Épiphanie
Sa maigre figure de petite fille misérable collée aux barreaux de la grille en bois doré, Azia suit de ses yeux tristes, un peu bridés, le remue-ménage insolite du palais royal. Par toutes les portes, des serviteurs vont, viennent, courent, s’appellent ; dans la cour, d’autres apportent des coffres bardés de fer et des ballots d’étoffes précieuses ; aux écuries, on harnache le dromadaire blanc du roi Melchior et les chameaux de sa suite.
Ça ne l’intéresse pas tellement, Azia… mais ça lui passe le temps. Ses journées sont si longues, si longues, depuis qu’elle est toute seule en la grand-ville, pauvrette abandonnée ! Elle était heureuse, voila quelques mois, dans la jolie maison rose aux tentures de soie, pleine de fleurs odorantes et toute chaude de la tendresse d’un papa et d’une maman. Mais une horde venue de l’Occident a détruit la maison rose et emmené captifs le papa et la maman qui faisaient tout son bonheur de petite fille. Où sont-ils à présent ? Quelque marchand d’esclaves les aura achetés au chef barbare, et revendus Dieu sait où… La pauvre petite Azia ne les reverra jamais. Des larmes perlent à ses yeux, et son petit visage ravagé se contracte à cette affreuse pensée.
Mais soudain, les cymbales et les harpes d’or la tirent de sa douloureuse rêverie. Tandis qu’elle revivait les heures terribles, un cortège s’est formé dans la cour du palais : les chameaux sont chargés, et la tente de pourpre sur le dromadaire blanc attend le roi qui s’avance en grand apparat.
« Adieu, mes amis, dit gravement celui-ci lorsque, sur un signe de lui, les instruments de musique se sont tus ; n’ayez nulle inquiétude pour moi, j’ai vu dans le ciel de décembre l’Étoile de Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé ; je vais à Lui ».
Le cœur d’Azia a bondi ; une joie mystérieuse la porte toute. Elle n’écoute plus la suite, elle n’a retenu qu’un mot qui chante dans son cœur et qu’elle se répète inlassablement avec une grande espérance :
« Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé… »
Celui-là, peut-être, saurait rassembler la famille heureuse, brutalement dispersée par les barbares ? Il vient pour cela ; le roi Melchior l’a dit.
« Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé… »
Une grande résolution est entrée dans le petit cœur d’Azia ; elle ne rêve plus ; elle regarde bien tout le cortège du roi, les coffres, les serviteurs, les chameaux, et tout ; on dirait qu’elle cherche quelque chose.
« Tiens, se dit une minute plus tard le jardinier qui l’avait remarquée, la petite Azia n’est plus là. »
Et puis c’est tout : est-ce qu’on s’occupe d’une petite inconnue quand on est le jardinier d’un roi d’Arabie ?
Ah ! bien oui !
Le jardinier sûrement n’y pense plus.