaune, vêtu d’une robe vert clair avec de larges bandes pourpres, il est coiffé d’un immense chapeau en pain de sucre où des milliers de clochettes tintinnabulent. De ses yeux bridés et malins, il fait un clin d’œil à Joseph et se dépêche de rejoindre ses compagnons.