Étiquette : <span>Roi mage</span>

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Épiphanie

Sa maigre figure de petite fille misé­rable col­lée aux bar­reaux de la grille en bois doré, Azia suit de ses yeux tristes, un peu bri­dés, le remue-ménage inso­lite du palais royal. Par toutes les portes, des ser­vi­teurs vont, viennent, courent, s’ap­pellent ; dans la cour, d’autres apportent des coffres bar­dés de fer et des bal­lots d’é­toffes pré­cieuses ; aux écu­ries, on har­nache le dro­ma­daire blanc du roi et les cha­meaux de sa suite.

Fête de l'Epiphanie - Caravane des Rois Mages - 1894 - récit pour les enfantsÇa ne l’in­té­resse pas tel­le­ment, Azia… mais ça lui passe le temps. Ses jour­nées sont si longues, si longues, depuis qu’elle est toute seule en la grand-ville, pau­vrette aban­don­née ! Elle était heu­reuse, voi­la quelques mois, dans la jolie mai­son rose aux ten­tures de soie, pleine de fleurs odo­rantes et toute chaude de la ten­dresse d’un papa et d’une maman. Mais une horde venue de l’Oc­ci­dent a détruit la mai­son rose et emme­né cap­tifs le papa et la maman qui fai­saient tout son bon­heur de petite fille. Où sont-ils à pré­sent ? Quelque mar­chand d’es­claves les aura ache­tés au chef bar­bare, et reven­dus Dieu sait où… La pauvre petite Azia ne les rever­ra jamais. Des larmes perlent à ses yeux, et son petit visage rava­gé se contracte à cette affreuse pensée.

Mais sou­dain, les cym­bales et les harpes d’or la tirent de sa dou­lou­reuse rêve­rie. Tan­dis qu’elle revi­vait les heures ter­ribles, un cor­tège s’est for­mé dans la cour du palais : les cha­meaux sont char­gés, et la tente de pourpre sur le dro­ma­daire blanc attend le roi qui s’a­vance en grand apparat.

« Adieu, mes amis, dit gra­ve­ment celui-ci lorsque, sur un signe de lui, les ins­tru­ments de musique se sont tus ; n’ayez nulle inquié­tude pour moi, j’ai vu dans le ciel de décembre l’É­toile de Celui qui vient pour ras­sem­bler ce qui est dis­per­sé ; je vais à Lui ».

Le cœur d’A­zia a bon­di ; une joie mys­té­rieuse la porte toute. Elle n’é­coute plus la suite, elle n’a rete­nu qu’un mot qui chante dans son cœur et qu’elle se répète inlas­sa­ble­ment avec une grande espérance :

« Celui qui vient pour ras­sem­bler ce qui est dispersé… »

Celui-là, peut-être, sau­rait ras­sem­bler la famille heu­reuse, bru­ta­le­ment dis­per­sée par les bar­bares ? Il vient pour cela ; le roi Mel­chior l’a dit.

« Celui qui vient pour ras­sem­bler ce qui est dispersé… »

Une grande réso­lu­tion est entrée dans le petit cœur d’A­zia ; elle ne rêve plus ; elle regarde bien tout le cor­tège du roi, les coffres, les ser­vi­teurs, les cha­meaux, et tout ; on dirait qu’elle cherche quelque chose.

« Tiens, se dit une minute plus tard le jar­di­nier qui l’a­vait remar­quée, la petite Azia n’est plus là. »
Et puis c’est tout : est-ce qu’on s’oc­cupe d’une petite incon­nue quand on est le jar­di­nier d’un roi d’Arabie ?

Ah ! bien oui !

Le jar­di­nier sûre­ment n’y pense plus.